18/11/2019 mrmondialisation.org  8min #164615

 Chili : l'état d'urgence après des manifestations violemment réprimées

Chili : 4 semaines de lutte pour une nouvelle Constitution qui rassure autant qu'elle inquiète

Après quatre semaines de manifestations intenses au Chili, les parlementaires sont parvenus à un accord pour engager un processus constitutionnel d'exception par plébiscites, commission constituante et nouvelle constitution. Si le processus arrive à terme, cette nouvelle constitution marquera la fin de la Constitution de la dictature de Pinochet, créée en 1980, avec le risque néanmoins de réaffirmer les mécanismes viciés que la dictature elle-même avait alors imposés : des prises de décisions fermées, des négociations secrètes et autres accords d'impunité... Le point depuis le Chili.

Une nouvelle Constitution, de nouveaux processus de décision

Dans la nuit du jeudi 14 au vendredi 15 novembre, les parlementaires de l'État du Chili, de droite comme de gauche (sauf certains partis comme le Parti communiste et le Frente Amplio, qui ont affirmé que cette réunion était une trahison envers les citoyens mobilisés), ont décidé d'engager un processus constituant visant à modifier la Constitution chilienne. Cette dernière cristallise globalement les revendications des manifestations, car celle-ci a été créée en 1980 par une commission de droite, pendant la dictature de Pinochet. Bien que cet accord soit vécu par une partie de la population comme l'espoir de calmer les violences et de provoquer des changements, d'autres voix s'élèvent pour dénoncer une énième manipulation, bien loin d'un processus démocratique.

Selon les premières déclarations, le processus constituant prévoit un premier plébiscite (avril 2020) par le vote volontaire de la population. Les questions posées seront si « oui ou non » les Chiliens veulent modifier la constitution, et si le « oui » l'emporte, par quels mécanismes : une convention constituante (100 % de citoyens) OU une convention mixte (50 % de citoyens et 50 % de parlementaires). Il fixe aussi des élections à octobre 2020, permettant d'élire les potentiels participants à la convention. Ensuite, cette dernière fonctionnerait pendant 9 mois, avec une période de prolongation de 3 mois, les participants ne pouvant pas proposer leur candidature à des postes électifs populaires pendant un an. Enfin, il est établi que l'approbation des articles requiert un vote positif de la part des 2/3 des participants. Dans le cas contraire, car ce serait un essai à partir de zéro ou une « feuille blanche », les domaines concernés peuvent faire à l'avenir l'objet de discussions législatives. Sans aucun doute, sur la forme, il s'agit d'un grand pas en avant pour que les revendications de la société soient enfin écoutées.

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Ni démocratique, ni transparent...

Cependant, une fois que les parlementaires ont conclu l'accord, ils ont également opéré une déclaration publique émanant de tous les secteurs politiques. Ils indiquaient qu'il s'agissait d'un accord pour une nouvelle constitution, et surtout d'un « accord de paix ». Cette simple formulation crée une confusion, car depuis le début, les revendications des manifestations insistaient sur le fait qu'il ne s'agissait en aucun cas d'une guerre. Bien au contraire, ceux qui ont agi et ont conceptualisé la mobilisation en tant que « guerre » ont été les seuls représentants du gouvernement. Les mêmes personnes, donc, qui ont validé des actions répressives de la police et ont injecté les forces armées dans les rues, entraînant notamment la mort de plusieurs personnes et des milliers de blessés.

À l'heure actuelle, l'appareil répressif de l'État a enregistré plus de 20 meurtres, plusieurs disparus, plus de 200 personnes souffrant de lésions oculaires résultant de l'utilisation abusive de granules de caoutchouc par la police et plus de 40 poursuites pour abus sexuels et torture de la part de membres de l'armée et de la police. S'ajoutent à cela de multiples preuves d'infiltration de policiers en civil dans les manifestations et de participation au vandalisme, dans le but de criminaliser la mobilisation et de justifier une répression violente. Bien que, particulièrement ces derniers jours, le pillage et la destruction de propriétés privées et publiques par les manifestants se soient réellement intensifiés, ils ne représentent pas l'écrasante majorité des personnes mobilisées pour la revendication des droits sociaux et de la justice dans le pays. Rappelons que le Chili, régi par une Constitution élaborée par une dictature depuis 40 ans, a vécu dans la ségrégation, la privatisation des droits, des ressources naturelles, et les abus de pouvoir d'une classe privilégiée.

