10/10/2018 mondialisation.ca  9 min #146821

Brésil: Le candidat d'extrême-droite Jair Bolsonaro en tête de la présidentielle

Le Brésil divisé au premier tour des élections. Le Nordeste contre « l'extrême-droite » de Bolsonaro

Le Brésil vient de tourner une autre page de son histoire en votant majoritairement pour le « candidat d'extrême-droite »(1) Jair Bolsonaro (PSL) au premier tour. Officiellement, 147,3 millions de Brésiliens avaient le droit de voter. Cependant il y avait au moins trois millions de personnes qui ne pouvaient exercer leur droit de vote n'ayant pas fait la biométrie (une obligation dans plusieurs états du Brésil pour aller aux urnes).

Dimanche soir, en direct, la télévision brésilienne annonçait le résultat des élections. Il manquait le comptage final du vote de plusieurs états quand on a annoncé que Bolson (Bolsonaro) avaient obtenu 49% des voix, donc très proche du 51% exigé pour être élu président dès le premier tour. L'annonce d'un deuxième tour a provoqué des cris de joie chez les partisans du PT et les « contre-Bolson » (« Non, pas lui ») réunis au bar de la Esquina da Democracia (Coin de la démocratie) au centre de Rio de Janeiro à Lapa. Peu après, les résultats changeaient en accordant finalement à Bolsonaro 46,06% du vote. Haddad (PT) passait à 29,23%, suivi de loin par le candidat Ciro Gomes (PDT) avec 12,47%.

Le second tour pour les élections a été ainsi confirmé. Les Brésiliens iront de nouveau aux urnes le dimanche 28 octobre 2018.

Suite à sa victoire du premier tour, c'est sur un ton neutre (mais parfois agressif) et sans sourire que Bolsonero a fait son discours sur internet. Un discours pointant du doigt les sympathisants du PT qui ont, selon lui, empêché son élection comme président au premier tour.(2)

Dans une émission en direct sur Facebook aux côtés de l'économiste Paulo Guedes, il a déclaré que s'il était élu, il unirait le pays.

« Nous sommes en train de perdre dans le Nord-Est, mais notre vote dans le Nord-Est était très bon et je suis sûr que Dieu nous aidera au deuxième tour », a déclaré Bolsonaro.

« Nous avons tout pour être une grande nation, nous devons unir notre peuple, unir les fragments que le gouvernement nous a laissés dans le passé... Unissons notre peuple, Unis, nous serons une grande nation. Personne n'a le potentiel que nous avons «, at-il ajouté.

Dans une autre partie de l'émission, Bolsonaro a déclaré que le pays « est au bord du chaos » et que, par conséquent, il ne peut « pas faire un pas de plus ».

Source :  globo.com

Contrairement à son adversaire le candidat du PT, Fernando Haddad donnait un discours articulé et suscitant l'espoir pour tous les anti-Bolsonaro (mouvement « Non, pas Lui »).

Je me sens extrêmement honoré par les votes que j'ai reçus aujourd'hui qui garantissent le PT au second tour. Je me sens concerné par les résultats plutôt expressifs, afin de nous rendre compte des risques encourus pour la démocratie au Brésil... nous devons savoir en tirer parti avec sobriété et avec le sens des responsabilités. Nous voulons unir les démocrates, les personnes qui se préoccupent des plus pauvres de ce pays très inégalitaire. Nous voulons un vaste projet de justice démocratique et sociale (...)

Je termine en célébrant la démocratie et la liberté, valeurs que je cultive depuis toujours. Je ne renoncerai pas à mes valeurs, aussi pour les membres de ma famille, qui ont été attaqués ces derniers jours. Mais le second tour nous donne l'occasion de débattre à l'unanimité sans craindre d'être heureux.

(Fernando Haddad, le 7 octobre 2018)

Les résultats électorales à travers le Brésil ont montré l'image géographique et sociale d'un pays divisé. La région du Nordeste (Nord-Est) a voté en grande majorité pour le candidat pétiste, Fernando Haddad. Tous les états de la région pauvre au niveau économique, sauf un, a voté largement pour Haddad comme président. Le Maranhao, le Piaui et Bahia se sont démarqués particulièrement du Brésil par le vote largement pétiste, sauf le Ceara qui a voté pour Ciro Gomez (PDT). Le Nord, sauf l'état du Para (en rouge sur la carte), le Sud-Est (où se trouvent les mégapoles de Sao Paulo et Rio de Janeiro) du pays ont voté majoritairement pour Bolson. Par ailleurs 20 % de la population n'a pas voté (utilisation de la biométrie pour voter, confusion et grande queue pour voter avec deux ou trois heures d'attente, certains devaient se rendre au travail...).

