01/11/2018 reseauinternational.net  8 min #147731

La promesse nucléaire de Poutine - C'est le moment

L'Europe et le scénario post-Inf

Par Salman Rafi Sheikh

Si la décision de l’administration Trump de mettre fin au traité sur les armes nucléaires à portée intermédiaire (FNI) a sans conteste provoqué un  » choc stratégique  » dans le monde, le plus grand choc est certainement en Europe, qui a toujours été le principal bénéficiaire de ce traité. Des centaines de missiles ont été retirés de son sol, de même que ceux dirigés contre elle, ce qui a considérablement modifié l’environnement sécuritaire du continent, car ce traité constitue également une référence majeure pour la fin de la guerre froide. Aujourd’hui, la fin de ce traité signifie que l’Europe est redevenue vulnérable à tout moment à un affrontement nucléaire entre la Russie et les États-Unis. Cette vulnérabilité exige certainement une décision cruciale. Une question importante se pose donc : comment l’Europe s’adaptera-t-elle à cette nouvelle réalité stratégique ?

Pour l’instant, il existe clairement un clivage en Europe quant à la manière dont elle envisage le retrait des Etats-Unis. Alors que le Royaume-Uni a annoncé qu’il  » se range  » aux côtés de Trump, l’Allemagne voit cette évolution différemment et  dans sa déclaration, elle déplore la décision américaine d’abandonner  » un élément important du contrôle des armements qui sert particulièrement les intérêts européens « . En l’absence de programmes de missiles robustes, les Etats-Unis vont-ils alors  » forcer  » des pays comme l’Allemagne, que Trump a déjà accusée de ne pas apporter leur juste part à l’OTAN, à placer des armes américaines en Europe ? Dans un tel scénario, nous pourrions assister à une nouvelle rupture des relations entre les Etats-Unis et l’UE, car l’ambiance en Europe n’est pas vraiment  » favorable  » à Trump, et le déploiement possible d’armes américaines en Europe aujourd’hui sera très probablement considéré comme une  » dépendance excessive  » vis-à-vis des Etats-Unis plutôt que comme un reflet d’une véritable alliance stratégique.

En outre, aucun dirigeant européen, contrairement aux présidents américains, n’a jamais publiquement reproché aux Russes d’avoir violé le traité FNI, ce qui rendra difficile pour les pays européens de simplement souscrire à la version américaine et de mettre leurs politiques en adéquation. En outre, le fait que l’UE et les États-Unis aient développé des divergences sur un certain nombre de questions cruciales devrait avoir un impact sur ce que va faire l’UE dans le scénario post-INF.

Une question importante, dans ce contexte, est également celle des relations de l’UE avec la Russie. Sans aucun doute, les relations de l’UE avec la Russie sont fondamentalement différentes de ce qu’elles étaient pendant la guerre froide. Aujourd’hui, nous avons des gouvernements d’extrême-droite en Hongrie et en Italie, qui ne tremblent pas devant la montée en puissance de la Russie en tant que principale contre-partie des États-Unis mais demandent plutôt la suppression des sanctions contre la Russie afin de leur permettre de poursuivre leur commerce.

De même, l’UE est en train de réécrire en profondeur ses relations avec la Russie. Sa dernière manifestation a été la présence des deux principaux pays de l’UE, l’Allemagne et la France, lors du récent sommet d’Istanbul, où Merkel et Macron ont rencontré Erdogan et Poutine et discuté de l’avenir de la Syrie.

Bien que ce sommet ait été minimisé par les médias occidentaux, il implique que des choses importantes sont en train de se passer. Cela signifie à tout le moins que l’UE s’adapte aux processus d’Astana et de Sotchi, même si les États-Unis continuent à s’en tenir à l’écart. Ce sommet, à tout le moins, sous-tend également la nouvelle réalité eurasienne qui se dessine, où l’Europe et l’Asie vont interagir dans un paysage géopolitique différent de celui de la guerre froide.

Et pourtant, c’est peut-être la raison la plus importante, bien qu’elle soit la moins évidente, de la décision du gouvernement Trump de se retirer du traité. En permettant à un scénario stratégique de type guerre froide de revenir hanter l’Europe, les États-Unis espèrent ramener l’Europe dans le giron américain. Les États-Unis ont déjà forcé l’Allemagne à acheter du GNL américain. Les États-Unis feront-ils de même pour contraindre l’Europe à « acheter » des systèmes de missiles américains ? Cela pourrait ne pas être aussi simple qu’il y paraît.

Ainsi, alors que l’Europe avait simplement accepté le déploiement de centaines de missiles américains il y a près de 35 ans, elle ne semble pas disposée à le faire à nouveau. La réponse allemande au retrait américain montre que leur gouvernement n’est pas d’humeur à avoir une autre mobilisation et des manifestations comme celles auxquelles elle a dû faire face après le déploiement des missiles Pershing II, lorsque des centaines de milliers de personnes, menées par l’ancien chancelier, le très respecté Willy Brandt, se sont opposées aux Pershing. Des mouvements de protestation se sont également manifestés ailleurs en Europe, où les États-Unis déployaient des missiles de croisière. Par conséquent, une question supplémentaire intéressante pour l’administration américaine est la suivante : même si les États-Unis peuvent facilement mettre au point des missiles INF, où vont-ils les déployer, dans le contexte d’une Europe réticente, pour  » amener la Russie à une hypothétique soumission  » ?

Et si les Etats-Unis ne peuvent pas ramener l’Europe au bercail, c’est-à-dire l’obliger à inverser la trajectoire actuelle de ses relations avec la Russie, à quoi servira le retrait si ce n’est qu’il ouvrira la voie au développement de nouveaux systèmes de missiles, ce qui permettra au complexe militaro-industriel américain de poursuivre ses activités ? Mais la question de savoir qui achètera ces systèmes, sinon l’Europe, reste ouverte.

Alors que les Etats-Unis pourraient vouloir impliquer leurs alliés asiatiques en vendant la  » peur  » de l’expansionnisme et de la menace chinoises, l’Europe resterait peut-être à l’écart non seulement en raison de leurs différences et clivages mutuels sur des questions telles que l’accord nucléaire en Iran, mais également parce que les Etats-Unis, malgré leurs accusations, n’ont toujours pas réussi à réellement convaincre l’Europe sur le comportement qu’ils attribuent à la Russie concernant les violations du traité, car aucun Européen n’a réellement accusé la Russie de telles violations.

Source :  journal-neo.org

Traduction  Avic Réseau International

 reseauinternational.net

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