24/10/2018 les-crises.fr  17 min #147416

Communique : Coup de force policier, judiciaire et politique contre Jean-Luc Mélenchon le Parti de Gauche et la France insoumise

« Mélenchongate » : Demandez le programme, par Régis de Castelnau

Très bon billet de Régis de Castelnau. Il ne s'agit pas ici de défendre qui que ce soit (les juges jugeront) mais de s'intéresser au fait que personne ne semble s'indigner que la justice ait récupéré de nombreuses informations sur un des principaux partis d'opposition, les adhérents, la stratégie, et surtout les gens qui les aident et les informent. Je vois mal pourquoi on protège les sources des journalistes ou informations des avocats, et pas ceux des partis politiques. D'autant que toutes ces informations

Source :  Vu du droit, Régis de Castelnau, 21-10-2018

J'avais conclu  mon précédent article relatif à ce que l'on va désormais appeler le « Mélenchongate » en prévenant le patron de la France Insoumise qu'il allait vivre des moments assez difficiles et qu'il devait s'y préparer. A-t-il compris ce qui l'attendait ?

L'utilisation cynique de la violence d'État

On passera rapidement sur l'outrance maladroite de ses réactions, où il n'a pas compris que l'imprécation furieuse, registre où il excelle, n'était vraiment pas adaptée. Pas plus que ses attitudes précédentes face aux opérations judiciaires contre ses adversaires politiques. D'ailleurs, ses excès semblent le fruit d'une douloureuse surprise face à l'utilisation cynique de la violence d'État par le pouvoir. Comment ose-t-on infliger à Jean-Luc Mélenchon, pourtant consacré « adversaire et non ennemi » sur le Vieux-Port, le même traitement qu'à Sarkozy, Fillon et Le Pen ? Depuis le temps Jean-Luc Mélenchon, vous devriez savoir qu'en matière de justice politique, la recherche de la connivence avec celui qui tient le manche est toujours vouée à l'échec, mais également que l'innocence ne protège de rien. Là comme ailleurs seul compte le rapport de force, et privilégier la tactique au détriment de la défense des principes est toujours un très mauvais placement.

Alors bien sûr cher Monsieur Mélenchon, vos emportements ont permis aux gens d'en haut d'exprimer la haine qu'ils vous portent. Non seulement ce n'est pas grave mais cela va présenter quelques avantages. D'abord ces gens-là, parmi lesquels tous les anciens amis du PS que vous essayez actuellement de débaucher, vous combattront toujours, quoi qu'il arrive, puisqu'ils ont définitivement choisi le camp d'en face. Quant aux couches populaires, celles à qui vous devriez vous adresser autrement  qu'en enfilant les gilets de sauvetage de l'Aquarius, il y a longtemps qu'elles ne sont plus dupes et qu'elles savent très bien à quoi s'en tenir concernant l'attitude et les discours des serviteurs de l'oligarchie. À quelque chose malheur est bon, vous pourrez ainsi compter ceux qui vous ont soutenu dans l'épreuve.

Répétons une fois de plus que l'opération du 16 octobre avec ses 15 (17 ?) perquisitions n'a pas pu être organisée sans que non seulement le pouvoir exécutif soit au courant, mais ait pris lui-même la décision. Tout permet de l'affirmer et notamment, au-delà de l'expérience professionnelle, l'utilisation du simple bon sens. Une opération de cette ampleur, le jour de l'annonce du remaniement, menée par le parquet mobilisant 100 policiers (!) et dirigée contre un des premiers partis d'opposition, sans que les services de la place Vendôme et notamment le Garde des Sceaux soient au courant ? Sans que Madame Belloubet l'ait décidé en liaison étroite avec l'Élysée ? Une telle mobilisation policière sans que le ministère de l'intérieur ne soit au courant et ait donné son feu vert ? Il faut être sérieux.

Demandez le programme !

Je ne pense pas m'avancer beaucoup, en disant que la fameuse enquête préliminaire a dû déjà être fructueuse et que le parquet dispose d'un dossier bien étoffé. De la même façon il me semble probable que la décision de l'ouverture de l'information judiciaire et la saisine d'un ou plusieurs juges d'instruction est déjà prise, et les magistrats instructeurs choisis. Lors du déclenchement de l'affaire Fillon par le Parquet National Financier, tout le monde savait à l'avance dans le monde judiciaire qui serait le juge d'instruction désigné et que le candidat LR serait immédiatement mis en examen.

