11/11/2019 mondialisation.ca  14 min #164177

Manifestants au Liban et en Irak : les États-Unis, Israël et l'Arabie Saoudite en ont assez de l'Iran 1/4

Manifestants au Liban et en Irak: les États-Unis, Israël et l'Arabie saoudite en ont assez de l'Iran (4/4)

Quand le secrétaire d'Etat américain Mike Pompeo a  déclaré : «Les peuples irakien et libanais veulent récupérer leur pays. Ils découvrent que la corruption est le principal produit d'exportation du régime iranien», il accuse directement les gouvernements irakien et libanais respectifs d'être pro-iraniens et donc de soutenir la révolution. L'engagement des États-Unis dans les rues irakiennes et libanaises et le souhait de voir les gouvernements démis de leurs fonctions ne sont pas passés inaperçus de la plus haute autorité chiite du monde, le Grand Ayatollah Sistani, iranien basé à Najaf, qui jouit d'une influence considérable en Irak et dans le reste du monde islamique. "Il y a des éléments internes et externes qui ont joué un rôle important (négatif) au cours des dernières décennies en Irak, ce pays a été gravement blessé, les Irakiens ont été victimes de l'oppression et des abus, et ces éléments pourraient aujourd'hui chercher à exploiter les manifestations en cours", a  déclaré Sayyed Sistani par l'intermédiaire de son représentant, le cheikh Abdel Mahdi al-Karbala'ei, lors de la prière du vendredi.

Ces mots forts font écho à la mis en garde du secrétaire général du Hezbollah au Liban, Sayyed Hassan Nasrallah, concernant la source de la manifestation dans son pays. Les deux autorités, Sayyed Sistani et Sayyed Nasrallah, ont pris soin de ne pas accuser les États-Unis de contrôler la rue. Les manifestants en Irak et au Liban ont des revendications légitimes, contestant la corruption de longue date dans leurs pays respectifs. Il n'y a aucun doute sur les griefs et l'exaspération de la population dans un système politique dominé par seulement une poignée de dirigeants. Les États-Unis essaient de se faufiler parmi les revendications légitimes des manifestants.

Cependant, la situation en Irak et au Liban prend un tournant dangereux où la possibilité d'un effondrement total, en particulier au Liban, n'est pas éloignée.

Cela n'a rien à voir avec l'Iran et ses alliés au Liban et en Irak. Le Grand Ayatollah Sayyed Sistani, connu pour s'opposer à toute ingérence iranienne ou américaine dans les affaires irakiennes, a protégé al-Hashd al-Shaabi [Unités de mobilisation populaire], durement accusé par l'Occident, en particulier par les États-Unis, et par l'Arabie saoudite d'être le bras iranien en Irak : «Notre fierté va aux forces armées et à ceux qui les ont rejoints dans la lutte contre État islamique et qui ont défendu l'Irak avec beaucoup de mérite, en particulier à ceux qui sont stationnés en ce moment aux frontières et sur des sites sensibles». Hashd al-Shaabi est déployé le long des frontières entre l'Irak et la Syrie, dans le désert d'al-Anbar et dans toutes les zones sensibles et reculées du territoire irakien où État islamique opère encore.

En Irak et au Liban, Hashd al-Shaabi et le Hezbollah ont quitté les rues et ont demandé à leurs partisans de les suivre. Les deux entités sont conscientes du piège tendu aux forces directement impliquées et des conséquences d'une telle implication aux niveaux national et international. Les deux parties estiment que les États-Unis sont prêts à inciter l'Europe, les Nations unies et la communauté internationale à intervenir au Liban et en Irak afin d'élargir la crise, de détourner les manifestations, et de répéter les scénarios de guerre libano-syriens.

Les médias traditionnels se concentrent sur les milliers de manifestants au Liban et en Irak, ignorant les millions de personnes restées chez elles ou hors des manifestations. Ces abstentionnistes soutiennent les revendications justifiées des manifestants, la lutte contre la corruption et les appels à un changement de leadership politique. Mais ils s'opposent à la destruction de leurs pays, une destination vers laquelle le cours des événements semble conduire particulièrement le Liban. Nombre d'entre eux sont incapables d'acquérir les produits de première nécessité, à moins de disposer d'un travail régulier. D'autres voient leurs affaires faillir après la fermeture de toutes les institutions. Le système monétaire libanais est pratiquement effondré et les banques refusent de répondre à la demande pressante de retrait de son épargne par la population. Le dernier bastion du Liban, les banques, tremble et le gouverneur de la Banque centrale, Riad Salame, a décidé d'enfourcher le cheval américain pour se sauver plutôt que pour sauver le pays. Il détourne la responsabilité de sa propre planification financière, qui a échoué, et de son soutien personnel à des personnalités politiques et importantes impliquées dans la corruption au Liban. Il a accusé le Hezbollah d'être derrière les critiques de sa politique monétaire.

