27/11/2018 investigaction.net  11min #148831

 De la crise symbolique à la crise politique

Lettre d'un camarade à ses camarades Cgt, à propos de la lutte des « gilets jaunes »

27 Nov 2018

Article de :  Fodé Roland Diagne

Alors que le comité Adama, le comité des sans-papiers et d'autres organisations issues des quartiers populaires appellent à manifester aux côtés gilets jaunes le 1er décembre, Roland Diagne adresse une lettre à ses camarades de la CGT. Il attire l'attention sur le fait que les récentes actions ne portent pas uniquement sur la taxe du diesel et appelle à faire revivre le syndicat de classe et de masse qui a permis de gagner tant de conquis sociaux par le passé.

Depuis le 17 novembre 2018, les travailleurs et citoyens "gilets jaunes" sont dans l'action contre cette énième agression contre nos intérêts de classe qu'est l'augmentation du prix du carburant par le biais d'une nouvelle taxe. Ce mouvement dans un contexte colonial prend la forme d'une quasi-insurrection populaire à l'Île de la Réunion.

Nous savons tous que le prétexte "écologique" à ce nouvel renchérissement de la vie des travailleurs et nos familles, est un faux et usage de faux permanent comme l'ont été tous les prétextes pour justifier la "loi travail", "les réformes Macron" que nous avons combattues avec courage de toutes nos forces, sans les stopper.

Deux faits récents démontrent à suffisance le mensonge attrape-nigaud Macronien de "taxe pour l'écologie": l'écolo-libéral de service qu'est N. Hulot, après avoir ravalé ses promesses non tenues, a jeté l'éponge sans aucune dignité - la longue grève de nos camarades cheminots contre une libéralisation-privatisation anti-écologique de la SNCF.

Nous savons aussi d'expérience qu'à chaque lutte que nous menons, l'intoxication et la manipulation gouvernementale, patronale et médiatique sont systématiques pour dénaturer, isoler notre combat voire dresser le reste de la population contre nous. Ces procédés montrent que le mensonge fait partie des méthodes de manipulation des exploiteurs capitalistes et de leurs commis gestionnaires de l'appareil d'état, dans leur lutte de classe contre le monde du travail.

Rejetons le mensonge de "fascistes" pour caractériser la lutte des "gilets jaunes"

Dès l'annonce de leurs actions de blocage, les média-mensonges ont utilisé le mot "taxe" pour dénoncer le "poujadisme". Ensuite, a été mis en avant le fait que "c'est un mouvement pas organisé et sans leader" pour suggérer " la récupération par l'extrême droite". Pour jeter l'opprobre sur ces actions combatives de la colère populaire, la propagande bourgeoise et gouvernementale, jusqu'ici férocement antisyndicale, en particulier anti-CGT, a connu brusquement une mue pour vanter les "syndicats qui, au moins, déclarent leurs parcours, sont organisés et sont des interlocuteurs responsables" (sic!).

Contre cette révolte spontanée de masse (300.000 selon la police et 1 million 400.000 selon la presse étrangère), le gouvernement loue les services des "corps constitués" syndicaux présentés comme les rouages républicains du système, système qui ne tolère le droit constitutionnel de manifester tant que ça ne bloque pas l'économie ! C'est exactement par ce même procédé que JC Juncker de la Commission Européenne justifie le vote parjure des parlementaires contre le référendum victorieux du NON au TCE, quand il dit qu' «Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens».

La caractérisation de "mouvement fasciste" des "gilets jaunes" est un sous-produit de la caractérisation de "populiste" que l'on balance à tout propos dès qu'on fait référence au peuple. L'élite bourgeoise et ses thuriféraires ne supportent pas que la "populace", les "prolos", les artisans, les autoentrepreneurs, les Ubérisés, les petits commerçants ou patrons des PME et PMI, bref que le peuple se mêle des affaires de la cité, des affaires du pays et disent STOP à l'engraissement sans fin des actionnaires du CAC40, des firmes monopolistes au détriment de tous.

QUI donc veut coûte que coûte, nous faire croire que la colère populaire est "populiste" et "fasciste"? Il suffit d'entendre les revendications qu'exprime le ras le bol de la vie chère et contre QUI elles sont avancées : gouvernement et patronat. Alors nous comprenons que la propagande de Macron et celle de l'extrême droite fasciste déclamant son "soutien aux gilets jaunes" veulent nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Macron cherche tout simplement à fabriquer l'adversaire dont il a besoin. Le faux duel "droite/gauche" est démasqué, il s'agit maintenant de le remplacer par un autre faux duel "républicain/populiste", "européiste/nationaliste", "démocrate/fasciste".

REFUSONS D'ÊTRE LES IDIOTS UTILES QUI CONFONDENT LE DOIGT (la taxe) ET LA CHOSE QU'IL DÉSIGNE (la vie chère). C'est ce que nous devenons de fait si nous nous laissons prendre à ce piège qui nous met ainsi dans le camp du président ultralibéral Macron et des multinationales de l'essence et du diesel.

