14/08/2018 les-crises.fr  23 min #144600

Tous fichés ? Comment Twitter permet le fichage politique de la population

(1/2) De l'agence de gestion de crise à la réservation de chambres d'hôtels : l'étonnante galaxie Disinfolab / Saper Vedere

Cette première partie d'analyse de la galaxie DisinfoLab porte sur des points historiques et juridiques (particulièrement utiles si vous portez plainte, mais peut être moins amusante que les derniers billets). La deuxième partie, publiée demain, sera bien plus croustillante... 🙂

Cela fait maintenant quelques jours, comme vous le savez, que nous décortiquons le « travail » de l'officine EU DisinfoLab -  voir le dossier ici.

Leur réaction de samedi, où ils nient leur rôle dans l'élaboration de fichiers qu'ils ont eux-mêmes créés et diffusés sur Internet, et leur diffamation à notre encontre (pour laquelle  nous les poursuivons en justice), nous incite à nous renseigner toujours plus sur cette étrange structure, dont nous vous présentons dans ce billet une représentation factuelle et détaillée des origines.

I. Les origines de la Galaxie DisinfoLab / Saper Vedere

Nicolas Vanderbiest est un doctorant belge en communication depuis 2013, chargé de cours en "media training", qui mène une  thèse sur "les crises de réputation des organisations sur Internet"(sic.) ( source) :

L'étude DisinfoLab sur l'affaire Benalla précise que les fondateurs se sont rencontré mi-2016 :

Comme on peut le lire  sur leur site :

Ainsi, il y a 3 fondateurs, domiciliés en Belgique, dont deux Français, dont la rencontre a eu lieu dans la "EU bubble" (sic.) :

Mais au-delà de la narrative des 3 belles âmes réunies pour "un travail de vérité pour la sécurité civile", la réalité est qu'il semble que la première structure créée par les trois est... une agence de conseil en communication à but lucratif, nommée Saper Vedere ("Savoir voir", citation de Léonard De Vinci), créée le 11 août 2017 (bon anniversaire !), dont le siège social est au domicile d'Alexandre Alaphilippe, elle reprend les activités de la société en formation depuis le 1er janvier 2017 (source  Moniteur belge, pdf) :

40 % des parts pour Vanderbiest et Alaphilippe, et 20 % pour Machado, qui sont tous les trois gérants.

La société est donc une société de communication et de gestion de crise - comme son site l'indique clairement ( source) :

Elle a évidement plusieurs clients, dont... Visibrain :

qui est le logiciel Big Brother qu'ils utilisent pour accéder à la base complète Twitter (et que nous avons présenté  dans ce billet) :

#OhWhait...

Ce n'est que six mois après la création officielle de Saper Vedere que les trois mêmes personnes créent officiellement l'association EU DisinfoLab le 13 décembre 2017 (source  Moniteur belge,  pdf), également hébergée chez M. Alaphilippe :

On remarque ainsi que "l'ONG" DisinfoLab n'est bien en réalité qu'une petite Association Sans But Lucratif (ASBL en Belgique, l'équivalent d'une association loi 1901 en France) - ce mot n'ayant pas tout à fait la même connotation en Belgique et en France.

Viennent alors la litanie de l'objet et des buts - qui contiennent tous les mots clés pour un "Bingo anti Fake News" :

Enfin on a la fin :

Cela indique que l'association est bien créée le 13 décembre 2017, avec Alaphilippe et Machado comme administrateurs.

Et que le 1er exercice va du dépôt des statuts jusque au... 31 décembre 2016 (sic.). Coquille ? Probable, car les dates de constitution semblent justes (source  ici et  ) :

II. Le triumvirat

Regardons maintenant les profils LinkedIn de ces trois personnes créateurs de la galaxie.

Voici celui de Gary Machado ( lien -  image archive) :

C'est donc le Président d'EU Disinfolab, qu'il ne cite pas dans le long résumé de profil en tête de sa page (image précédente) - construit autour de son rôle de "Big Boss" (sic.) dans l'association EENA112 de promotion du numéro européen d'urgence 112 (apprenez bien ce numéro d'ailleurs, c'est important pour  appeler les secours en Europe) :

On voit qu'il indique travailler chez Saper Vedere depuis septembre 2016 et au DisinfoLab depuis décembre 2017.

On découvre qu'en plus de son activité de consultant indépendant, il a une cinquième activité, Conseiller stratégique au sein de EU Venue Finders, dont nous allons parler ci-après...

