17/12/2018 reporterre.net  24 min #149748

Jour 2 : un enthousiasme douché par les Polonais et... par les Français

La Cop24, le journal jour après jour

Tous les jours, notre envoyée spéciale vous raconte les coulisses, les anecdotes et les coups de théâtre de la COP24, qui se déroule en Pologne, du 2 au 14 décembre.

  • Katowice (Pologne), envoyée spéciale

 Samedi 15 décembre : la COP24 sauve l'Accord de Paris, mais pas plus

La COP24 a finalement accouché d'un accord, samedi soir 14 décembre à Katowice, en Pologne. Si la « notice » pour l'application de l'Accord de Paris a été adoptée, le bilan global est très décevant.

Au premier plan, des ministres et des délégués nationaux qui s'enlacent, s'embrassent ou se tapent sur l'épaule, pour se féliciter de l'accord obtenu de haute lutte. De l'autre, des ONG et des pays quasi-condamnés par le changement climatique, la tête basse, qui encaissent pour la énième fois un uppercut dans l'estomac. Samedi soir, après avoir suivi durant deux semaines la 24e conférence onusienne sur le Climat, j'ai vu le rideau tomber sur cette scène jouée mille fois : celle de la fracture entre deux univers irréconciliables, le monde politique des négociations internationales et celui la société civile, humain et ancré dans le réel.

Petit retour en arrière. La journée du samedi avait commencé par... mon départ. Comme la plupart des journalistes accrédités à Katowice, j'avais en effet prévu un retour à Paris au lendemain du dernier jour de la COP. Mon vol repartait samedi à midi. Vendredi soir, la bataille semblait acquise puisque la plénière de clôture était programmée à 19 heures. C'était sans compter son report à 4 heures du matin, puis 10 heures, puis midi... Et ainsi de suite jusqu'à samedi 21h30. Sept reports en tout !

Les résultats de la négociation en bref :

  • Rôle des marchés d'émission : reporté à la discussion de l'an prochain ;
  • adoption de la notice (rulebook) d'application de l'Accord de Paris ;
  • pas de prise en compte des droits humains
  • peu d'avancée pour les pays pauvres ;
  • approbation réticente du rapport du Giec.


Un délégué ministériel salue l'accord signé samedi soir à Katowice.

Pourquoi ? Parce que dans la dernière ligne droite le Brésil a bloqué le processus. L'enjeu : le nébuleux article 6, article qui traite des marchés carbone, ces bourses d'échange où un grand pollueur peut acheter des quotas d'émission de CO2 à un pays plus propre. Rio craignait que les réductions d'émission puissent être comptabilisées doublement, à la fois par le pays concerné et le pays acheteur. Après des heures d'une bataille acharnée, le Polonais Michal Kurtyka, qui préside la COP, a finalement décidé de lâcher l'affaire et de repousser ce point à la COP25, qui se tiendra en novembre 2019 au Chili.

C'est alors que le représentant de la Turquie a pris la relève, remettant sur la table un dossier qu'elle rouvre à chaque COP depuis des années, à propos du statut particulier de la Turquie qui ne lui permet pas de bénéficier des aides financières liées au climat. Un psychodrame qu'il a fallu des heures pour éteindre, jusqu'à, enfin, à 21h25, la réouverture de la séance plénière. C'est donc sur mon écran d'ordinateur que j'ai vécu l'annonce de l'accord de Katowice et l'effusion de joie des délégués, se pressant tous à la tribune pour embrasser le président Kurtyka ou faire une photo-souvenir à ses côtés. Soudain, durant quinze minutes, le monde entier n'était plus qu'amour et selfies.

