30/10/2019 les-crises.fr  11 min #163682

170 ans de prison : les Etats-Unis annoncent 17 nouvelles inculpations contre Julian Assange

Une société de sécurité espagnole a espionné Julian Assange à Londres pour le compte des États-Unis - Par José Maria Irujo

Source :  El Pais, José Maria Irujo, 26-09-2019

La Haute Cour d'Espagne enquête sur le directeur de UC Global S. L. et les activités de sa société, qui avait été engagée pour assurer la protection de l'ambassade de l'Équateur dans la capitale anglaise.

David Morales, directeur et propriétaire de UC Global. UC GLOBAL

 Undercover Global S. L., la société espagnole de défense et de sécurité privée chargée d'assurer la protection de l'ambassade d'Équateur à Londres pendant le long séjour de Julian Assange, fondateur de WikiLeaks, a espionné le cyberactiviste  pour le compte du renseignement américain. Ces déclarations font suite à des constats et autres documents auxquels El País a eu accès. David Morales, propriétaire de l'entreprise, aurait remis à la CIA des enregistrements audio et vidéo  des réunions qu'Assange a tenues avec ses avocats et collaborateurs. Morales fait l'objet d'une enquête de la Audiencia Nacional, la Haute Cour espagnole, pour ces agissements.

L'enquête secrète est la conséquence d'une plainte pénale déposée par Assange lui-même.

L'enquête judiciaire sur le directeur d' UC Global S.L. et les activités de sa société a été ordonnée par un juge nommé José de la Mata. Elle a commencé plusieurs semaines après qu'EL PAÍS a publié des vidéos, des audios et des rapports qui montrent comment  la société a espionné les réunions que le cyberactiviste a tenues à l'ambassade.

Cette enquête secrète est la conséquence d'une plainte pénale déposée par Assange lui-même, dans laquelle il accuse Morales et sa société d'infractions relatives à la violation de sa vie privée et du secret de la relation avocat-client, ainsi que de détournement, corruption et blanchiment de capitaux. Le directeur de UC Global S. L. n'a pas répondu aux sollicitations de ce journal pour confirmer sa version des faits.

M. Morales, ancien militaire en congé sans solde, a déclaré verbalement et par écrit à un certain nombre de ses employés que, bien qu'il ait été engagé par le gouvernement du président Rafael Correa, il travaillait aussi « pour les Américains », à qui il aurait envoyé des documents, des vidéos et des audios des réunions que le militant australien a tenues à l'ambassade. « Nous jouons dans une autre ligue. C'est la première division », a-t-il déclaré à ses plus proches collègues après avoir participé à un salon de la sécurité à Las Vegas en 2015 où il aurait établi ses premiers contacts américains.

Vidéo : Vidéo de Julian Assange à l'ambassade d'Équateur à Londres.

La société espagnole - dont le siège se trouve dans la ville de Jerez de la Frontera, dans le sud du pays - ait été engagée par Senain, le service de renseignement équatorien, aussi Morales a-t-il demandé à plusieurs reprises à ses employés de garder le secret sur ses relations avec les services de renseignement américains.

Le propriétaire de UC Global S. L. a organisé une rencontre entre le chef des services secrets équatoriens, Rommy Vallejo, et Assange qu'il s'agissait d'espionner, au moment où ils planifiaient d'exfiltrer Assange de l'ambassade équatorienne en utilisant un passeport diplomatique afin de l'emmener dans un autre pays. Cette hypothèse a finalement été rejetée par Assange au motif qu'il la considérait comme « une défaite », qui aurait alimenté les théories du complot, selon des sources proches de la société consultées par le journal.

Morales a demandé à ses employés de garder le secret sur ses relations avec les services de renseignements américains.

La rencontre a eu lieu le 21 décembre 2017 dans la salle de réunion du bâtiment diplomatique et a été enregistrée en vidéo et en audio par des caméras installées par les employés de Morales. Un petit nombre de personnes, dont les avocats de l'australien, étaient au courant du plan. Quelques heures après la réunion, l'ambassadeur des États-Unis a informé les autorités équatoriennes du plan et, le lendemain, 22 décembre, les États-Unis ont lancé un mandat d'arrêt international contre Assange.

« Il est absurde d'espionner celui qui vous a fait appel à vos services si ce n'est pas pour communiquer les éléments à un autre pays », a déclaré une source proche de UC Global S. L. Ce journal a eu accès aux enregistrements vidéo et audio de la réunion mentionnée ci-dessus.

Caméras et accès externe pour les États-Unis

Après l'installation de nouvelles caméras vidéo début décembre 2017, Morales a demandé à ses techniciens d'installer dans la même zone un dispositif permettant la diffusion en temps réel vers l'extérieur afin que les enregistrements soient accessibles instantanément par les États-Unis. Pour ce faire, il a demandé trois accès : « un pour l'Équateur, un autre pour nous et un autre pour X », selon les courriers envoyés à l'époque à ses collègues. Quand l'un des techniciens demandait de contacter « les Américains » pour leur expliquer comment accéder à certains des systèmes d'espionnage installés à l'ambassade, Morales restait toujours évasif dans ses réponses.