Avec le grand cirque médiatico-judiciaire qui va se dérouler, le raid du 16 octobre va rapidement apparaître comme un léger hors-d'œuvre. Collection de convocations diverses et variées aux dirigeants et collaborateurs de la France Insoumise. Soit pour des mises en examen spectaculaires avec des qualifications sonores, de celles qui enjolivent les manchettes, « escroqueries en bande organisée, détournement de fonds publics en réunion, blanchiment de fraude fiscale etc. etc. ». Soit pour des gardes à vue fatigantes dont les durées seront fonctions des qualifications et pourront aller jusqu'à 96 heures... Nouvelles perquisitions bien sûr chez les mêmes, avec des écoutes téléphoniques tous azimuts. La presse sera comme d'habitude scrupuleusement alimentée de copies partielles de procès-verbaux, de pièces de procédure de toute nature, de transcriptions trafiquées d'écoutes téléphoniques. Il est d'ailleurs probable que les interlocuteurs privilégiés sont déjà choisis, l'officine Mediapart, fidèle et zélé petit télégraphiste du pouvoir étant bien sûr de la fête. Et dans les médias, la surenchère et l'effet de meute joueront à fond. Et naturellement comme d'habitude aussi toutes les plaintes pour violation du secret de l'instruction (protégé, il faut le rappeler, par la loi), seront soigneusement rangées par le parquet avec les autres dans l'armoire prévue à cet effet. Et comme d'habitude encore, rapidement couverts de poussière, ils ne donneront jamais lieu à la moindre investigation.

Alors j'espère, qu'à la France Insoumise on ne va plus entendre psalmodier l'incantation imbécile : «il faut faire confiance à la Justice ! ». Tout le système judiciaire d'un pays démocratique repose sur la défiance qu'il faut avoir vis-à-vis de l'institution. Sinon, pourquoi avoir un avocat ? Pourquoi celui-ci doit-il disposer de prérogatives et de privilèges importants ? Pourquoi le double degré de juridiction, pourquoi la collégialité, pourquoi toutes ces règles de procédure ? Parce que l'on donne l'usage de la violence légitime de l'État à des Hommes faillibles qu'il faut impérativement encadrer en rappelant « qu'adversaire acharnée de l'arbitraire, la forme est- la sœur jumelle de la liberté ». Il y a ensuite l'autre incantation : « mais puisqu'on n'a rien fait ! » Je partage depuis longtemps l'opinion du cardinal de Richelieu qui disait : « Donnez-moi deux lignes de la main d'un homme, et j'y trouverai de quoi suffire à sa condamnation. » Je sais bien qu'en France où l'on préfère l'ordre à la justice, prétendre que l'innocence ne protège de rien est blasphématoire, alors que c'est pourtant la réalité. CE QUI PROTÈGE L'INNOCENT C'EST LE DÉBAT CONTRADICTOIRE DANS LE RESPECT DES RÈGLES ET DES PRINCIPES FONDAMENTAUX, DEVANT DES JUGES IMPARTIAUX. On ajoutera que dans les affaires politico-judiciaires le risque est moins la sanction finale si elle arrive un jour, que dans les mises en cause et le cirque médiatique qui les accompagne. Après son démarrage en fanfare, l'affaire Fillon a dormi paisiblement pendant près de deux ans. Les objectifs qui avaient justifié l'urgence initiale ayant été atteints avec l'élimination du candidat de droite. La particularité de ces affaires, et cela se vérifie à chaque fois, est que chaque emportement médiatique provoqué par des révélations opportunes issues des dossiers judiciaires, est toujours directement corrélé à une actualité politique concernant les mis en cause. Et c'est justement cette expérience de ce qui s'est produit pour Nicolas Sarkozy, François Fillon et Marine Le Pen, pour ne citer que les leaders politiques opposés au pouvoir de Hollande puis de Macron, qui permettent de faire ces prévisions.

En route vers le gouvernement des juges ?

Mais il y a deux autres facteurs qui viennent nourrir ce diagnostic. Tout d'abord Emmanuel Macron lui-même a délivré le verdict et annoncé à quelle sauce celui dont il avait dit qu'il n'était pas son ennemi va être dévoré. « L'autorité judiciaire est une autorité indépendante dans notre pays, et j'en suis le garant. Pour tout le monde. N'en déplaise à certains, il n'y a pas d'exception ». Invocation habituelle du mantra « indépendance » qui n'a aucun sens dès lors que l'on n'en fait pas uniquement le moyen de ce qui est essentiel à l'office du juge : l'impartialité. Et là, le président de la République sait parfaitement à quoi s'en tenir, il dispose d'un haut appareil judiciaire qui n'a plus besoin de recevoir des ordres pour agir selon ses vœux. Il existe désormais des connivences sociologiques, politiques professionnelles et idéologiques qui rendent en partie inutile la mise en place de courroies de transmission. C'est ici le deuxième facteur qui permet de prévoir ce qui va se passer. Dans la conduite des affaires politiques, les juridictions soi-disant spécialisées se sont transformées en juridictions d'exception appuyées par les chambres d'instruction et validées par la Cour de cassation. Utilisant des méthodes et mettant en place des jurisprudences qui portent directement atteinte à la liberté politique.

