Les Allemands sont très mécontents de leur gauleiter de l'Élysée... Ainsi pourrait-on résumer, sous forme à peine caricaturale parce que sollicitée par le ton des commentateurs allemands, les réactions du monde financier allemand dont ces commentateurs se font les porte-voix. Ce qui n'est pas passé, c'est la « capitulation » de Macron devant la « populace jaune » (les termes sont ceux d'un article du rédacteur en chef des questions financières Olaf Gersemann du grand quotidien Die Welt, qui a énormément d'antennes dans le monde financier allemand).
WSWS.org fait un compte-rendu de l'article de Die Welt, et d'autres, après l'allocution lundi du président français, nous donnant ainsi une bonne synthèse des réactions allemandes, du monde de la finance bien entendu, devant l'attitude du pouvoir français face à la crise des Gilets-Jaunes. Il apparaît que la crise actuelle, et surtout la réaction de Macron devant les Gilets-Jaunes, constituent un motif d'intense inquiétude pour la direction allemande, très fortement sinon exclusivement influencée par l'aspect de l'orthodoxie financière. Cette phrase de Gersemann, du même Die Welt, nous dit tout à ce propos : «La réaction du président français à la populace jaune doit sonner l'alarme à Berlin: Emmanuel Macron n'est pas un partenaire dans le sauvetage de l'euro et de l'Europe, mais un facteur de risque. »
WSWS.org développe alors l'idée que la réaction des milieux financiers allemands tient également et peut-être surtout à la crainte d'un effet de contagion, en Allemagne comme en Europe, dont on a vu déjà certains signes, comme dans d'autres pays tels que la Belgique et les Pays-Bas. L'hypothèse qu'explore alors le site trotskiste est celui de la possibilité de l'instauration d'une dictature face à ces troubles sociaux, parlant en cela pour l'Allemagne alors que l'hypothèse en a déjà été faite pour la France. Contrairement à certaines interprétations qui parent les Gilets Jaunes de capacités permettant d'établir une dictature de type révolutionnaire et populaire (prolétarienne, etc.), c'est effectivement à notre sens du côté du et des pouvoirs en place (Emmanuel Todd le notait dans ce sens) qu'il faudrait envisager un "coup de force", ou "coup d'État" si l'on veut, pour se donner les moyens de tenter de rétablir l'ordre et d'établir un ordre enfin convenable pour le Système ; nous le notions de cette façon le 9 décembre 2018 :
« Si "coup d'État" il devait y avoir, ce ne serait évidemment ni des Gilets-jaunes ni d'aucun des groupes qui s'agglomèrent à l'occasion, avec plus ou moins de succès, et qui n'ont pour ces derniers qu'une capacité barbare de destruction aveugle. Il viendrait du pouvoir, au travers des mesures d'exception ; pour cela, il lui faudrait le soutien sinon l'adhésion des forces de sécurité (police, armée), qu'il n'a en aucune façon. »
Bien entendu, en évoquant cette possibilité d'un "coup de force" venu du pouvoir, WSWS.org y implique aussitôt AfD d'extrême-droite selon la tendance irrépressible de nombre de courants de gauche, des sociétaux aux plus extrêmes, de concevoir que tout ce qui est à droite est du côté du pouvoir capitaliste et donc d'un "coup d'État" de ce pouvoir. Vivant dans l'obsession centenaire du fascisme du XXème siècle sans en avoir compris la véritable structure, ces courants semblent tout autant incapables de comprendre la véritable orientation nécessairement antiSystème et anticapitaliste d'une partie importante de la droite du XXIème siècle (essentiellement les parties populiste et souverainiste). Cette impuissance intellectuelle est une des grandes faiblesses de la résistance antiSystème aujourd'hui. Elle se marque en France par l'attitude absolument sectaire de la gauche-Mélenchon vis-à-vis de tout ce qui fait ce qu'on pourrait désigner comme la "droite populiste et souverainiste". Au reste, le texte de WSWS.org prend implicitement à son compte cette contradiction à laquelle il sacrifie allégrement lorsqu'il décrit l'opposition de la finance allemande à l'orientation de l'Italie par exemple, la finance allemande en faisant justement une adversaire de l'ensemble "Bruxelles-Berlin-euro", de tendance globaliste et capitaliste, alors que ces mêmes trotskistes de WSWS.org lorsqu'ils parlent spécifiquement de l'Italie, parlent d'un gouvernement à tendance fasciste dont ils estiment qu'il est objectivement complice du capitalisme globalisé, donc de l'ensemble "Bruxelles-Berlin-euro". L'acrobatie est révélatrice
Une chose est intéressante dans tous les cas dans ce texte, c'est la sensation très claire qu'il laisse deviner que la crise GJ-Macron a provoqué une panique considérable dans les milieux financiers allemands, qui comptent (comptaient) effectivement sur un service impeccable du gauleiter Macron pour parvenir à imposer une structure complètement globaliste et capitaliste néo-libérale à l'Europe, et surtout à la France. La mise en évidence que, selon eux, Macron "ne fait pas le poids" est un motif de très grande inquiétude, voire de panique. L'Europe-allemande est en train de perdre son auxiliaire le plus précieux, et maintenir la structure Europe-UE dans l'état de vie artificielle qui est le sien depuis plusieurs années désormais, au moins depuis 2005-2008, devient ainsi une tâche quasiment surhumaine...Comme on le voit, il y a beaucoup d'interférences surhumaines dans cette affaire.
