02/05/2019 wsws.org  7min #155672

 Le président algérien Abdelaziz Bouteflika démissionne

Les manifestations de masse s'intensifient contre le régime algérien

Par Will Morrow
2 mai 2019

Le mouvement de protestation de masse qui a forcé le président algérien Abdelaziz Bouteflika à quitter son poste au début du mois se poursuit; les demandes s'accroissent pour la chute du régime de même que les manifestations d'opposition aux militaires.

Vendredi dernier fut la dixième semaine consécutive de manifestations depuis le 22 février. Des centaines de milliers de personnes ont manifesté dans la capitale Alger, à Oran, Constantine, Bejaia et dans d'autres villes. Pour la deuxième semaine consécutive, les gendarmes ont érigé des barrages routiers sur tous les grands axes menant à la capitale et ont détourné toute circulation pour tenter de réduire le nombre de manifestants à Alger.

L'AFP a rapporté que la foule des manifestants qui remplissaient les rues de la capitale s'étendait néanmoins sur des kilomètres. Les manifestants scandaient, «Le système doit disparaître» et «Vous avez pillé le pays, voleurs!» Les médias ont fait état d'une augmentation marquée des slogans dirigés contre l'armée et le général Ahmed Gaid Salah comme «Le peuple ne veut pas de Gaid Salah ou de Bouteflika». Le Washington Post a rapporté que les manifestants scandaient: «L'armée n'est pas la solution» et a appelé Salah à «sortir».

Manifestation le mois dernier à Bejaia

L'armée, qui est l'épine dorsale du gouvernement, est intervenue fin mars pour renverser Bouteflika afin de préserver le régime tout en cherchant, sans succès, à mettre un terme aux protestations. Abdelaker Bensalah, président de l'organe législatif et allié de longue date de Bouteflika, a été nommé président par intérim jusqu'à l'annonce d'élections le 4 juillet.

Les manifestants ont rejeté cette transition comme une fraude visant à n'éliminer qu'une figure de proue tout en maintenant le régime existant au pouvoir. Ils ont dénoncé le gouvernement de Bensalah et du Premier ministre Noureddine Bedoui comme un «gouvernement de la honte».

«Nous voulons que ce système parte et que tous les voleurs soient jugés», a déclaré à l'AFP Zohra, une enseignante de 55 ans qui a fait 350 kilomètres pour assister à la manifestation d'Alger avec son fils de 25 ans.

Au cours des deux dernières semaines, le régime a arrêté une série de proches alliés de Bouteflika au sein des forces de sécurité alors que l'armée consolidait son contrôle direct sur l'appareil d'État. Lundi, un tribunal jugeait Abdelghani Hamel, l'ancien chef des forces de police du pays, pour corruption.

Dans le même temps, sous la bannière d'une campagne «anti-corruption» visant à fournir un semblant de réforme démocratique, des règlements de comptes sont en cours entre les différentes factions de l'élite dirigeante. Cinq milliardaires ont été arrêtés la semaine dernière et se voient accusés de corruption, parmi eux quatre frères proches du cercle restreint de Bouteflika: Reda, Abdelkader, Karim et Tarek Kouninef.

Isaad Rebrab, l'individu le plus riche du pays, fondateur et président de Cevital, la plus grande société privée d'Algérie, a été arrêté lundi.

La crise à laquelle est confrontée le gouvernement, face à une opposition massive, fut exprimée dans l'annonce par l'armée, rapportée par le site «Tout sur l'Algérie» (TSA), que les ministres du Gouvernement ne tiendraient pas leur première réunion, prévue le 2 mai. On avait organisé la réunion pour donner au gouvernement un semblant de crédibilité et les ministres devaient donner des réponses orales à des questions pré-écrites des militaires. Mais, a expliqué TSA, on l'avait annulée de peur qu'elle ne déclenche des protestations encore plus grandes. Le site Internet a rapporté qu'on avait largement dénoncé l'«annonce d'un tel événement» sur les réseaux sociaux.

Le mouvement de protestation de la classe ouvrière et des jeunes reflète l'opposition profonde aux inégalités sociales et à la pauvreté. Les millions de personnes qui ont forcé le retrait de Bouteflika ne cherchaient pas un nouveau gouvernement qui soit une feuille de vigne - contrôlé par l'armée et représentant les milliardaires du pays et leurs partisans impérialistes - mais une révolution pour améliorer leurs conditions de vie.