Il a une formation d'économiste, en affaires européennes et en coopération franco-polonaise :

Voici ensuite le profil d'Alexandre Alaphilippe ( lien -  image archive)

On voit qu'il travaille également chez Saper Vedere depuis septembre 2016 et au DisinfoLab depuis décembre 2017. Exactement comme Fary Machado.

Cela signifie donc qu'en pratique, l'agence de communication existe depuis septembre 2016, soit deux mois à peine après la rencontre des 3 "suite à l'attentat de Nice en juillet 2016″...

En fait Gary Machado était précédemment un client d'Alexandre Alaphilippe, qu'il recommande ainsi :

"Je recommanderais vivement Alexandre à toute personne voulant vraiment définir une stratégie de communication digitale"

On apprend également qu'Alexandre Alaphilippe a une troisième activité : cofondateur de  EU Venue Finders :

Dont on apprend ceci ( source) :

Ainsi, Alaphilippe et Machado ont créé et s'occupent (avec Mme Merybelle Hanus) en plus d'un "Booking.com" pour comparer les prix des chambres d'hôtel et salles de conférence à destination des assistants parlementaires... ( source)

Décidément, comme on dit, "l'Europe, c'est la paie"...

Passons alors au profil LinkedIn de Nicolas Vanderbiest ( lien -  image archive vu qu'il efface régulièrement des choses compromettantes et nie l'avoir fait ensuite) :

Il affiche donc en majeur "Assistant à l'Université Catholique de Louvain", mais est donc aussi consultant, blogueur, chroniqueur, conférencier ou formateur. Ils sont décidément très occupés dans cette galaxie...

Voici le détail de ses activités, en dehors de la faculté :

On voit qu'il n'a pas chômé - on comprend que la thèse en communication dure depuis 2013...

Et il indique être "Conseiller spécial" chez Saper Vedere. On saluera sa modestie, vu qu'il en est le cofondateur, le co-gérant et qu'il détient 40 % des parts sociales... Et pour la suite :

Conférencier pour... "l'échec" ?

Il a donc un blog  Réputatio Lab :

Ce site est appelé le "Laboratoire des Crises, de la Réputation et des phénomènes d'Influence" - mais c'est simplement le nom de son blog... C'est dommage car cela entretient une confusion entre des activités de doctorant, de chercheur pour EU Disinfo Lab ou de consultant  pour son autoentreprise commerciale et Saper Vedere.

Et... c'est tout. C'est donc dommage, il a oublié d'indiquer qu'il est cofondateur de EU DisinfoLab et membre de l'équipe en tant que "Conseiller spécial" - sachant qu'il est apparemment le seul chercheur de cette galaxie dans le domaine ( source) :

Nicolas Vanderbiest co-rédige depuis 2014 un petit recueil annuel des Bad Buzz (disons des crises en terme d'image pour les entreprises) avec... Visibrain ( source) :

On note que jusqu'en 2017, l'auteur signe ReputioLab ( source) :

Mais qu'en 2018, il signe Sapere Vedere ( source) :

C'est dans ce cadre que le 23 janvier 2018, Nicolas Vanderbiest a réalisé une présentation (en vidéo ici ) lors de la Conférence BadBuzz de... Visibrain, pour l'édition 2017, dont le thème était ( source) :

#LaVieEstCruelle...

Moment détente : lors de cet évènement, Nicolas Vanderbiest a été interviewé par Guillaume Meurice :

"Moi, je m'en fous, c'est très bien [que les entreprises ne paient pas leurs impôts] car ça me fait des crises [à analyser]. [...] Je pense qu'il faut être cynique, sinon on ne survit pas. [...] On a un souci très fort d'accompagner NOS clients [...] puisque cela fait maintenant plus de SEPT ans qu'ON aide des entreprises [...] Est-ce que vous pouvez me dire ce qui est le bien et le mal ?" [Nicolas Vanderbiest, 23/01/2018]

Il est dommage qu'il n'ait, de nouveau, pas précisé avec quelle casquette il parlait, car il semble vraiment le faire au nom de Visibrain - et il n'a a priori pas indiqué travailler pour eux. À moins qu'il parle de sa propre autoentreprise - mais alors qui est le "on" ?

Ainsi, on arrive au final à cette représentation de la galaxie Disinfolab, qui met en avant dans les médias une structure qu'ils désignent comme "ONG" (et qui est une simple association), mais la galaxie est principalement composée de structures commerciales à but lucratif :

III. Chercheurs ou lobbyistes ?

Il faut savoir qu'il a été créé un registre de transparence des institutions européennes, dans lequel les entreprises réalisant des actions de lobbying auprès de celles-ci doivent s'inscrire. Voici un extrait de lui de DisinfoLab ( source) :

On note qu'ils ont résumé ainsi leurs objectifs : "To support European ideals and democracy through countering disinformation by innovation & community cooperation." ("Soutenir les idéaux européens et la démocratie par la lutte contre la désinformation par l'innovation et la coopération communautaire").