Le texte de WSWS.org est du 15 décembre 2018, de Peter Schwarz, avec le titre complet de : « Un quotidien allemand accuse Macron de capituler devant la "populace jaune" »
dedefensa.org
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Macron capitule devant la « populace jaune »
La presse économique allemande réagit avec indignation à la tentative du président français Emmanuel Macron d'apaiser le mouvement de protestation des «gilets jaunes» par des concessions sociales. Bien que les mesures annoncées par Macron dans un discours télévisé lundi soir soient négligeables et ne contribuent en rien à éliminer les inégalités sociales contre lesquelles les protestations sont dirigées, les médias l'accusent de capituler devant la «populace» et de compromettre ainsi la stabilité de l'euro et l'Union européenne.
«La réaction du président français à la populace jaune doit sonner l'alarme à Berlin: Emmanuel Macron n'est pas un partenaire dans le sauvetage de l'euro et de l'Europe, mais un facteur de risque», explique Olaf Gersemann dans le quotidien Die Welt.
Le rédacteur en chef de l'économie, des finances et de l'immobilier peut difficilement contrôler sa colère. Il s'exclame avec colère qu' au lieu de «veiller à ce que le salaire minimum n'augmente que modérément ou de préférence pas du tout», Emmanuel Macron dépose les armes. Pendant des semaines, «les vestes jaunes ont fait rage en France». Mais au lieu de «s'opposer aux excès» et de «passer à l'offensive», Macron a raté l'occasion et légitimé les émeutes a posteriori en «rampant devant la foule qui brûle des voitures».
On a toujours espéré, poursuit Gersemann, «que Macron devienne le Gerhard Schröder français: un homme qui, le cas échéant, mettrait aussi sa fonction en danger pour faire ce qui est juste en termes de politique économique». (Le chancelier allemand Gerhard Schröder, un social-démocrate, a perdu son poste prématurément en 2005 après avoir fait adopter son agenda 2010 antisocial contre une résistance acharnée.) Mais maintenant, la France menace de «trébucher derrière l'Italie en route vers la troisième classe».
Pour l'Allemagne, c'est une «mauvaise nouvelle», tant sur le plan économique que politique, se plaint Die Welt. Tant que Paris sera du côté de Berlin, la transformation de l'union monétaire en une union de transfert pourra être évitée. Si, d'autre part, Paris prend le parti de l'Italie et de l'Espagne, la construction bascule. C'est pourquoi Berlin doit maintenant se demander ce qu'il faut faire «si l'Allemagne n'a pas à traiter avec une seule Italie dans l'union monétaire et l'UE, mais avec deux.»
L'ancien rédacteur en chef du Handelsblatt, Gabor Steingart, argumente de la même manière. Dans son briefing du matin, il affirme que la «générosité» de Macron coûte 10 milliards d'euros par an, une facture qui serait «tôt ou tard envoyée à la BCE (Banque centrale européenne) (...) À Francfort, Mario Draghi devrait commencer à imprimer des billets: Vive le déficit !»
Derrière ces commentaires se cache le langage de la dictature.
La protestation des «gilets jaunes», déclenchée par l'augmentation de la taxe sur les carburants, s'est rapidement transformée en un vaste mouvement de masse contre les inégalités sociales soutenu par la grande majorité de la population française. Après des décennies de coupes sociales et de redistribution des revenus et des richesses vers le haut, elle est devenue l'expression de la colère de la classe ouvrière et de larges couches de la population qui ne peuvent plus joindre les deux bouts à la fin du mois, alors qu'une petite minorité vit dans le luxe.
