09/02/2019 mondialisation.ca  10 min #151961

Syrie : Trump repousse de 4 mois le retrait des forces Us

Le retrait des Usa de la Syrie et le mythe du «retour» de l'État islamique

Prise au pied de la lettre, la notion voulant que l'occupation de la Syrie par les USA est nécessaire pour empêcher le retour du soi-disant « État islamique » (Daech) dans le territoire syrien ne tient pas la route.

Les régions à l'ouest de l'Euphrate où Daech a déjà été prospère ont été reprises pour de bon par l'armée arabe syrienne et ses alliés russes et iraniens, évidemment sans le moindre soutien des USA, en fait, malgré tous les efforts déployés par Washington pour nuire aux opérations de sécurité de Damas.

Damas et ses alliés russes et iraniens ont prouvé que Daech peut être défait une fois pour toutes. Après avoir coupé les voies d'approvisionnement de Daech provenant du territoire de l'OTAN en Turquie et de la frontière avec la Jordanie et l'Irak, les forces syriennes ont réussi à enrayer les efforts de rétablissement de l'organisation terroriste à l'ouest de l'Euphrate.

Le simple fait que Daech n'est encore présent que dans la seule région du pays actuellement sous occupation des USA soulève bien des questions quant à savoir si les USA sont vraiment sincères dans leur intention de combattre et de défaire Daech, mais aussi si Washington maintient délibérément ou non la capacité de combat de l'organisation terroriste pour qu'elle puisse lui servir de prétexte à la poursuite de l'occupation illégale du territoire syrien par les USA.

Le département de la Défense le résume très bien

 Un rapport récent (version PDF entière  ici) publié par l'inspecteur général du département de la Défense (DD) lui-même, affirme ceci :

Selon le DD, pendant que les forces syriennes soutenues par les USA poursuivent la lutte pour reprendre le reste des bastions de Daech en Syrie, Daech demeure une force puissante formée de combattants aguerris et disciplinés qui « pourraient bien ressurgir en Syrie » en l'absence de pression antiterroriste soutenue. Selon le DD, Daech est encore capable de coordonner des offensives et des contre-offensives, et de mener une insurrection décentralisée.

Le rapport nous apprend également ce qui suit :

Actuellement, Daech reconstitue ses principales fonctions et capacités plus rapidement en Irak qu'en Syrie, mais en l'absence de pression [antiterroriste] soutenue, Daech pourrait bien ressurgir en Syrie dans les six à douze mois et reprendre un territoire limité dans la vallée de l'Euphrate.

Par « pression antiterroriste soutenue », le rapport désigne une occupation continuelle de la Syrie et de l'Irak par les USA, ainsi que la poursuite du soutien militaire et politique des USA à leurs mandataires dont ils se servent pour consolider leur occupation de la Syrie.

Le rapport indique que le dernier bastion de Daech se trouve dans le territoire occupé ou protégé de facto par les USA à l'est de l'Euphrate, où les forces syriennes ont été attaquées à maintes reprises, tant par les mandataires des USA que par les forces US elles-mêmes.

Le simple fait que le rapport mentionne que Daech « reconstitue ses principales fonctions et capacités plus rapidement en Irak qu'en Syrie », malgré l'intention des USA de ne pas quitter l'Irak, fait ressortir jusqu'à quel point les USA sont incapables de défaire Daech ou ne sont pas intéressés à y parvenir. Pourquoi? Parce que Daech est le prétexte en or pour justifier une occupation autrement injustifiée et continuelle de la Syrie et de l'Irak par Washington.

Le rapport du DD révèle la faiblesse et l'illégitimité de « l'indépendance kurde »

Le rapport admet que les militants soutenus par les USA en Syrie n'ont pas la capacité requise pour vaincre la menace de Daech sans un soutien constant de Washington. En affirmant que Daech est loin d'être défait et qu'il pourrait « ressurgir » dans l'année si les USA n'y sont pas, le rapport fait ressortir la faiblesse et l'illégitimité de ces forces et de leurs ambitions politiques « d'indépendance » qu'elles poursuivent à l'est de la Syrie.

Une Syrie orientale dominée par les Kurdes, qui ne possèdent pas la capacité militaire et économique nécessaire pour exercer le contrôle sur la région sans la présence et le soutien perpétuels des troupes étasuniennes, mine davantage la crédibilité du projet de Washington qu'est la création d'un État kurde à l'est de l'Euphrate.

Pour sa part, le gouvernement syrien a démontré sa capacité à reprendre le contrôle du territoire et à empêcher le retour des groupes extrémistes, y compris Daech.

Si les États-Unis cherchaient vraiment à détruire Daech, il est évident qu'ils soutiendraient les forces régionales qui sont non seulement capables de réaliser cet objectif, mais qui ont aussi démontré qu'elles sont les seules à pouvoir le faire.

