Comment les gilets jaunes ont-ils réagi à l'intervention du Président de la République ce 10 décembre et aux quelques mesures annoncées ? Basta ! a passé la soirée avec des gilets jaunes normands, à Caen. Pour eux et elles, le rétablissement de l'impôt sur la fortune (ISF) demeure une revendication centrale. « Si des mesures avaient été annoncées avant le début du mouvement, nous n'en serions pas là aujourd'hui », rappellent certains. Reportage.
« Bon, bah les gens sont en colère ! C'est bien ! » Quelques minutes après la fin du discours d'Emmanuel Macron, hier soir, les réactions des gilets jaunes rassemblés dans ce bar de Caen vont de la dérision à l'exaspération. Après trois semaines à enchaîner les occupations de ronds-points, ralentir les départs des camions des dépôts de carburant, obliger les principaux centres commerciaux de l'agglomération à fermer, les mots du Président de la République ne semblent pas avoir calmé la colère des gens présents ce soir-là.
Il y a d'abord ce que le Président a annoncé vouloir faire. Une augmentation du Smic de 100 euros ; l'annulation de l'augmentation de la CSG pour certains retraités ; des débats locaux à partir des mairies... Pour les gilets jaunes rassemblés dans le bar, ces annonces sont de la poudre de « perlimpinpin ». « L'augmentation du Smic, ok ! Mais quand le fait-il ? En 2019, mais quel jour ? Nous attendons des choses concrètes et pas qu'on demande à des patrons qui n'ont pas les moyens de verser une prime, estime Gaëtan, blessé il y a une semaine lors de l'évacuation par les CRS d'un rond-point. Et puis ce sont les salaires qu'il faut augmenter, pas uniquement le Smic, sinon, ceux qui sont juste au dessus du Smic n'obtiennent rien ! »
Ce n'est, en fait, pas vraiment le smic qui sera augmenté mais la prime d'activité versée par la Caisse d'allocations familiales aux salariés qui touchent un peu plus ou un peu moins que le smic (entre 900 et 1500 euros nets environ). L'augmentation progressive de cette prime d'activité était déjà prévue en 2019 et 2020. Sa mise en œuvre est donc accélérée. Une lycéenne franchit la porte du café. « Est-ce que vous venez bloquer mon lycée, demain ?, demande-t-elle. Si c'est le cas, je ne vais pas en cours. » Sa remarque fait rire les gilets jaunes. « Bloque-le, et on viendra t'aider ! », lui répond l'un d'eux.
« On ne peut pas être dirigés par les banques »
« Nous, on paie pour nos parents qui n'ont pas assez de retraites. Et nous devrons aussi payer pour nos enfants, explique Gaëtan à propos des raisons qui l'ont poussé à rejoindre le mouvement. Nous ne pouvons pas faire les deux en même temps. Avant, c'était la classe populaire qui n'arrivait pas à boucler les fins de mois. Désormais, c'est la classe moyenne. » Hier soir, plus que les annonces du Président qui déçoivent, c'est son style que les gilets jaunes continuent de trouver « méprisant ». « Il dit sans cesse « je », et pas « nous » », avance Gaëtan pour qui « on ne peut pas être dirigés par les banques ».
« Emmanuel Macron nous a bien flattés et a essayé de se mettre à notre niveau. Mais on sent bien qu'il n'est pas dans le même monde que nous », estime Jérémy, qui réalise régulièrement des directs sur Facebook sur les actions des « gilets jaunes ». C'est parce que les fins de mois sont difficiles que Jérémy s'est lancé dans la lutte. « Pour pouvoir nous acheter une maison, nous avons dû nous éloigner de Caen, donc acheter une voiture pour nous rendre au travail. Je fais 60 km par jour, ce qui me coûte 350 euros d'essence par mois. Et je rembourse tous les mois le prêt que j'ai dû faire pour acheter ma voiture, en plus du prêt de ma maison. On gagnait plus d'argent quand ma femme ne travaillait pas et qu'elle pouvait garder notre enfant à la maison. Ce qui est absurde ! »
« Que les riches paient autant d'impôts proportionnellement que les pauvres »
Pour Jérémy, les annonces du Président ne sont pas assez concrètes. « En quoi mon pouvoir d'achat va augmenter ?, demande-t-il. Les classes moyennes vont rester pauvres. » « Quand Emmanuel Macron défend sa décision de ne rien changer à l'ISF, on a l'impression que nous sommes des méchants qui s'attaquent aux riches, raconte Gaëtan. Mais on demande juste à ce que les riches paient autant d'impôts proportionnellement que les pauvres. »
« Cela va dégénérer », lance un gilet jaune pour qui la revendication principale d'une baisse des taxes n'est pas écoutée. « On commence à être exaspérés », exprime une autre personne. « Jusqu'à maintenant, les gens sont pacifiques », prévient-elle en référence au mouvement caennais. Gaëtan réclame un « référendum citoyen », pour « au moins pouvoir discuter, être représentés, ce qui n'est pas le cas actuellement » [1].
« C'est notre force d'avoir de petits groupes partout »
Seul un référendum initié par le Président de la République avec une démission en jeu pourrait calmer la colère des gilets jaunes et éviter les violences, estime Jérémy. « Si des mesures avaient été annoncées avant le début du mouvement, nous n'en serions pas là aujourd'hui. Mais désormais, ce que j'entends autour de moi, c'est que les gens veulent la démission de Macron. » Pour le gilet jaune, la structuration du mouvement n'est pas utile. « On essaie de combattre un système qui voudrait qu'on se structure. C'est notre force d'avoir de petits groupes partout. »
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« Nous ne reprendrons pas le cours de nos vies [...]. Mon seul souci, c'est vous ! », a conclu Emmanuel Macron. Quelques minutes après la fin du discours, Jérémy a interpellé la communauté Facebook des Automobilistes normands en colère, un groupe rassemblant plus de 62 000 citoyens. « Alors, vous en avez pensé quoi de notre Président ? », questionne l'affichette de couleur grenat. En une heure, 1600 personnes ont donné leurs avis. Parmi les avis, on pouvait lire : « Du pipeau. » « Petit pas en avant pour te mettre en gros coup pied au Q après. » « Acte 5 » « Ne rien lâcher. »
Simon Gouin
Photo : rassemblement de gilets jaunes à Vesoul, le 17 novembre / Wikimédia Commons
Notes
[1] Le référendum citoyen : leparisien.fr