Répression policière avec un « guanaco », un camion muni d'un canon a eau, et d'un « zorillo », un camion diffusant un gaz lacrymogène et poivré. Crédit Photo : Camille Girard.

Les parlementaires se préparent donc en ce moment à ouvrir la voie à une nouvelle Constitution. Une étape positive mais dont le processus de discussion entre les parlementaires est peu transparent : à huis clos et tenu secret. Cela ne fait que souligner les vices dénoncés par le peuple à l'origine : une classe politique qui décide pour ses propres intérêts alors qu'elle vient manifestement de perdre la représentativité de la citoyenneté.

Sur quels aspects la Gauche chilienne devrait-elle céder pour imposer un processus qui serait toléré par la Droite au pouvoir ? Que les violations des droits de l'homme commises par le gouvernement de Piñera ne fassent pas l'objet d'une enquête ? L'impunité pour les actions des forces armées et de la police ? Que certains articles de la nouvelle Constitution ne soient pas discutés durant la convention ? Arrêter le processus d'accusation constitutionnelle contre Piñera ? Si les parlementaires voulaient vraiment être représentatifs des citoyens, comme ils le prétendent, la négociation aurait-elle pu être exposée de manière transparente à travers les médias dont les dispositions modernes le permettent ? Comme ça n'a pas été le cas, même si le résultat semble positif, il reste dans la bouche du peuple un arrière-goût de « petits arrangements entre amis » où un très petit nombre de personnes négocient entre elles en secret. Précisément comme ce fut le cas durant les 30 dernières années.

Photographie par Sabine Greppo. Le 15 novembre 2019, place de la Dignité, Santiago, Chili.

Un autre point intéressant est d'analyser le mécanisme d'élection des représentants qui participeront à la convention. Jusqu'ici, il a été convenu que le processus sera calqué sur le système d'élection des députés, à savoir à travers des listes. Cela signifie qu'il n'y a pas d'élection directe, mais qu'il est possible qu'un nombre de votes élevé permette à un autre représentant de la même liste de s'inscrire, au détriment de quelqu'un qui, malgré qu'il ait aussi reçu beaucoup de votes, ne pourra pas s'inscrire à une liste. Cela donne naturellement un pouvoir de domination aux organisations déjà structurées dans cette logique : les partis politiques dominants.

Peut-être cet accord à huis clos a-t-il permis de s'assurer que la nouvelle Constitution restera entre les éternelles mêmes mains, celles là mêmes qui aujourd'hui font face à une crise de confiance de la société, et qui sont teintées d'histoires de corruption et d'intérêts avec le monde des affaires qui durent depuis trop longtemps. Le sentiment d'être foulé par le gouvernement est donc toujours palpable. Ce pourquoi la ferveur populaire chilienne ne semble pas se tarir, une partie de la population réclamant toujours la démission unilatérale de Piñera et de son gouvernement.

Les revendications des membres de la communauté universitaire.
Crédit Photo : Camille Girard

La lutte se poursuit...

Comme les images les plus récentes en attestent, la nouvelle d'une nouvelle constitution en devenir ne semble pas calmer les mobilisations. La lutte continue, considérant qu'une des revendications les plus plébiscitées des protestations est le départ de Piñera. Non seulement le Président chilien s'est concentré sur une répression systématique, mais il n'a pas non plus été en mesure de suivre une voie raisonnable au sein de son propre gouvernement.

Sur le terrain, les militants continuent également de se mobiliser en réponse aux actes répressifs de ces dernières semaines, s'inscrivant dans un agenda social fort qui serait capable de répondre aux besoins de justice et de droits sociaux à court terme, pendant que la nouvelle Constitution est en préparation. L'objectif est de proposer une solution à de multiples questions, chacune aussi essentielle que les autres : que faisons-nous aujourd'hui pour faire face aux inégalités et aux problèmes de la répartition inégale des revenus ? Face à une éducation de qualité médiocre et à deux vitesses ? Contre les profits faramineux du système de retraite privé ? Face à un système de santé asphyxié ? La nouvelle du processus de formation d'une nouvelle Constitution est un premier pas sur le long terme, mais il manque encore beaucoup de réponses à des problèmes urgents.

Luis Herrera et C.G.

Photographie d'entête par Sabine Greppo. Chili. Le 15 novembre 2019, place de la Dignité, Santiago, Chili.

Sur le drapeau : « Stop aux violences ». Crédit Photo : Camille Girard

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