Si l'on se glisse dans la peau des diplomates, la COP24 est un succès. Car elle est parvenue à accomplir la mission qu'elle s'était fixée : adopter une notice le rulebook qui définit les règles d'application de l'Accord de Paris approuvé en 2015 et qui vise à réduire à réduire les émissions de gaz à effet de serre pour maintenir le réchauffement de la planète sous 2 °C, voire 1,5 °C, par rapport à la fin du XIXe siècle. Les 133 pages de la notice adoptée samedi soir n'ont rien de très palpitants ; il s'agit d'alinéas extrêmement techniques, malgré tout essentiels pour donner vie à l'Accord de Paris. A l'heure où des pays comme les États-Unis et le Brésil deux poids lourds de la scène internationale refusent de prendre au sérieux l'urgence climatique, menaçant de briser les fragiles avancées réalisées jusqu'ici, la signature d'un accord restait une gageure. Le texte adopté a beau n'assurer que le strict minimum, il a le mérite d'exister.

« Cela a été une longue route, a résumé Michal Kurtyka, samedi soir en s'adressant aux délégués en plénière avant l'adoption définitive du texte. Vous avez travaillé sur ce paquet pendant trois ans. Avec quasiment 200 pays, il est difficile de trouver un accord. [...] Nous devons tous abandonner un peu individuellement pour gagner collectivement. » Une « victoire du multilatéralisme » saluée par le représentant de la Chine, Xie Zhenhua, ou encore, dans un message, par le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, qui en quinze jours n'a pas hésité à venir trois fois dans l'ancienne ville minière de Katowice pour aider à décrocher un accord.

Le problème est que beaucoup attendaient que les États profitent de cette COP pour relever leurs ambitions en matière de lutte contre le changement climatique. C'est ce qu'a exprimé samedi soir en plénière le représentant de l'ONG Climate Justice Now : « Aucun d'entre nous n'espérait que la COP24 sauverait le monde, mais on attendait mieux, et on méritait mieux. »


Le représentant de l'ONG Climate Justice Now et à sa gauche Alden Meyer (UCS).

« Si les États ont bien répondu à la commande en adoptant un mode d'emploi de l'accord de Paris, celui-ci reste incomplet, déplore ainsi Fanny Petitbon de l'organisation Care France. La référence aux droits humains comme boussole de l'action climatique a été supprimée du texte et la question des pertes et dommages, pourtant cruciale pour les pays les plus vulnérables, est réduite au strict minimum. En faisant cela, les pays les plus riches opèrent un retour en arrière ».

Une des plus grosses déceptions reste la façon dont la décision finale de la COP (un texte indépendant du rulebook) se réfère au rapport spécial du Giec. Alors que 192 États souhaitaient « saluer » ce rapport qui alerte sur la gravité des impacts d'un réchauffement de 1,5 °C, les États-Unis, la Russie, le Koweït et l'Arabie Saoudite ont fait barrage, insistant pour minimiser le rôle des scientifiques. « C'était une ligne rouge pour Washington », me glissait cette semaine un diplomate européen. Résultat des courses : au lieu de saluer le rapport du Giec, le texte « salue le fait qu'il ait été publié à temps ». Sans rire. Pour de nombreux pays, notamment les petites îles qui risquent d'être submergées sous peu, la pilule passe mal. « Il n'y aurait pas dû avoir autant de résistance pour prendre en compte le rapport du Giec », a ainsi regretté en plénière le représentant de l'île de la Grenade, approuvé par les Maldives et par de nombreuses autres délégations.

La Malaisie suivie par de nombreux pays en voie de développement, a quant à elle critiqué un accord « déséquilibré » : l'industrie, a réexpliqué le délégué malaisien, a permis aux pays riches de se développer et ce sont leurs émissions qui ont les premières causé le dérèglement climatique. Mais aujourd'hui, les pays les moins avancés doivent à leur tour pouvoir se développer. L'équité est donc centrale dans l'action climatique et les pays riches doivent fournir beaucoup « plus d'argent et de transfert de technologie qu'ils ne le font ». Des arguments repris par le bloc des pays émergents (Brésil, Inde, Chine et Afrique du Sud), mais aussi par les États africains.

Si les sommes promises au Fonds d'adaptation ont atteint un record - 129 millions d'euros -, le financement des pays du Sud par ceux du Nord reste clairement un problème. En effet, souligne Fanny Petitbon de l'ONG Care, « c'est une goutte d'eau par rapport aux 300 milliards de dollars par an qui seront nécessaires pour répondre aux besoins en adaptation des pays les plus vulnérables d'ici 2030 ».