Arrêtons-nous sur les questions en cause dans les deux dossiers qui concernent Jean-Luc Mélenchon et la France Insoumise, les attachés parlementaires et les frais de campagne électorale. Les lois de 1988 et 1990 et les textes qui les ont complétées ont mis en place un système de financement public de la vie politique. Dont les trois principes essentiels étaient, le financement par l'État en fonction des résultats électoraux, la limitation des dépenses pendant les campagnes électorales, le contrôle financier enfin exercé par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP). Ce contrôle porte sur les recettes des partis afin d'éviter les dons interdits, et sur les dépenses en période électorale. Mais le contrôle des dépenses, ne doit porter que sur la réalité celle-ci afin de vérifier si celles-ci n'ont pas été minorées pour empêcher le dépassement du plafond avec toutes les conséquences désagréables qui en découlent. Mais, la stratégie électorale est libre et la commission nationale ne peut pas déterminer à la place du candidat ou du parti les dépenses qui étaient bonnes pour sa stratégie. Si un candidat pense que c'est bon pour son image de circuler en Ferrari, c'est son droit le plus strict. De même s'il pense qu'il faut s'adresser à un grand traiteur plutôt que de demander à ses militants de passer chez Picard surgelés, c'est également sa liberté. À condition d'inscrire les factures correspondantes à leur prix réel dans le compte de campagne. Les magistrats du pôle financier ont trouvé une astuce pour contourner cette évidence. Comme l'État rembourse une partie des frais de campagne aux candidats qui ont atteint un pourcentage minimum, leur raisonnement consiste à dire que du fait de ce versement de fonds publics le juge a un droit de regard sur la nature des dépenses exposées. Il peut contrôler si elles étaient bien justifiées par la campagne mais du point de vue du juge. Donc adieu la Ferrari, le traiteur Le Nôtre et les rémunérations conséquentes éventuellement versées à la société de Madame Chikirou. Ou tout autres dépenses qui auront l'heur de déplaire au  président de la Commission nationale ou au juge d'instruction. Qui pourront ainsi les qualifier d'escroquerie non pas vis-à-vis du candidat, des équipes de campagnes, ou des militants  mais vis-à-vis de l'État rembourseur. Adieu la liberté d'organiser votre campagne comme vous l'entendez, cette prérogative appartient désormais au juge.

Aucune surprise quand on voit de quelle façon la même Cour de cassation, suivant le pôle financier, a balancé par-dessus les moulins les principes de liberté politique et de séparation des pouvoirs à propos des assistants parlementaires. Un certain nombre de moyens matériels sont mis à la disposition de celui qui a recueilli les suffrages nécessaires pour devenir représentant de la nation. Il n'a de compte à rendre sur l'exécution de son mandat qu'à ses électeurs. Le choix des assistants parlementaires l'organisation et la nature du travail qu'ils effectuent relèvent de sa liberté politique. Dans une affaire qui concernait le Sénat et en justifiant indirectement le raid judiciaire contre François Fillon,  la Cour de cassation vient de considérer que le juge avait un droit de regard sur l'organisation de leur travail par les parlementaires. C'est aussi ce qui s'est passé dans l'affaire Fillon et ce qui se passera dans l'affaire Mélenchon. Nouvelles atteintes aux principes, et par la grâce de la cour suprême, les députés de la République devront renoncer à la liberté d'exécuter leur mandat comme ils l'entendent, c'est désormais le juge qui imposera ses choix.

La liberté politique sous la grêle

Cette volonté devenue évidente de la haute fonction publique judiciaire de s'abstraire des principes fondamentaux de la liberté politique et de la séparation des pouvoirs génère des dérives particulièrement inquiétantes. Inquiétude renforcée par le fait qu'aux procédures spectaculaires dirigées contre les représentants de l'opposition politique, s'ajoute une passivité troublante vis-à-vis des affaires concernant les entourages du pouvoir. Comment ne pas soupçonner que la gestion de ces dossiers puisse être conduite par des subjectivités politiques et idéologiques qui n'ont rien à y faire ?

Ce que nous rappelle l'agression médiatico-judiciaire dont sont l'objet aujourd'hui, Jean-Luc Mélenchon et son organisation politique c'est bien l'existence de ces dérives dangereuses pour les libertés publiques. Alors quoi qu'on pense de Jean-Luc Mélenchon, il est nécessaire aujourd'hui de le défendre. Parce que ce sera défendre nos libertés et « quand elles sont sous la grêle, fol qui fait le délicat ».

Source :  Vu du droit, Régis de Castelnau, 21-10-2018


Nous complétons par un extrait de  cet article d'Europe 1 sur un point important, qui est rarement mis en avant :

Est-ce illégal ?

