15/12/2018 reporterre.net  8 min #149660

Jour 2 : un enthousiasme douché par les Polonais et... par les Français

Cop 24 : prolongation fastidieuse pour un accord sans ambition

La négociation s'est poursuivi malaisément à Katowice vendredi 13 décembre. Les Etats-Unis et l'Arabie saoudite freinent autant qu'ils peuvent, tandis que les Européens sont peu présents. La conférence est prolongée jusque samedi midi.

Tous les jours, notre envoyée spéciale vous raconte les coulisses, les anecdotes et les coups de théâtre de la COP24, qui se déroule en Pologne, du 2 au 14 décembre. L'intégralité du journal est à retrouver  ici.

  • Katowice (Pologne), envoyée spéciale

Au 12e et dernier jour officiel de la COP, vendredi 14 décembre, les négociations et les marchandages ont tourné à plein. Beaucoup se disaient convaincus qu'un accord serait trouvé, mais personne ne pouvait prédire à quel moment et avec quelle ambition. Il est attendu samedi à la mi-journée.

« Le ministre #FdeRugy ne peut pas retourner à la #COP24 pour les dernières heures de négociation. Il a RDV avec le patron du lobby de l'automobile français ». Ce tweet de Maximes Combes, le porte-parole d'Attac, a fait sourire plus d'un membre de la délégation française à la COP. Sourire jaune en fait... Car contrairement au ministre français de l'Environnement qui a décrété la semaine dernière lors de son passage-éclair à Katowice que cette COP n'était qu'une « conférence de transition », tous à Katowice ne cessent de répéter l'énorme enjeu qu'elle représente pour l'avenir de l'action climatique.

Durant toute la journée de vendredi, les pays les plus vulnérables - Etats insulaires et pays les plus pauvres -, mais aussi les ONG ont multiplié les déclarations pour faire comprendre aux pays riches, notamment les Etats-Unis, que le déni n'est plus de mise.

Pour rappel, cette COP a trois enjeux :
la publication du rulebook, une sorte de notice de l'Accord de Paris qui précise ses règles d'application et permette enfin sa mise en œuvre,
l'engagement des Etats à relever d'ici 2020 leurs objectifs de réductions des émissions de gaz à effet de serre (les Nationally determined contributions, NDC),
et la promesse par les pays développés de nouveaux financements pour aider les pays les plus pauvres à s'adapter à la nouvelle donne climatique.


« Il ne reste que douze ans » rappellent des lycéens polonais.

Depuis jeudi soir et la première esquisse de texte fournie par la présidence polonaise - le « draft » -, les délégations planchent d'arrache-pied pour obtenir des améliorations. « Nous ne sommes pas encouragés par le texte que nous avons sur la table. C'est dramatique de voir comment des pays comme l'Arabie Saoudite et les Etats-Unis peuvent saccager un accord », se lamentait Sara Shaw, de l'ONG Friends of the Earth. Ce draft est « tiède et incohérent », jugeait pour sa part le Climate Action Network, regrettant qu'il ne contienne « pas d'engagement clair pour renforcer les engagements des pays d'ici 2020 ». Sarah Lickel du Secours Catholique se montrait elle très dure : « le rulebook ne règle rien. Il devrait présenter des garanties, notamment sur les droits humains. Quand on voit ce qui se passe en France avec les Gilets jaunes, on comprend qu'il est essentiel d'allier exigence sociale et ambition climatique ».

« They don't care about us » (« Ils ne se soucient pas de nous ») : ce morceau de Michael Jackson qu'ont chanté dans la matinée 30 élèves polonais ayant lancé une grève de l'école à l'appel de la jeune Suédoise Greta Thunberg, a résonné toute la journée comme une rengaine dans les couloirs de la COP. « Beaucoup de gens pensent qu'on est trop petits pour compter mais ce n'est pas vrai », a dit Gosha, 15 ans, au nom de ses camarades.