Daech n'est qu'un prétexte à une occupation perpétuelle par les USA

Dans les faits, l'objectif des USA en Syrie et en Irak est de saper la solidité et l'unité des deux pays, tout en isolant et en encerclant graduellement l'Iran voisin. Les USA ont eux-même délibérément créé Daech et les nombreux groupes extrémistes qui combattent à leurs côtés.

Une note de service de la US Defense Intelligence Agency (DIA) ayant fait l'objet d'une fuite en 2012 nous a permis d'apprendre que les USA et leurs alliés avaient l'intention de créer ce qu'ils appelaient à l'époque une « principauté salafiste » à l'est de la Syrie. La note de service indiquait que (soulignement ajouté) :

Si la situation évolue, il pourrait être possible d'établir une principauté salafiste déclarée ou non déclarée à l'est de la Syrie (Hassaké et Deir Ezzor), ce qui répondrait exactement aux désirs des puissances qui soutiennent l'opposition, afin d'isoler le régime syrien, qui est perçu comme la profondeur stratégique de l'expansion chiite (Irak et Iran).

La note de service précisait aussi qui étaient ces puissances qui soutenaient l'opposition :

L'Occident, les pays du Golfe et la Turquie soutiennent l'opposition, tandis que la Russie, la Chine et l'Iran soutiennent le régime.

La « principauté (l'État) salafiste (islamiste) devait être créée justement en Syrie orientale, là où les décideurs étasuniens et leurs alliés l'avaient prévu. Elle devait prendre le nom « d'État islamique » et être d'abord utilisée pour mener une guerre par procuration plus musclée contre Damas puis, en cas d'échec, pour amener les forces militaires des USA à intervenir dans le conflit directement.

Plusieurs années plus tard, et après l'échec lamentable de la guerre par procuration menée par les USA en Syrie qui s'achève, les restes évanescents de Daech ont trouvé refuge exclusivement dans les régions qui sont de facto sous la protection des forces US, qui les utilisent comme prétexte pour retarder ou carrément empêcher tout retrait significatif des forces US.

Alors que beaucoup voient l'annonce du retrait des troupes étatsuniennes de Syrie par le président Donald Trump et les tentatives de faire machine arrière comme une lutte entre la Maison-Blanche et le Pentagone, c'est probablement davantage le résultat d'une politique étrangère qui s'effondre et oscille entre de mauvais choix et des choix encore pires.

L'incapacité, jusqu'ici, des frappes aériennes israéliennes de percer la défense antiaérienne syrienne et de causer des dommages importants sur le terrain en Syrie fait ressortir davantage l'impuissance occidentale et le sable dans l'engrenage des plans de Washington.

La politique chancelante de la Turquie à l'égard de la Syrie et la possibilité qu'elle s'enfonce plus profondément dans le territoire syrien afin de « prendre la relève » de l'occupation étasunienne, comme le rapport de l'inspecteur général du DD le décrit, ne fera que disperser davantage les forces turques, qui créera des fragilités qui pourront être facilement exploitées par quiconque fera face à Ankara à une table de négociation.

L'on ne sait pas trop encore ce que fera Ankara, mais ce partenaire initialement favorable à la guerre par procuration menée par les USA en Syrie est maintenant aux prises avec ses propres choix indigestes allant du mal au pire.

Il est intéressant de noter que même le rapport de l'inspecteur général du DD mentionne que la capacité au combat de Daech repose sur les combattants étrangers et sur les « dons de l'extérieur », sans toutefois s'attarder sur le parrainage par l'État évident que cela exige pour la maintenir. Le rapport du DD et les actions des USA montrent sans ambages qu'ils défendent ouvertement ce qui reste de Daech.

Au moment même où la perspective de renverser avec violence le gouvernement syrien semble s'estomper, les USA tentent toujours de justifier leur présence en Syrie à l'endroit même ou Daech et d'autres organisations terroristes transfèrent des armes et des combattants dans le pays, soit au nord de la Syrie, au sud-est proche de la frontière avec l'Irak et à al-Tanf, à proximité de la frontière avec l'Irak et la Jordanie.

Si les USA cherchent à consolider leurs mandataires et à faire « resurgir » Daech, ce qu'ils prétendent justement vouloir empêcher, ils doivent absolument contrôler ces passages frontaliers vitaux. S'ils laissent Daech tomber dans les mains des forces syriennes et irakiennes, cela mettrait fin, ironiquement, à la présence de Daech dans les deux pays.

Pendant que la volonté de défaire Daech est exprimée en paroles par Washington, dans les faits, les USA demeurent le seul obstacle qui reste entre Daech et sa défaite absolue.

Tony Cartalucci

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Article original en anglais :

 globalresearch.ca

 The US Syria Withdrawal and the Myth of the Islamic State's "Return", publié le 7 février 2019

Traduit par Daniel pour  Mondialisation.ca

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Tony Cartalucci est un chercheur et auteur basé à Bangkok, qui collabore notamment au magazine en ligne  « New Eastern Outlook », où cet article a d'abord été publié.

La source originale de cet article est Mondialisation.ca
Copyright ©  Tony Cartalucci, Mondialisation.ca, 2019

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