La question est plus complexe qu'il y paraît. Il n'en va pas des dépenses de campagne comme des marchés publics, où les appels d'offre et les attributions sont strictement encadrés. Facturer plus cher "n'est pas illégal en soi", nous explique Bruno Dondero, professeur à l'école de droit de la Sorbonne. "La société n'a pas non plus l'obligation de trouver la solution la plus économique pour le client."

En revanche, l'opportunité de rembourser ces frais de campagne est laissée à l'appréciation de la CNCCFP, qui peut refuser de le faire. C'est d'ailleurs ce qui s'est passé en février dernier. "Après comparaison du coût de chacune des prestations avec la grille tarifaire de cette entreprise [Mediascop], il apparaît que le prix concernant onze [d'entre elles] présente des écarts significatifs avec cette grille", a estimé la CNCCFP. Les comptes de Jean-Luc Mélenchon ont donc été partiellement réformés à hauteur de 35.250 euros pour ce motif. Mais le fait qu'une dépense soit réformée ne signifie pas nécessairement que cela relève d'une fraude.

Si on arrive à démontrer que Jean-Luc Mélenchon ou son entourage étaient au courant de la surfacturation, alors c'est de l'abus de confiance.

Là où cela devient illégal, c'est si ces surfacturations ont été délibérément faites pour tromper la CNCCFP, recevoir un remboursement plus important et mettre de côté l'argent reçu. C'est le soupçon qu'a Jean-Guy de Chalvron, rapporteur à la CNCCFP jusqu'à sa démission fracassante, précisément pour dénoncer les anomalies des comptes de campagne de Jean-Luc Mélenchon. Sur BFM TV, le haut-fonctionnaire a indiqué que cette surfacturation "aidait vraisemblablement à la constitution d'un réservoir de liquidités à utiliser postérieurement".

"Si on arrive à démontrer que Jean-Luc Mélenchon ou son entourage étaient au courant de la surfacturation et ont tout de même favorisé Mediascop au détriment d'autres prestataires, alors c'est de l'abus de confiance", explique Bruno Dondero. Un délit pénal, caractérisé par le fait d'utiliser des biens (ici, des fonds) dans un autre but que celui donné, passible de 3 ans de prison et 375.000 euros d'amende. Le professeur de droit pointe également le paiement de la comptabilité de Mediascop par l'association de campagne. "Ce sont deux personnes morales distinctes, il n'est pas normal que l'une paie l'expert-comptable de l'autre."

 Dans un courrier rendu public en septembre dernier, le parquet de Paris a lui-même estimé que les surfacturations des différents prestataires de la campagne de Jean-Luc Mélenchon, dont Mediascop, "tendent à faire sérieusement suspecter l'existence de manœuvres délibérées destinées à tromper l'organe de contrôle aux fins d'obtenir des remboursements sans cause".

 Europe 1


Ce point est en effet complexe, mais il se comprend, vu que les candidats ont toute liberté au niveau de leurs postes de dépense - seul le prix total est encadré.

Exemple chiffré : intéressons nous aux dépenses de création de clip vidéo de deux candidats. Supposons que le prix moyen de marché soit de 1 000 € pour un clip.

1/ Le candidat A achète à la société B 3 clips pour 1 200 € l'unité. Imaginons que le coût complet de production d'un clip soit de 800 € chez B. A a payé 3600 € et B a fait 1200 € de profit, le double de ce qu'elle aurait eu au prix de marché.

2/ Le candidat C achète à la société D 10 clips pour 800 € l'unité (le prix de marché moyen est bien 1000 €). Imaginons que le coût complet de production d'un clip soit de 400 € chez B - la qualité est moyenne. C a payé 8000 € et D a fait 4000 € de profit, 2000 € de moins que si elle avait appliqué le prix de marché.

Qu'en conclure ? B vend plus cher que D, mais a la même marge bénéficiaire en raison de coûts plus élevés (meilleure qualité ? etc ?)

B a-t-il "surfacturé" ? Difficile à dire en tant que tel. Les prix sont libres, et toute entreprise cherche à maximiser ses prix...

Au final, on pourrait dire que le candidat A a payé des factures surfacturées (imaginons même que ce soit bien le cas) ; mais au final, il a dépensé moins que le candidat C, et son fournisseur B a réalisé un bénéfice bien moins important que D.

Quel est dès lors le meilleur candidat du point de vue du contribuable ? Et que dire si on a les situations inverses pour les locations de salles (C préfère avoir de belles salles chères plutôt que de belles vidéos) ? On voit bien qu'il est très compliqué de rentrer dans un tel débat... Bien entendu, si B renvoie de l'argent au candidat A, c'est un tout autre problème.

 les-crises.fr

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