« Beaucoup de gens pensent qu'on est trop petits pour compter mais ce n'est pas vrai »

La Malaisienne Meena Raman, de l'ONG Friends of the Earth, a beau user de mots différents, elle ne dit pas autre chose. Les petits, les pauvres doivent compter, tandis que les riches doivent leur venir en aide. Au cœur des négociations, comme à chaque COP depuis 24 ans, le principe des responsabilités communes mais différenciées (CBDR) : si tous les Etats sont responsables du réchauffement climatique, leurs efforts doivent être modulés en fonction de leur responsabilité historique - les pays les plus anciennement industrialisés doivent faire plus - et des moyens dont ils disposent. Meena Raman regrette que les Etats les plus riches tardent à transférer leurs technologies innovantes vers les pays moins bien pourvus et ne leur assurent pas plus de financements. En 2018, les Etats ont pourtant promis 129 millions d'euros pour le fonds d'adaptation, un chiffre record. Malheureusement, ce n'est encore qu'une goutte d'eau au vu des besoins qui se comptent en milliards. « Les Etats-Unis, poursuit Meena Raman, sont en train d'effacer [dans les textes en négociation] toutes les références à l'équité et à la responsabilité historique des Etats. »

« C'est fascinant d'entendre parler d'un côté des pays qui parlent de survie et de l'autre des pays qui parlent d'intérêts économiques », observe le ministre costaricain de l'Environnement Carlos Manuel Rodriguez.

Les points de blocage

Dans le rulebook, trois points font l'objet d'accrochages plus intenses :

les pertes et préjudices (loss and damage) : les pays en voie de développement veulent absolument voir apparaître ce point, pour s'assurer qu'à l'avenir les pertes irréversibles causées chez eux par des événements extrêmes soient véritablement prises en compte. Or dans le draft, cette question n'apparaissait que dans une note de bas de page.

la transparence : pour s'assurer que les Etats réalisent correctement leurs NDCs, l'Accord de Paris prévoit des règles de suivi. Tandis que les Etats-Unis plaident pour des règles strictes et identiques pour tous, les pays les moins avancés, mais aussi la Chine, réclament une plus grande flexibilité, arguant qu'ils n'ont pas encore les moyens d'un tel suivi.

l'article 6 : assez incompréhensible pour les béotiens, il concerne « les mécanismes de compensation et des valeurs non-marchandes ». Il s'agit des règles qui devront s'appliquer sur le marché planétaire des émissions carbonées, ce marché où ceux qui polluent le moins ont la possibilité de revendre des quotas à ceux qui polluent le plus.

En plus du rulebook, qui devrait faire une centaine de pages, les ministres et leurs délégués bataillent sur une autre difficulté, peut-être la plus épineuse : sous quel terme sera-t-il fait référence dans la décision finale - qui accompagnera le rulebook - au rapport spécial du GIEC sur les impacts d'un réchauffement de 1,5° C ?


Mohamed Nasheed : « Nous ne pouvons négocier avec les lois de la physique, c'est la science, la science, la science. »

La logique voudrait que ce rapport figure en bonne place puisque c'est sur ces résultats scientifiques que se base l'action climatique engagée par les Etats. Malheureusement quatre pays - les Etats-Unis, la Russie, le Koweït et l'Arabie Saoudite - se sont opposés à ce que la décision « salue » (welcome) ce rapport, préférant qu'elle en « prenne note » (note), une expression insuffisante aux yeux des pays insulaires et de l'Union européenne. Une tiédeur, voire un déni scientifique, qui irrite le groupe des 47 pays les moins avancés, ainsi que celui des 48 pays les plus vulnérables (CVF), emmené par l'ancien président des Maldives Mohamed Nasheed. « Si nous ne trouvons pas un arrangement approprié, a-t-il prévenu, cela rendra l'Accord de Paris inutile. Les coraux mourront, nous perdrons notre biodiversité... Nous avons une fenêtre d'opportunité de 12 ans, la science est très claire. Nous ne pouvons négocier avec les lois de la physique, c'est la science, la science, la science. »

Mais que feront-ils si les Etats-Unis, ou d'autres pays, ne reconnaissent pas le travail du GIEC, ou encore si l'accord n'est pas assez ambitieux à leur goût ? « Nous mettrons notre veto », a répondu posément M. Nasheed.

Depuis quelques jours, les alliances se sont multipliées pour rehausser l'ambition. Ainsi de la Coalition pour une Haute Ambition, avec quelque 70 pays dont la France et l'Allemagne, ou celle de l'Urgence composée de 90 pays vulnérables ou peu avancés. Alors que les désaccords semblaient insurmontables - le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres a d'ailleurs jugé bon de revenir vendredi à Katowice pour mettre de l'huile dans les rouages -, les habitués, eux, restaient confiants sur la conclusion d'un accord.

Vendredi soir, on apprenait la tenue d'une séance plénière à 4 heures du matin, suggérant un consensus aux petites heures du matin. Mais cette nuit, vers 4 heures justement, une nouvelle ligne est soudain apparue sur les écrans bleus de la COP : « PLENIERE 10H - DISCOURS DE CLOTURE 12 -14H »...

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