REFUSONS D'ETRE DES BRISEURS DE LUTTES CONTRE DES TRAVAILLEURS EN LUTTE au nom de la formule confusionniste et hypocrite selon laquelle, "la CGT ne manifeste pas avec l'extrême droite", ce qui est une façon de dire que les "gilets jaunes sont fascistes".

Ce que nous devons retenir c'est la justesse et la légitimité des revendications que nous partageons et, à partir de là, faire en sorte que, comme dans les grèves que nous organisons, tous les travailleurs soient unis dans le combat sur la base de leurs intérêts de classe au-delà de leur croyance, leur religion ou pas, leur choix politique personnel.

Les fascistes ne peuvent dévoyer les luttes sociales que si nous faisons la politique de la chaise vide dans le mouvement social, que si nous leur laissons, par stupidité et trahison syndicale, le terrain du combat social pour la satisfaction des revendications des masses contre la vie chère qui est synonyme de refus de la hausse des prix et donc de la baisse par ce moyen des salaires. La nature a horreur du vide.

Syndicalisme de classe et de masse

Notre pays compte à peine 8% de syndiqués dont près de 4% sont à la CGT. Nous sommes loin de faire le plein du syndicalisme de masse et de classe. Nous savons tous que les taxes (TIPP, CSG, TVA, etc) et la nouvelle taxe sur le diesel servent à FAIRE PAYER LA CRISE DU CAPITALISME, ses déficits, ses dettes, PAR LES TRAVAILLEURS.

Depuis 40 ans l'offensive libérale a pour objectif, LA BAISSE DES SALAIRES au nom de la "compétitivité" des entreprises capitalistes. Les principaux moyens pour réaliser cela sont la hausse des prix, le blocage des salaires, l'embauche de précaires dans le privé (intérim, cdd, saisonniers, journaliers, etc.) et dans le public (vacataires, contractuels, cdd, cdi, etc.). Tous les travailleurs du secteur privé et du secteur public sont de plus en plus frappés.

C'est se tirer une balle dans le pied pour le syndicalisme et en particulier pour la CGT que de se positionner en spectateur du combat des "gilets jaunes" au nom du fait que "ceux et celles qui sont dans l'action étaient absents du combat contre la loi travail et les contre-réformes Macron" ou encore parce que "la hausse des salaires n'est pas clairement revendiquée", etc.

Être hors de cette expression massive du ras le bol par la mobilisation des "gilets jaunes" pour de tels prétextes, c'est se tromper de colère, c'est dévoyer sa colère contre d'autres travailleurs et non le patronat et son gouvernement, c'est donner un coup de sabre à la nécessaire unité des travailleurs, c'est marquer un but contre son propre camp au profit des patrons et de leur gouvernement avant de se lamenter demain, que les travailleurs ne répondent pas à notre appel.

Être avec elles et eux dans l'action, c'est justement faire grandir la conscience de la nécessité d'un cahier revendicatif mieux élaboré, de l'unité de classe et des masses pour stopper et vaincre les agressions antisociales du grand patronat et du pouvoir politique libéral à son service.

A y regarder de plus près, ce mouvement des "gilets jaunes" peut et doit être considéré comme l'entrée dans le combat social des "abstentionnistes" jusqu'ici très souvent non-grévistes dans les combats que nous avons menés contre la destruction des conquis sociaux gagnés de haute lutte par nos anciens. Elles et ils sont aussi très souvent "abstentionnistes" dans les urnes lors des élections pour savoir qui parmi les politiciens au service de la bourgeoisie va régner pendant 5 ans.

Les "gilets jaunes" annoncent donc l'entrée en scène de la partie passive du monde du travail, celle qui faisait confiance au système bourgeois, celle qui patientait jusqu'ici, celle qui acceptait de se serrer la ceinture en attendant le "ruissellement promis".

Mais les "gilets jaunes" sont aussi ceux et celles qui commencent justement à comprendre qu'ils ont été les dindons de la farce du "ruissellement promis", alors que les fraudes fiscales et les dividendes (plus-value) en milliards d'euros des grands patrons du CAC40 s'étalent au grand jour.

Opportunité et tournant pour le syndicalisme CGT

Les luttes de ces dernières années, après la lourde défaite sur la retraite de 2010, ont été marquées par une poussée combative de la CGT, qui a montré à la fois le frein du réformisme opportuniste encore pesant à la tête et les limites de nos forces organisées de la base.

De la loi travail, aux ordonnances Macron jusqu'à la dernière lutte des cheminots, la base CGT suivie de Solidaires a mené un combat qui, même si il n'a pas permis d'arrêter l'attaque patronale et gouvernementale, nous mettait sur le chemin de victoires à venir. Il y a énormément de luttes défensives et partiellement offensives dans les taules qui se soldent par des victoires partielles et locales.

