Christophe VENTURA
Vendredi 4 janvier 2019, les membres du Groupe de Lima (qui regroupe depuis 2017 les pays américains qui ne reconnaissent pas le gouvernement de Nicolas Maduro - voir ci-dessous) se sont réunis à Lima au Pérou pour participer à une réunion de travail consacrée à la situation au Venezuela.
Séance particulière puisqu'y participait depuis Washington par visioconférence un invité spécial : Mike Pompeo, le Secrétaire d'Etat américain. Il faut préciser qu'officiellement les Etats-Unis, contrairement au Canada, ne font pas partie de ce groupe. Et pourtant...
Au préalable, Mike Pompeo avait pris soin de rencontrer le nouveau président brésilien Jair Bolsonaro - à qui il a demandé un engagement plus fort encore de Brasilia contre Caracas -, le futur président colombien Ivan Duque (droite dure, qui entrera en fonction en février), ainsi que le ministre des affaires étrangères péruvien Néstor Popolizio lors de son récent voyage en Amérique du Sud où il représentait Donald Trump lors de la prise de fonction de M.Bolsonaro.
Cette nouvelle rencontre du Groupe de Lima a débouché sur l'adoption d'une déclaration commune visant à exprimer la position des pays membres sur le nouveau mandat présidentiel de Nicolas Maduro (2019-2015) - élu le 20 mai 2018 - qui débutera le 10 janvier 2019. Ces derniers ne reconnaîtront pas sa légitimité. Pour eux, à cette date commencera " un mandat présidentiel illégitime" au Venezuela, pays dans lequel existerait une " rupture de l'ordre constitutionnel". Reprenant à leur compte l'ensemble des positions et des revendications de la partie la plus radicale de l'opposition vénézuélienne, les signataires exigent de Nicolas Maduro qu'il renonce au pouvoir et qu'il transfère ce pouvoir à l'Assemblée nationale jusqu'à l'organisation de nouvelles élections.
Mais désormais, une nouvelle dimension s'inscrit au coeur du discours de la coalition. Le Venezuela serait devenu un acteur militaire capable de constituer une "menace (pour) la paix et la sécurité dans la région". Ainsi, les signataires exhortent " Nicolas Maduro et les forces armées vénézuéliennes à renoncer à toute action violant les droits souverains de leurs voisins. " Cette argumentation - qualifiée "d'extravagante" par Caracas et d'expression d'une "humiliante subordination" des pays signataires aux Etats-Unis - fait en réalité écho à celle de l'"executive order" présidentiel américain (le Venezuela constitue une " menace inhabituelle et extraordinaire pour la sécurité nationale et la politique extérieure des Etats-Unis") à l'origine de la politique hostile et interventionniste de Washington contre Caracas depuis 2015.
Sept mesures complètent la déclaration qui élargissent significativement les sanctions financières prises par les pays signataires contre Caracas, renforcent la coordination du Groupe de Lima jusqu'à obtenir le "rétablissement de la démocratie" au Venezuela, suspendent toute coopération militaire avec le pays, appuient l'initiative de l'Argentine, du Canada, du Chili, de la Colombie, du Paraguay et du Pérou visant à saisir la Cour pénale internationale contre Nicolas Maduro, appellent la "communauté internationale" à prendre des initiatives contre le gouvernement bolivarien.
Le texte annonce également, à l'instar des premières déclarations du nouveau pouvoir brésilien faites dès le 1er janvier, une réévaluation des relations diplomatiques des pays membres avec Caracas. Jair Bolsonaro avait en effet évoqué une possible rupture des relations avec le Venezuela.
Cette perspective est reprise par le ministre des affaires étrangères péruvien qui a annoncé vouloir proposer à tous les pays du Groupe de Lima d'adopter cette position.
La nature du positionnement des pays du Groupe de Lima se modifie et se durcit sous l'influence des nouvelles orientations radicales du gouvernement ultralibéral-sécuritaire de Jair Bolsonaro, de droite dure de celui de Ivan Duque et du gouvernement des Etats-Unis. Les deux puissances sud-américaines confirment l'approfondissement de leur (ré)alignement géopolitique avec Washington.
Faire du Venezuela un pays au potentiel belliqueux, placer le rapport de forces avec Caracas sur le terrain sécuritaire et militaire régional constitue une nouveauté de cette déclaration du Groupe de Lima (+ Etats-Unis même si la première puissance mondiale n'apparaît pas parmi les signataires) et une escalade préoccupante vers plus de tensions à venir.
L'autre nouveauté dans cette déclaration est la non signature du Mexique, l'autre puissance latino-américaine. Cette décision est conforme à la nouvelle politique de "non intervention" du gouvernement de Andres Manuel Lopez Obrador (dit "AMLO"). Elle fait suite au repositionnement amorcé le 1er décembre 2018 lorsque AMLO avait invité Nicolas Maduro a participer à sa prise de fonction, reconnaissant de fait la légitimité du président du Venezuela et mettant fin, de fait également, à la participation du Mexique au Groupe de Lima dans sa forme actuelle.
Cette non signature - à laquelle il faut ajouter la non participation de l'Equateur et de l'Uruguay - constitue un événement politique qui va peser dans l'évolution de la situation régionale. Tandis que les radicalisations interventionnistes s'affirment d'un côté et qu'une nouvelle politique étrangère différente se dessine progressivement au Mexique de l'autre, la situation au Venezuela continuera de cristalliser les évolutions des rapports de forces régionaux et les fragmentations latino-américaines en 2019.
Christophe VENTURA
Texte intégral de la déclaration du Groupe de Lima : http://www.itamaraty.gov.br/pt-BR/notas-a-imprensa/19913-declaracao-do...
Pays signataires : Argentine, Brésil, Canada, Chili, Colombie, Costa Rica, Guatemala, Guyana, Honduras, Panamá, Paraguay, Pérou, Sainte Lucie.