Assange dans un autre des enregistrements réalisés à l'ambassade d'Équateur à Londres.

Morales a ordonné à ses employés d'installer des micros dans les extincteurs de l'ambassade ainsi que dans les toilettes des femmes, où les avocats d'Assange, dont l'Espagnol Aitor Martínez et ses collaborateurs les plus proches, se rencontraient par crainte d'être espionnés. Les rencontres du cyberactiviste avec ses avocats, Melynda Taylor, Jennifer Robinson et Baltasar Garzón, ont également été enregistrées.

L'équipe d'UC Global S.L. a également reçu instruction de son directeur d'installer des autocollants qui empêchaient la vibration des fenêtres dans les pièces que le fondateur de WikiLeaks utilisait, supposément pour permettre à la CIA d'enregistrer plus facilement les conversations avec leurs micros laser. Ils ont aussi récupéré la couche souillée d'un bébé qui était parfois amené lors de visites au militant, afin de déterminer si ce dernier pouvait être le père de cet enfant d'une proche collaboratrice.

L'ancien militaire a également placé des micros dans certains éléments de décoration à l'intérieur de l'ambassade, qui ont été photographiés pour être reproduit en Espagne. Il a aussi voulu les installer dans la chambre utilisée par « l'invité », comme il appelait Assange dans ses rapports, mais certains de ses employés, préoccupés par l'illégalité de ces missions, l'ont averti qu'ils pourraient être découverts. « Le fondateur de WikiLeaks était obsédé par l'idée d'être espionné », a déclaré un ancien employé de l'entreprise.

Morales a donné pour instruction à ses employés d'installer des micros dans les extincteurs de l'ambassade ainsi que dans les toilettes des femmes.

L'espionnage d'Assange s'est intensifié après  l'arrivée au pouvoir de Lenin Moreno en Équateur. A cette époque, Morales se rendait régulièrement à New York et à Washington, comme le journal a pu le confirmer. Parmi la liste des clients de UC Global S. L. figurent Sheldon Adelson et sa société de jeux Las Vegas Sands. Depuis des années, la société espagnole assure la sécurité du yacht du magnat des affaires lorsqu'il se trouve dans les eaux méditerranéennes. Cette mission est généralement effectuée par Morales en personne.

Adelson entretient une amitié étroite avec le président américain Donald Trump et est l'un des principaux donateurs du Parti républicain. Il emploie pour assurer sa sécurité un ancien directeur de la CIA. En 2018, une enquête du New York Times a révélé que Julian Assange était devenu une cible pour l'espionnage de la CIA sous le mandat de l'ancien directeur Mike Pompeo. Des sources officielles ont confirmé au journal américain que WikiLeaks faisait l'objet d'une enquête pour rechercher des liens présumés entre son fondateur et le renseignement russe.

ESPIONNAGE SOUS LE MANDAT DE LENIN MORENO

L'espionnage du fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, s'est accentué sous le gouvernement de l'actuel président équatorien, Lenin Moreno, qui a récemment remis Assange aux autorités britanniques. Le gouvernement équatorien a nié ces accusations et accuse plutôt Assange d'avoir créé un « centre d'espionnage » à l'ambassade.

Rafael Correa, le prédécesseur de Moreno à la présidence, était celui qui avait offert à l'australien refuge à l'ambassade de son pays à Londres et qui lui avait accordé la nationalité. En juillet dernier, le propriétaire de UC Global S. L. a refusé de répondre à ce journal au sujet de l'espionnage présumé de Julian Assange. « Je ne peux faire aucune déclaration sur ce que nous avons fait là-bas ; je ne peux pas donner de détails », a-t-il dit par téléphone. « Nous avons nos règles éthiques et morales et aucune d'entre elles n'a été violée. »

David Morales, ancien militaire, a créé son entreprise en 2008 en s'inspirant de Blackwater, la multinationale américaine de sécurité privée qui a soutenu l'armée américaine dans de nombreux conflits, notamment en Afghanistan et en Irak. L'un des premiers contrats que sa société a obtenu a été d'assurer la sécurité en Europe de deux des filles de Rafael Correa pendant son mandat. Plus tard, il a décroché un contrat pour assurer la sécurité à l'ambassade de l'Équateur à Londres.

En avril, le gouvernement de Lenin Moreno a expulsé Assange de cette ambassade, où il vivait depuis 2012. Après son expulsion et son arrestation par les autorités britanniques, le Royaume-Uni a autorisé le processus judiciaire à remettre le fondateur de WikiLeaks au système judiciaire américain. Les États-Unis veulent qu'Assange soit extradé pour 18 chefs d'accusation, dont l'utilisation délictueuse d'ordinateurs et la divulgation non autorisée d'informations sur la défense nationale concernant les guerres en Irak et en Afghanistan. Le cyberactiviste pourrait être passible d'une peine pouvant aller jusqu'à 175 ans de prison.

Source :  El Pais, José Maria Irujo, 26-09-2019

Traduit par les lecteurs du site  www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

 les-crises.fr

 Commenter

Se réfère à :

1 article