« À partir de maintenant, mes cinq priorités seront : l'ambition, l'ambition, l'ambition, l'ambition et l'ambition », a décrété M. Guterres. « Ambition dans les réductions d'émissions. Ambition dans l'adaptation. Ambition dans le financement. Ambition dans la coopération technique. Ambition dans l'innovation technologique. » D'ailleurs, a-t-il promis, cette « ambition sera au centre du sommet Climat » qu'il réunira à New York en septembre prochain.

C'est justement l'ambition qui a manqué au sommet de Katowice. Peut-être était-ce déjà écrit dans l'air de ce bassin minier, l'un des plus pollués d'Europe : difficile en effet d'imaginer une COP ambitieuse dans un pays dont 80 % de l'électricité est produite à partir du charbon. Car si une cinquantaine de pays se sont bien engagés à revoir à la hausse leurs objectifs de réduction des émissions avant 2020, la COP a échoué à entériner cette promesse pour les pays. Or, s'ils ne sont pas améliorés, les engagements actuels des États nous conduisent vers un réchauffement de 3,2 °C à la fin du siècle.


Le commissaire européen à l'Environnement, Miguel Arias Canete : l'Europe en retrait, la France absente.

« Bravo », se réjouissait samedi soir sur Twitter Emmanuel Macron, ajoutant : « La France et l'Europe doivent montrer la voie ». En fait, la France a brillé par son absence à la COP. Aucun ministre ou secrétaire d'État français n'a participé aux quatre derniers jours de négociation, pourtant les plus importants.

Samedi, alors que les négociations jouaient les prolongations, une voix déterminée résonnait de nouveau sur YouTube : la jeune Suédoise Greta Thunberg remettait une couche. Après deux semaines de COP, je finirai sur cette formidable claque d'une gamine de 15 ans aux dirigeants de la planète :

« Notre biosphère est sacrifiée pour que des personnes riches vivant dans des pays comme le mien puissent vivre dans le luxe. [...] En 2078, je fêterai mes 75 ans. Si j'ai des enfants, [...] peut-être me demanderont-ils pourquoi vous n'avez rien fait alors qu'il était encore temps. Vous dites que vous aimez vos enfants plus que tout au monde, et pourtant vous leur volez leur futur. [...] Vous nous avez ignorés dans le passé et vous continuerez à nous ignorer. [...] Nous sommes venus ici pour vous faire savoir que le changement était en train d'arriver, que vous le vouliez ou non. »

 Vendredi 14 décembre : prolongation fastidieuse pour un accord sans ambition

La négociation s'est poursuivie malaisément à Katowice vendredi 14 décembre. Les États-Unis et l'Arabie saoudite freinent autant qu'ils peuvent, tandis que les Européens sont peu présents. La conférence est prolongée jusque samedi midi.

Au 12e et dernier jour officiel de la COP, vendredi 14 décembre, les négociations et les marchandages ont tourné à plein. Beaucoup se disaient convaincus qu'un accord serait trouvé, mais personne ne pouvait prédire à quel moment et avec quelle ambition. Il est attendu samedi à la mi-journée.

« Le ministre #FdeRugy ne peut pas retourner à la #COP24 pour les dernières heures de négociation. Il a RDV avec le patron du lobby de l'automobile français ». Ce tweet de Maximes Combes, le porte-parole d'Attac, a fait sourire plus d'un membre de la délégation française à la COP. Sourire jaune en fait... Car contrairement au ministre français de l'Environnement qui a décrété la semaine dernière lors de son passage-éclair à Katowice que cette COP n'était qu'une « conférence de transition », tous à Katowice ne cessent de répéter l'énorme enjeu qu'elle représente pour l'avenir de l'action climatique.