La comparaison avec la déclaration de Saper Vedere est fort intéressante ( source) :

On y apprend tout d'abord que "Saper Vedere est une société spécialisée en intelligence économique et monitoring stratégique (veille)", ce qui correspond imparfaitement avec les statuts, qui parlent essentiellement d'une société de prestation de conseil.

Mais plus intéressant, on apprend qu'elle travaille, sans surprise, sur les "Fake News (en lien avec EEAS Stratcom et le Cabinet de Mme Gabriel)".

Pour le premier : "EEAS" est le service diplomatique de l'Union Européenne ( European External Action Service).

Pour le deuxième, "Stratcom" il y a deux possibilités. C'est soit probablement "StratComms" ( Strategic Communications Division), qui s'occupe de la communication de l'Union européenne sur la dimension publique de la diplomatie européenne et sa communication sur les affaires étrangères et la politique de sécurité, ainsi que son action extérieure plus largement. Soit moins probablement " The East StratCom Task Force " qui a été créée "pour répondre aux campagnes de désinformation en cours en Russie" et développe des campagnes de communication "visant à mieux expliquer les politiques de l'UE dans les pays du Partenariat oriental (Arménie, Azerbaïdjan, Belarus, Géorgie, Moldavie et Ukraine)".

Pour la troisième, "Mme Gabriel" est la commissaire européenne à l'Économie et à la Société numériques ( source) :

Incise - nous rappelons que les Fake News seront un problème sérieux quand les 6 conditions cumulatives suivantes seront réunies :

  1. régulièrement...
  2. de fausses informations ;
  3. relativement graves pour l'information de la population...
  4. seront entendues par une partie importante des citoyens...
  5. qui y croiront...
  6. longtemps, sans que des démentis par des sources fiables les fassent changer d'avis.

Si les 6 ne sont pas remplies, il n'y a pas de réel problème. En tout cas pas un qui justifie, par exemple de vouloir "espionner" ce que dit et pense la population, car cela revient à la ficher, et c'est ça, le danger pour la Démocratie...

On voit donc que Saper Vedere réalise un lobbying important sur le sujet des Fake News.

Mais Saper Vedere est une structure commerciale d'influence. Il serait donc important de savoir qui la paye pour réaliser ce lobbying, et si une partie du financement vient "du marché américain" puisqu'elle a un bureau à Washington...

Et on note que cette société indique vouloir potentiellement réaliser des actions de lobbying sur des domaines très larges :

En conclusion

Nous avons ainsi montré que :

  1. "l'ONG" EU DisinfoLab n'est en fait qu'un paravent d'une nébuleuse de sociétés commerciales, dont le coeur est SAPER VEDERE, une agence de communication spécialisée sur l'accompagnement en cas de crise médiatique.
  2. que les fondateurs entretiennent régulièrement une confusion entre leurs nombreuses casquettes : quand Nicolas Vanderbiest parle, est-ce le chercheur, le blogueur, le cofondateur de l'association sans but lucratif DisinfoLab, le consultant auto-entrepreneur, l'actionnaire de Saper Vedere, le partenaire de Visibrain ? Mystère... L'absence de mentions légales sur les sites internet n'aide pas à lever la confusion - et rend dubitatif sur le respect des déclarations des traitements et fichiers aux CNIL française et belge.

Or la clarté et la précision est très importante, car si le fichage de 55 000 personnes a bien été réalisé par DisinfoLab, quand Nicolas Vanderbiest a publiquement diffusé le fichier "Data Brutes.csv" avec les données personnelles sensibles de 55 000 personnes, il l'a explicitement fait depuis son compte SAPER VEDERE, et donc avec cette casquette :

Par ailleurs, on ne sait pas dans quel cadre Visibrain a été utilisé : y-a-t-il un abonnement de DisinfoLab (mais c'est généralement très couteux), est-ce un accès lié au partenariat intuitus personae de Nicolas Vanderbiest avec Visibrain ? Quel est le rôle exact de Visibrain dans tout ceci ?

Il convient donc de bien préciser tout ceci en cas de plainte contre X ou de signalement au Procureur de la République.

Comme beaucoup de personnes nous le demandent, nous vous fournirons dans la semaine des modèles de courrier pour le faire.

→ Ils ont voulu ficher les citoyens, les citoyens ne vont pas se laisser faire - et nous allons les aider à faire valoir leurs droits.

 les-crises.fr

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