L'ancien banquier d'affaires Emmanuel Macron incarne cette aristocratie financière. La brutalité avec laquelle il réduit les prestations sociales n'est dépassée que par son arrogance personnelle. Dès le début, son gouvernement a brutalement réprimé les manifestations. Rien que le week-end dernier, près de 90.000 policiers lourdement armés ont été déployés, attaquant sans avertissement de grandes foules de manifestants avec des grenades lacrymogènes et des canons à eau. 1723 participants ont été arrêtés selon le décompte officiel.
Ce n'est que lorsque le mouvement n'a pas pu être intimidé par une violence brutale que Macron a décidé de battre en retraite tactiquement. Ses promesses sont une tentative évidente de gagner du temps pour paralyser le mouvement, le diviser, armer davantage la police et serrer les rangs avec les autres partis et les syndicats, tous bouleversés par les manifestations de masse.
Lorsque la presse économique allemande accuse néanmoins Macron de capituler, ce n'est pas seulement par souci de la stabilité de l'euro, dont le capital allemand bénéficie comme aucun autre et dont il se sert pour dicter sa politique d'austérité à toute l'Europe. Elle le fait principalement par crainte que les protestations en France ne s'étendent à l'Allemagne.
Les contradictions sociales contre lesquelles les «gilets jaunes» se rebellent existent sous une forme similaire dans tous les pays du monde, y compris en Allemagne. La stagnation des salaires, l'augmentation des bénéfices et les conséquences de l'Agenda 2010 ont fait de l'Allemagne le pays le plus inégal en Europe. Il est en train de bouillir sous la surface. Les bas salaires, le stress croissant et les conditions inacceptables rendent insupportable le travail dans de nombreux secteurs - hôpitaux, services postaux, commerce de détail, etc. Lundi dernier, une grève massive a en grande partie paralysé les chemins de fer allemands pendant des heures. Chez Bayer, Ford, Opel, VW et de nombreuses autres grandes entreprises, des centaines de milliers d'emplois sont menacés.
En même temps, la classe dirigeante réagit à la crise de l'Union européenne et aux conflits commerciaux avec les États-Unis par une politique militariste de grande puissance. Le politologue Herfried Münkler avait déjà demandé il y a trois ans que l'Allemagne devienne la seule superpuissance européenne. «À la longue, ne peut être "intendant" que celui qui est prêt à jouer le difficile rôle de "maître de discipline"», écrit-il dans son livre «Le pouvoir au centre». Ceci est maintenant le consensus parmi les élites dirigeantes.
La politique des grandes puissances, le militarisme et la redistribution en faveur des riches ne sont pas compatibles avec la démocratie. Le commentaire de Die Welt l'exprime ouvertement. Il exige qu'un président ou un chancelier ne se soumette pas à la volonté démocratique de la majorité, mais qu'il s'oppose à la majorité et, si nécessaire, mette sa fonction en danger «pour faire ce qui est juste en matière de politique économique». Ce qui est «juste en matière de politique économique» est déterminé par les représentants des banques; c'est le marché boursier et non les besoins de la société qui en décide.
Les nouvelles lois totalitaires sur la police, l'expansion d'un appareil de surveillance complet, les liens étroits entre les services secrets et les extrémistes de droite et la cour faite à l'AfD par les médias et tous les autres partis au Parlement montrent tous à quel point les préparatifs pour une dictature sont déjà avancés. Bien que le parti d'extrême droite n'ait obtenu que 12,6 % des voix, il donne maintenant le ton à la politique du gouvernement en matière de réfugiés et dans de nombreux autres domaines.
Les manifestations en France ont confirmé qu'une lutte contre le gouvernement des riches ne peut être menée qu'en dehors et indépendamment des syndicats et des partis nominalement «de gauche», qui travaillent en étroite collaboration avec l'État et le gouvernement et défendent le capitalisme contre toute menace venant de la base.
Pour mener cette lutte vers le succès, il faut un programme socialiste. La classe ouvrière ne doit pas se laisser diviser et doit s'unir au niveau international. Elle doit construire ses propres organes indépendants, des comités d'action, pour organiser la lutte. Elle doit se battre pour que les gouvernements ouvriers et les États socialistes unis d'Europe exproprient les biens de l'aristocratie financière et mettre l'économie sous le contrôle démocratique des travailleurs. (...)