Tandis qu'une minuscule couche de multimillionnaires et de milliardaires du régime s'est enrichie au fil des décennies, le chômage officiel des jeunes atteint près de 30 pour cent dans un pays où environ deux tiers de la population ont moins de 30 ans.

La colère sociale explosive s'est exprimée dans des affrontements dans la ville de Tebessa, dans l'est du pays, dimanche. Des gardiens de la compagnie privée d'eau minérale Youkous ont tiré avec de la chevrotine sur des habitants locaux qui protestaient devant l'usine contre le manque d'eau dans la ville.

«Le matin, 20 d'entre nous sont allés à [l'usine] pour trouver une solution au manque d'eau qui affecte notre ville depuis longtemps et qui s'est aggravé depuis la construction de cette usine», a dit un villageois au journal El Watan. «Vers 11 h, des individus avec des bâtons, des sabres et d'autres armes nous ont attaqués...»

Quand les manifestants ont riposté, «des hommes armés ont commencé à tirer du toit». Treize personnes ont été blessées, dont un jeune. Plus tard dans la journée, l'usine aurait été incendiée.

Un reportage de France Info du 4 avril indiquait l'ampleur de la crise du système public de santé. Le docteur Mohamed Taileb y déclarait: «Nous manquons de seringues. Les gants sont tout déchirés», les masques faciaux nécessaires pour traiter les patients atteints de tuberculose n'étaient plus disponibles. «Ce n'est pas normal», a-t-il ajouté, «Je risque ma sécurité... Il manque beaucoup de matériel pour opérer: des lunettes, des masques à oxygène».

Les luttes croissantes des travailleurs et des jeunes Algériens s'inscrivent dans une recrudescence internationale des luttes de la classe ouvrière qui comprend aussi le Soudan où le mouvement de protestation contre le gouvernement militaire continue de s'intensifier, et le Maroc où les grèves se multiplient.

Les partis de l'opposition officielle - depuis celui de l'ancien premier ministre Ali Benflis jusqu'au Parti socialiste des travailleurs (PST) pseudo de gauche, allié au Nouveau Parti anticapitaliste en France, en passant par le Parti des travailleurs de Louisa Hanoune - œuvrent tous à bloquer une lutte politique contre la dictature militaire. Ils cherchent plutôt à entraîner les travailleurs et les jeunes derrière des appels lancés au régime pour qu'il entreprenne des réformes démocratiques.

Samedi, Benflis a publié une déclaration où il avertissait les militaires que la tenue de leur simulacre d'élection le 4 juillet serait politiquement dangereux dans des conditions où aucun des partis n'a la moindre crédibilité populaire. Il écrit: «S'en tenir obstinément à la tenue d'élections présidentielles... ne peut qu'exposer le pays à une parodie électorale sans candidats et sans électeurs, et par conséquent le président perdra toute légitimité».

Louisa Hanoune du Parti des travailleurs (PT) réitère la principale revendication du PT et du PST, celle de la convocation d'une Assemblée constituante. Celle-ci vise à fournir une feuille de vigne pseudo-démocratique pour le maintien au pouvoir d'une dictature militaire. Hanoune a averti que «la gestion de cette phase de transition passe par une assemblée constituante nationale souveraine, une solution idéale qui correspond aux souhaits des peuples désireux de changement...».

De telles déclarations ne visent qu'à semer des illusions dans la classe ouvrière et à l'aveugler face aux dangers auxquels elle est confrontée tout en bloquant une offensive révolutionnaire déterminée. Alors que l'opposition grandit à un gouvernement militaire qui a mené, dans les années 1990, une guerre civile brutale tuant plus de 200.000 personnes, le régime prépare une répression violente.

Les intérêts sociaux de la classe ouvrière ne peuvent être réalisés et la lutte pour un gouvernement démocratique se faire qu'à travers la lutte de la classe ouvrière - en opposition à tous les partis pro-capitalistes - pour prendre le pouvoir entre ses mains, pour exproprier les milliards de dollars pillés par les élites financières et patronales et pour instaurer un gouvernement des travailleurs dans le cadre d'une lutte internationale pour le socialisme.

(Article paru d'abord en anglais le 1er mai 2019)

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