Durant toute la journée de vendredi, les pays les plus vulnérables - États insulaires et pays les plus pauvres -, mais aussi les ONG ont multiplié les déclarations pour faire comprendre aux pays riches, notamment les États-Unis, que le déni n'est plus de mise.

Pour rappel, cette COP a trois enjeux :

  • la publication du rulebook, une sorte de notice de l'Accord de Paris qui précise ses règles d'application et permette enfin sa mise en œuvre ;
  • l'engagement des Etats à relever d'ici 2020 leurs objectifs de réductions des émissions de gaz à effet de serre (les Nationally determined contributions, NDC) ;
  • et la promesse par les pays développés de nouveaux financements pour aider les pays les plus pauvres à s'adapter à la nouvelle donne climatique.


« Il ne reste que douze ans » rappellent des lycéens polonais.

Depuis jeudi soir et la première esquisse de texte fournie par la présidence polonaise - le « draft » -, les délégations planchent d'arrache-pied pour obtenir des améliorations. « Nous ne sommes pas encouragés par le texte que nous avons sur la table. C'est dramatique de voir comment des pays comme l'Arabie Saoudite et les Etats-Unis peuvent saccager un accord », se lamentait Sara Shaw, de l'ONG Friends of the Earth. Ce draft est « tiède et incohérent », jugeait pour sa part le Climate Action Network, regrettant qu'il ne contienne « pas d'engagement clair pour renforcer les engagements des pays d'ici 2020 ». Sarah Lickel du Secours Catholique se montrait elle très dure : « le rulebook ne règle rien. Il devrait présenter des garanties, notamment sur les droits humains. Quand on voit ce qui se passe en France avec les Gilets jaunes, on comprend qu'il est essentiel d'allier exigence sociale et ambition climatique ».

« They don't care about us » (« Ils ne se soucient pas de nous ») : ce morceau de Michael Jackson qu'ont chanté dans la matinée 30 élèves polonais ayant lancé une grève de l'école à l'appel de la jeune Suédoise Greta Thunberg, a résonné toute la journée comme une rengaine dans les couloirs de la COP. « Beaucoup de gens pensent qu'on est trop petits pour compter mais ce n'est pas vrai », a dit Gosha, 15 ans, au nom de ses camarades.


« Beaucoup de gens pensent qu'on est trop petits pour compter mais ce n'est pas vrai »

La Malaisienne Meena Raman, de l'ONG Friends of the Earth, a beau user de mots différents, elle ne dit pas autre chose. Les petits, les pauvres doivent compter, tandis que les riches doivent leur venir en aide. Au cœur des négociations, comme à chaque COP depuis 24 ans, le principe des responsabilités communes mais différenciées (CBDR) : si tous les États sont responsables du réchauffement climatique, leurs efforts doivent être modulés en fonction de leur responsabilité historique - les pays les plus anciennement industrialisés doivent faire plus - et des moyens dont ils disposent. Meena Raman regrette que les Etats les plus riches tardent à transférer leurs technologies innovantes vers les pays moins bien pourvus et ne leur assurent pas plus de financements. En 2018, les Etats ont pourtant promis 129 millions d'euros pour le fonds d'adaptation, un chiffre record. Malheureusement, ce n'est encore qu'une goutte d'eau au vu des besoins qui se comptent en milliards. « Les Etats-Unis, poursuit Meena Raman, sont en train d'effacer [dans les textes en négociation] toutes les références à l'équité et à la responsabilité historique des États. »

« C'est fascinant d'entendre parler d'un côté des pays qui parlent de survie et de l'autre des pays qui parlent d'intérêts économiques », observe le ministre costaricain de l'Environnement Carlos Manuel Rodriguez.