Il n'y a pas de  sentiments anti-Iran sérieux qui prévalent en Irak et au Liban, pas plus que des opinions anti-américaines ou anti-saoudiennes. En Irak, c'est Moqtada al-Sadr, le chef politique qui contrôle 53 députés, le plus grand parti politique au Parlement, le plus grand nombre de ministres, de directeurs généraux, d'ambassadeurs et d'autres postes clés du gouvernement, qui a dirigé les slogans anti-iraniens à cause de sa vendetta personnelle avec l'Iran. Les Irakiens sont sentimentaux et critiquent volontiers toute déclaration nationale ou étrangère. Cependant, l'Iran a soutenu Erbil et Bagdad contre ISIS lors de l'invasion du pays par les États-Unis. Les États-Unis sont responsables de l'assassinat de centaines de milliers d'Irakiens et ont récemment repoussé à plus tard leur intervention pour savoir jusqu'où État islamique pourrait aller au-delà de l'occupation d'un quart de la Mésopotamie. Le plan de partition du pays était sur la table des États-Unis mais a échoué en raison de l'intervention rapide de l'Iran, de la formation fournie par le Hezbollah et surtout de la détermination et du sacrifice de la population irakienne et des forces de sécurité.

Photo Elijah J. Magnier

Les États-Unis et l'Iran sont tous deux impliqués dans la formation du leadership politique en Irak et au Liban. Les États-Unis dictent leur volonté au Liban et à l'Irak, tandis que l'Iran cherche simplement à s'assurer que les gouvernements ne lui sont pas hostiles, n'imposent pas de sanctions, ne dirigent pas leurs banques, et ne décident pas ce que le Liban peut ou ne peut pas faire pour défendre son pays de l'agression d'Israël, de la violation de ses eaux territoriales, de son espace aérien et de ses territoires.

L'Iran a réussi à créer une solide chaîne d'amis puissants au Moyen-Orient alors que les États-Unis ont échoué.

En Syrie, le président Bachar al-Assad est devenu l'un des alliés les plus solides de l'Iran. En Irak, Téhéran a réussi à installer au pouvoir trois de ses principaux alliés, le Premier ministre Adel Abdel Mahdi, le Président Mohammad al-Halbusi et le Président Barham Saleh. Le gouvernement irakien peut compter sur al-Hashd al-Shaabi en tant que force de sécurité idéologique prête à protéger l'État et à empêcher tout coup d'État planifié par des officiers supérieurs. Hashd a réussi à déjouer les plans d'officiers irakiens de haut rang à cet égard, des officiers ayant un lien direct avec l'ambassade des États-Unis à Bagdad. Mais la situation en Irak a pris une tournure critique pour le Premier ministre Abdel Mahdi lorsque les manifestants sont descendus dans les rues et lui ont demandé des comptes sur sa responsabilité dans la forte corruption qui infecte tous les politiciens. Comme au Liban, les gens se mobilisent pour une cause juste en raison du manque des infrastructures de base, l'électricité, l'eau potable et les opportunités d'emploi. Le Liban et l'Irak se ressemblent beaucoup et leurs populations ont les mêmes exigences. Mais prétendre que les Irakiens en ont marre et que l'influence de l'Iran l'alimente est une indication que les observateurs n'ont que très peu compris l'Iraq et expriment leur vœux pieux plutôt que la réalité.

Ayant vécu en Irak, au Liban et en Syrie pendant de nombreuses années - et voyageant encore assez souvent dans le pays - il n'est pas difficile de réaliser que la population irakienne se réveille face à l'incroyable niveau de corruption. Comme au Liban, des dizaines de milliards de dollars ont été volés à l'Irak depuis l'occupation américaine en 2003 et pendant le règne de tous les gouvernements et hommes politiques sans exception.