Qui a vaincu dans chacune des unités de la fédération (états du Brésil)

Cette carte montre nettement la division. Il faut comprendre que la région du Nordeste a largement bénéficié des programmes sociaux lors des gouvernements du PT comme celui de « Luz para todos » (l'électricité pour tout le monde), bourses d'études pour les familles pauvres, etc. Les populations du Nordeste sont majoritairement noire et métisse. Le discours raciste de Bolsonaro a eu certes une influence sur le vote. Avec humour et ironie, des anti-Bolson disaient ce soir là « on va tous déménager dans le Nord-Est ».

Bref Bolsonaro a gagné dans 17 états. 9 autres ont voté majoritairement pour Haddad et l'état « rebelle » du Ceara a choisi Ciro Gomez (un ancien ministre du gouvernement Lula - PT). Lors de la réélection de Lula en 2006, tout le Nordeste, une grande partie du Nord et les états du Minas Gerais avaient voté pour le PT. São Paulo, le Centro-Ouest (région de la capitale fédérale, Brasilia) et une partie du Sud et du Nord (Amazonie) votaient pour le PSDB. Ce parti représenté par Geraldo Alckmin (PSDB) pour la présidence de 2018 s'est complètement effondré avec ces dernières élections. Le PSDB, parti traditionnel, a cédé la place au PSL de Bolsonaro. Pourtant 50% de la propagande électorale à la télévision était mené par Alckmim (PSDB). Suite aux premières élections directes post-dictature (Collor de Mello fut alors élu, 1990, puis destitué et substitué, 1992, par le vice-président Itamar Franco), le PT et le PSDB se sont disputés les régions brésiliennes.

Pour beaucoup de Brésiliens, l'élection de Jair Bolsonaro serait un véritable désastre pour la démocratie, demeurant très fragile.(3) Les évangélistes et les forces armées appuient largement le candidat Bolson qui saura également compter sur les leaders de l'agrobusiness, des entreprises étrangères, les grandes banques et les créanciers internationaux. Bolsonaro se dit pour le néo-libéralisme sans présenter un programme économique. S'il est élu, l'économiste de l'école de Chicago, Paulo Guedes, va certes devenir le ministre des Finances. Le candidat à la vice-présidence, le général Mourao interviewé suite à la victoire du PSL était incapable de formuler une réponse sur les projets économiques du pays.

Pourquoi voter pour Bolsonaro s'il est incapable de formuler clairement un programme économique? La réponse de plusieurs Brésiliens en sa faveur vont dire qu'ils ne le savent pas, connaissant en réalité très peu ou pas du tout le candidat. Ils ne veulent pas voter pour le PT qui est corrompu et qui a plongé le Brésil dans une grave crise économique.

D'autres Brésiliens qualifient Bolsonaro de « dictateur », mais le danger pour la démocratie brésilienne est bien qu'il soit élu et devienne un gouvernement légitime... Gouvernement légitime qui pourrait empêcher l'opposition de s'exprimer et « en finir avec l'activisme » (discours de Jair Bolsonaro, le 7 octobre 2018 après sa victoire).

De leur côté, les candidats (se présentant comme gouverneur, député fédéral...) font la promotion de leurs politiques économiques durant les années Lula. « Nous avons payé la dette du Brésil » ! (entrevue avec Lindberg Farias la veille des élections). Bref ils ont accepté de se soumettre aux demandes des créanciers et du Fonds monétaire internationale... Et maintenant quelles seront les alternatives pour sortir le Brésil de la crise?

Quels seront les résultats au deuxième tour sans une stratégie du PT et la mobilisation de tous les partis dits de gauche ? D'un côté, Fernando Haddad continue (et c'est l'image que veut donner le PT) d'être associé à Lula condamné à la prison pour fraude. Haddad n'apeut-être pas su mettre de l'avant l'intention de mettre en place un programme économique pouvant mettre fin à la crise économique qui a pris de l'ampleur depuis la destitution de Dilma Rousseff comme présidente (2016). De l'autre côté, Jair Bolsonaro, un militaire de réserve raciste, misogyne et fanatique, voulant armer la population « contre la violence » et qui prétend que Dieu est au dessus du parti...

Si Haddad est près de Lula (la « gauche néolibérale »), ironiquement Bolsonaro veut-il donner l'impression d'être le « sauveur du Brésil » avec des politiques ultra néolibérales en étant « près » de Dieu ? « Brasil, que pais é este » (Brésil, quel est ce pays?)

Micheline Ladouceur

Rio de Janeiro, le 8 octobre 2018

Image À la Une : Carte du « Brésil de Bolsonaro »

Notes

*Les Brésiliens utilisent le diminutif de Bolson pour Bolsonaro

(1) Le journal A Folha de Sao Paulo a banni l'expression « extrême-droite » pour parler de Jair Bolsonaro.

(2) Suite à une agression au couteau, Bolsonaro n'a pu participé à aucun débat

(3) Les premières élections directes datent de 1989 (pour la présidence de 1990). suite à la dictature militaire (1964-1984) idéalisé par le candidat d'extrême-droite.

La source originale de cet article est Mondialisation.ca
Copyright ©  Micheline Ladouceur, Mondialisation.ca, 2018

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