Les points de blocage

Dans le rulebook, trois points font l'objet d'accrochages plus intenses :

  • les pertes et préjudices (loss and damage) : les pays en voie de développement veulent absolument voir apparaître ce point, pour s'assurer qu'à l'avenir les pertes irréversibles causées chez eux par des événements extrêmes soient véritablement prises en compte. Or dans le draft, cette question n'apparaissait que dans une note de bas de page ;

  • la transparence : pour s'assurer que les États réalisent correctement leurs NDC, l'Accord de Paris prévoit des règles de suivi. Tandis que les États-Unis plaident pour des règles strictes et identiques pour tous, les pays les moins avancés, mais aussi la Chine, réclament une plus grande flexibilité, arguant qu'ils n'ont pas encore les moyens d'un tel suivi ;

  • l'article 6 : assez incompréhensible pour les béotiens, il concerne « les mécanismes de compensation et des valeurs non-marchandes ». Il s'agit des règles qui devront s'appliquer sur le marché planétaire des émissions carbonées, ce marché où ceux qui polluent le moins ont la possibilité de revendre des quotas à ceux qui polluent le plus.

En plus du rulebook, qui devrait faire une centaine de pages, les ministres et leurs délégués bataillent sur une autre difficulté, peut-être la plus épineuse : sous quel terme sera-t-il fait référence dans la décision finale - qui accompagnera le rulebook au rapport spécial du Giec sur les impacts d'un réchauffement de 1,5 °C ?


Mohamed Nasheed : « Nous ne pouvons négocier avec les lois de la physique, c'est la science, la science, la science. »

La logique voudrait que ce rapport figure en bonne place puisque c'est sur ces résultats scientifiques que se base l'action climatique engagée par les États. Malheureusement quatre pays les États-unis, la Russie, le Koweït et l'Arabie Saoudite se sont opposés à ce que la décision « salue » (welcome) ce rapport, préférant qu'elle en « prenne note » (note), une expression insuffisante aux yeux des pays insulaires et de l'Union européenne. Une tiédeur, voire un déni scientifique, qui irrite le groupe des 47 pays les moins avancés, ainsi que celui des 48 pays les plus vulnérables (CVF), emmené par l'ancien président des Maldives Mohamed Nasheed. « Si nous ne trouvons pas un arrangement approprié, a-t-il prévenu, cela rendra l'Accord de Paris inutile. Les coraux mourront, nous perdrons notre biodiversité... Nous avons une fenêtre d'opportunité de 12 ans, la science est très claire. Nous ne pouvons négocier avec les lois de la physique, c'est la science, la science, la science. »

Mais que feront-ils si les États-Unis, ou d'autres pays, ne reconnaissent pas le travail du Giec, ou encore si l'accord n'est pas assez ambitieux à leur goût ? « Nous mettrons notre veto », a répondu posément M. Nasheed.

Depuis quelques jours, les alliances se sont multipliées pour rehausser l'ambition. Ainsi de la Coalition pour une Haute Ambition, avec quelque 70 pays dont la France et l'Allemagne, ou celle de l'Urgence composée de 90 pays vulnérables ou peu avancés. Alors que les désaccords semblaient insurmontables - le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres a d'ailleurs jugé bon de revenir vendredi à Katowice pour mettre de l'huile dans les rouages -, les habitués, eux, restaient confiants sur la conclusion d'un accord.

Vendredi soir, on apprenait la tenue d'une séance plénière à 4 heures du matin, suggérant un consensus aux petites heures du matin. Mais cette nuit, vers 4 heures justement, une nouvelle ligne est soudain apparue sur les écrans bleus de la COP : « PLÉNIÈRE 10H - DISCOURS DE CLÔTURE 12 -14H »...

 Jeudi 13 décembre : la négociation finale s'annonce difficile et décevante

À l'avant-dernier jour de la 24e conférence climatique des Nations unies, la négociation se tend à mesure que l'horloge tourne. L'esprit de l'accord de Paris est bien retombé, et il s'agit en fait de limiter la casse. Quant aux ministres français, ils sont tout simplement... absents.

« Merci de noter qu'une fois la COP24 officiellement terminée, tous les membres des médias devront quitter les lieux dans les trois heures » : message reçu ce matin dans ma boîte à courriels, la fin de la COP approche... Nous sommes désormais au 11e jour des négociations ici à Katowice et après les échauffements de la première semaine, le moteur onusien tourne à plein régime. Objectif : réussir d'ici vendredi soir à décrocher non seulement un accord, mais surtout un accord ambitieux.