Quand j'ai demandé une fois à Sayyed Sistani pourquoi le Marjaiya [la source religieuse de toute autorité, c'est à dire Sistani lui-même] ne s'opposait pas au Premier ministre choisi en proposant un autre candidat plus approprié, il m'a répondu : "Avez-vous un nom à suggérer ? Ces gens sont de notre peuple. D'où viendra un candidat parfait ?"

Oui, l'Iran - comme les États-Unis - tente de réunir une coalition des partis politiques les plus puissants pour choisir un Premier ministre non hostile. C'est exactement ce que l'envoyé américain en Irak tente de faire depuis 2003. Les Américains ont échoué, depuis la chute d'Iyad Allaoui, à mettre au pouvoir leur homme jusqu'à ce qu'Adel Abdel Mahdi soit arrivé et constituait un choix qui convenait aussi bien à l'Iran qu'à l'Irak.

En fait, Abdel Mahdi est un technocrate professionnel disposé à introduire des réformes dans le pays mais ne dispose d'aucun soutien politique lui permettant de choisir entre des hommes politiques corrompus. Il a été élu grâce au soutien des plus grands partis politiques, principalement le blog de Moqtada al-Sadr et le bloc de Hadi al-Ameri.

Mais le Premier ministre irakien Abdel Mahdi, à l'instar du gouvernement libanais, a lancé un plan de réforme visant à apporter des changements. Si les gouvernements ne sont pas autorisés à mettre en œuvre ces réformes sous le regard vigilant des manifestants, les pays s'effondreront.

Ce ne sont pas des propos pessimistes, mais une approche réaliste des événements possibles. Au Liban, l'armée libanaise stocke ses principaux entrepôts d'armes et de munitions à Dbaiye, une zone non loin de la portée de l'allié américain en cas de troubles. Les Aounistes chrétiens majoritaires - qui ont cru que l'armée libanaise était leur protecteur - ont découvert qu'ils pouvaient être lâchés du jour au lendemain. L'attitude du commandant en chef de l'armée a été très décevante pour le président Michel Aoun et ses partisans. Selon des sources bien informées, une poignée de voyous déterminés pourrait déclencher un massacre potentiel dans un petit lieu de la zone chrétienne pour obliger tous les chrétiens pro-Hezbollah à se terrer chez eux et donner le dessus à ceux qui souhaitent une guerre civile. Ce n'est pas un scénario impossible en cas d'anarchie totale à l'horizon.

En Irak, la situation est bien meilleure qu'au Liban. Un gouvernement réformé est sur le point de prendre le pouvoir et le Premier ministre Abdel Mahdi y travaille avec peu de résistance de la part des différents partis politiques. Au Liban, le Premier ministre Saad Hariri est loin de former un nouveau gouvernement. Hariri a déclaré lors d'une réunion privée à l'envoyé du Hezbollah que sa démission était due à la présence du ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, et à son influence au sein du gouvernement. Lors de sa rencontre avec le président Aoun, Hariri lui a dit qu'il ne voulait pas de gouvernement avec les ministres du Hezbollah. Ce "jeu" fait preuve de peu de transparence et soulève des questions parmi les opposants politiques à Hariri qui voudraient le voir diriger le nouveau gouvernement, bien qu'ils ne puissent répondre à ses exigences impossibles. Le Premier ministre par intérim n'a pas le pouvoir d'exclure les plus grands partis politiques du Parlement alors qu'il est loin de détenir même la moitié du soutien des députés.

Il est juste de dire que les pays où l'Iran a de puissants alliés sont secoués, mais avec une population entière qui n'a rien à voir avec l'Iran et les États-Unis. L'administration américaine a adopté la guerre comme passe-temps, alors que la population du Moyen-Orient en a assez des guerres. La prise de conscience des manifestants semble très limitée pour aller au-delà de leurs propres revendications nationales. Qui va l'emporter ? Les semaines à venir sont cruciales pour l'Irak et le Liban.

Elijah J. Magnier

Première partie :

 mondialisation.ca

 Manifestants au Liban et en Irak: les États-Unis, Israël et l'Arabie saoudite en ont assez de l'Iran (1/4)

Deuxième partie :

 mondialisation.ca

 Manifestants au Liban et en Irak: les États-Unis, Israël et l'Arabie saoudite en ont assez de l'Iran (2/4)

Troisième partie :

 mondialisation.ca

 Manifestants au Liban et en Irak: les États-Unis, Israël et l'Arabie saoudite en ont assez de l'Iran (3/4)

La source originale de cet article est  ejmagnier.com

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