NOS POINTS FAIBLES, QUI CRÉENT UN CERTAIN MANQUE DE CONFIANCE DANS LE SYNDICAT DE LA PART DES TRAVAILLEURS SYNDIQUÉS OU NON SYNDIQUÉS MAJORITAIRES SONT : LE MANQUE D'UN CALENDRIER DE LUTTES INTERPROFESSIONNELLES CONFÉDÉRALES, L'ABSENCE D'EXPRESSION CONFÉDÉRALE DE LA COLÈRE QUI SOURDE DANS LES LIEUX DE TRAVAIL ET DANS LES FOYERS, L'ACCEPTATION DU SOI-DISANT "DIALOGUE SOCIAL" ATTRAPE-NIGAUD.

N'oublions pas les scandales que l'adversaire de classe s'empresse de diffuser en confondant délibérément l'ivraie et la bonne graine syndicale.

L'intégration du syndicalisme dans le système de la République bourgeoise pour en faire un élément des "corps constitués" est à terme la mort du syndicalisme de classe et de masse radicalement défenseur des intérêts du monde du travail contre les intérêts du capital.

Le mouvement des "gilets jaunes" hors du syndicalisme est une punition des dérives réformistes, carriéristes et de l'opportunisme du syndicalisme trop perçu, pas toujours à tort, comme une caste aristocratique et bureaucratique légaliste qui n'organise plus la colère et la combativité revendicative des masses laborieuses exploitées. Ce syndicalisme-là est, bien entendu, celui des composantes CFDT, FO, UNSA du "syndicalisme rassemblé" et qui par ce biais malheureusement déteint sur la tête de notre CGT.

Le mouvement des "gilets jaunes" fusionne des femmes et des hommes salariés, retraités, chômeurs, précaires, artisans, paysans, petits commerçants, petits patrons de PME/PMI, etc. contre la vie chère, tout comme l'avait fait précédemment les "bonnets rouges" en Bretagne. Il y a parmi eux des gens du peuple qui sont de droite, socialistes, anti-libéraux de gauche, communistes, anarchistes, sans étiquette politique pour la majorité et même d'extrême-droite.

Ce qu'elles et ils ont en commun, c'est le REFUS DE LA VIE CHÈRE DONT ELLES ET ILS SONT VICTIMES. C'est là où réside la RAISON FONDAMENTALE DE NOTRE ENGAGEMENT AVEC ELLES ET EUX POUR STOPPER LA BROYEUSE SOCIALE, QUI APPAUVRIT LE PEUPLE, LIQUIDE NOS CONQUÊTES DÉMOCRATIQUES ET DÉTRUIT NOS CONQUIS SOCIAUX.

Ce texte est un appel aux UL, UD, UP, CCN pour qu'à l'instar du NON AU TCE, LA CGT PRENNE TOUTE SA PLACE ET SOIT AVEC LES "GILETS JAUNES" POUR QUE VIVE LE SYNDICALISME DE CLASSE ET DE MASSE QUI A PERMIS DE GAGNER TANT DE CONQUIS SOCIAUX ET DÉMOCRATIQUES EN 36, 45, 68.

NOUS DEVONS ÊTRE DIGNES DE NOS ANCIENS ET MÉDITER CET ENSEIGNEMENT DU GRAND RÉVOLUTIONNAIRE PROLÉTARIEN SOVIÉTIQUE LENINE: "Quiconque attend une révolution sociale 'pure' ne vivra jamais assez longtemps pour la voir. Il n'est qu'un révolutionnaire en paroles qui ne comprend rien à ce qu'est une révolution. (...) La révolution...ne peut pas être autre chose que l'explosion de la lutte de masse des opprimés et mécontents de toute espèce. Des éléments de la petite bourgeoise et des ouvriers arriérés y participeront inévitablement : sans cette participation, la lutte de masse n'est pas possible, aucune révolution n'est possible. Et tout aussi inévitablement, ils apporteront au mouvement leurs préjugés, leurs fantaisies réactionnaires, leurs faiblesses et leurs erreurs. Mais objectivement, ils s'attaqueront au capital, et l'avant-garde consciente de la révolution, le prolétariat avancé, qui exprimera cette vérité d'une lutte de masse disparate, discordante, bigarrée, à première vue sans unité, pourra l'unir et l'orienter, conquérir le pouvoir, s'emparer des banques, exproprier les trusts haïs de tous (bien que pour des raisons différentes) et réaliser d'autres mesures... dont l'ensemble aura pour résultat le renversement de la bourgeoisie et la victoire du socialisme".

ALORS TOUS AVEC LES "GILETS JAUNES"!

pour dire à MACRON, le président des milliardaires:

"Les automobilistes, les travailleurs, les sans-papiers/

réfugiés/migrants ne sont pas des vaches à lait".

Diagne Roland, membre des Commissions Exécutives de la CGT Educ'Action Nord, de la FERC-CGT, de l'UD CGT Nord, de l'UL CGT Tourcoing. 21/11/2018

 investigaction.net