Même si certains États, notamment les États-Unis, continuent à bloquer les négociations, la plupart des observateurs ne doutent pas qu'un accord sera trouvé. « Deux-trois jours avant la fin, c'est toujours comme ça, c'est le mélodrame, on a l'impression que ça va planter. Et puis, ça finit toujours par aboutir », me dit un diplomate européen, grand habitué des COP. La question est plutôt de savoir quand - la COP24 se termine officiellement vendredi soir mais, vu le retard accumulé, il est d'ores et déjà quasi certain qu'elle se prolongera samedi et comment. L'idéal serait que trois volets aboutissent :

  • primo la publication d'une notice claire et ambitieuse de l'Accord de Paris, le fameux rulebook, qui permette d'appliquer l'accord climatique avec efficacité à travers le monde ;
  • secundo l'engagement des États à relever d'ici 2020 leurs objectifs de réductions des émissions de gaz à effet de serre (les Nationally determined contributions, NDC) ;
  • et tertio la promesse par les pays développés de nouveaux financements pour aider les pays en voie de développement, plus vulnérables au changement climatique.

Jeudi13 décembre, les appels se sont multipliés pour convaincre les États les plus riches de relever leur ambition sur ces trois volets. Jennifer Morgan, de Greenpeace, a rappelé les dirigeants à leurs responsabilités. « Les gens, les a-t-elle prévenu, n'attendent plus un consensus mondial, ils poursuivent leurs gouvernements, ils poursuivent les grands compagnies pétrolières, ils bloquent des routes et des ponts, ils organisent des grèves à l'école, et ce n'est que le début. Plutôt que de vides promesses, nous avons besoin que les États réhaussent leur ambition ». La jeune Suédoise Greta Thunberg, qui depuis le début de la COP se dépense sans compter pour médiatiser la cause climatique, s'est quant à elle chargée de convaincre les plus jeunes : dans un message posté sur les réseaux sociaux, elle a appelé enfants et ados à faire vendredi, comme elle-même depuis plusieurs mois, la grève de l'école et à se rassembler devant leur « Parlement ou [leur] gouvernement local » pour faire pression.


La jeune Suédoise Greta Thunberg.

De leur côté, les 48 pays les plus vulnérables regroupés au sein du Climate Vulnerable Forum (CVF) dont certains sont menacés de disparaître sous les mers ont appelé leurs homologues à sauver la COP d'« une issue médiocre ». « Nous ne sommes pas prêts à mourir. Nous n'avons pas l'intention de devenir la première victime du changement climatique », a dit l'ancien président des Maldives, Mohamed Nasheed.

Depuis dix ans qu'il assiste aux conférences internationales sur le climat, « rien ne semble avoir changé », regrette-t-il. « On utilise toujours le même langage, un langage de dinosaure. [...] Le problème, c'est qu'on continue à demander aux gros pollueurs de cesser de polluer mais sur des fondements éthiques, et ils ne nous écoutent pas. » Pour cesser ce dialogue de sourds, il propose de changer radicalement d'approche : « Plutôt que de leur demander des réductions, peut-être devrions-nous leur demander des hausses », autrement dit d'augmenter leurs investissements dans les énergies propres. « Alors ils cesseront d'utiliser des énergies fossiles. [...] Demandons des choses positives plus que des choses négatives, les investissements augmenteront et les émissions diminueront. »


Le pavillon de la Russie.

Le Maldivien a ensuite brocardé les « quatre pays qui nous prennent en otage », sous-entendu les États-Unis, la Russie, le Koweït et l'Arabie Saoudite, qui s'opposent à ce que la COP24, dans sa décision finale, « salue » (welcome) le rapport du Giec sur les 1,5 °C, préférant qu'elle en « prenne note » (note), une expression insuffisante aux yeux des pays insulaires et de l'Union européenne. Le royaume saoudien va jusqu'à contester les conclusions scientifiques du rapport : « Il vous montre uniquement les opportunités » qu'il y a à lutter contre le changement climatique mais « il ne vous en montre pas le coût », dénonce dans une interview au site Carbon Brief le délégué saoudien à la COP.

Le rapport du Giec toujours contesté par l'Arabie saoudite, les États-Unis et la Russie

Cette question de vocabulaire peut sembler cosmétique, mais elle revêt une grande importance car elle créera un précédent : quel avenir pour la lutte climatique si les États ne reconnaissent pas que la science est fondamentale et doit guider leur action ?

En fait, il n'y a pas vraiment 4 pays bloqueurs et 196 pays qui marcheraient tous main dans la main vers un accord idéal comme le laisse entendre Mohamed Nasheed. C'est le cas pour qualifier le rapport du Giec, mais pas sur la question du rulebook ou sur celle des financements.

De nombreux pays comme l'Inde, l'Afrique du Sud ou des pays en voie de développement craignent que les pays riches, en tête desquels les États-Unis et l'Australie, ne rabotent les financements : en volume, mais aussi en qualité. Certains s'inquiètent ainsi de la tendance croissante des pays développés à se défausser sur les investisseurs privés. Une question cruciale reste celle des pertes et préjudices (loss and damage) que les pays en voie de développement veulent absolument voir apparaître dans le rulebook, pour s'assurer qu'à l'avenir, les pertes irréversibles causées chez eux par des événements extrêmes seront prises en compte en tant que telles, et non pas incluses dans d'autres fonds, dédiés à l'adaptation au changement climatique.

Les économies émergentes (Brésil, Inde, Chine et Afrique du Sud) insistent quant à elles sur la flexibilité. Depuis les premières négociations climatiques en 1992, un principe important est celui des responsabilités communes mais différenciées (CBDR en anglais). En gros, cela signifie que les États sont tous responsables du réchauffement climatique, mais que leurs efforts doivent être modulés en fonction de leur responsabilité historique - les pays les plus anciennement industrialisés doivent faire plus - et des moyens dont ils disposent. Une fois que les États auront fixé leurs NDC, ils devront ensuite régulièrement évaluer leurs avancées. Ce que réclament les pays du Sud, c'est une flexibilité dans ces évaluations car ils jugent qu'ils n'auront pas les moyens financiers et techniques pour bien les faire. Mais un coup de théâtre survenu jeudi soir pourrait changer la donne : la Chine a annoncé qu'elle renonçait à cette exigence et acceptait d'obéir aux mêmes règles que les pays développés sur ce point.

Aucun ministre français dans le round final !

Une Coalition pour une haute ambition a été lancée mercredi par quelque 70 États, dont 11 Européens parmi lesquels la France et l'Allemagne. Elle ne réunit qu'un tiers des pays signataires de l'accord de Paris, alors que la coalition similaire lancée en 2015 comptait 118 nations, dont les 28 pays de l'UE.

L'Europe est très en retrait. Et la France brille par son absence ! Ni le ministre d de la Transition écologique François de Rugy, ni la secrétaire d'État Brune Poirson partie précipitamment mardi soir en raison de la crise des Gilets jaunes ne sont présents à Katowice ? Sans doute une première dans toute l'histoire des COP.

Jeudi soir, la présidence polonaise critiquée par de nombreux observateurs pour son « inertie » et son échec à créer une dynamique ministérielle a enfin fini par publier un nouveau texte. Peu avant minuit, des experts commençaient à le décrypter, tout en se frottant les yeux, déjà gonflés de fatigue. Si certains points leur semblaient positifs, d'autres au contraire suscitaient leur inquiétude, comme la question des pertes et préjudices dont le traitement allait selon eux « décevoir les petites îles et les pays en voie de développement » ou l'article 6, bourré de crochets, sur l'utilisation des marchés carbone et autres moyens de coopération. C'est sur cette base que les ministres devaient commencer vendredi à livrer bataille.

 Mercredi 12 décembre : Rater la COP24 « ne serait pas seulement immoral, mais suicidaire »

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