Des courriers menaçants adressés à des familles de CRS ont mis le feu aux poudres dans les syndicats de police, déjà mobilisés au sujet de la réforme des retraites et d'un inquiétant sentiment anti-policiers.
Les syndicats policiers Alternative et Unité-SGP ont fait part le 5 décembre de leur «effroi» et de leurs inquiétudes après que des policiers des Compagnies républicaines de sécurité (CRS) ont reçu des courriers anonymes menaçant leurs familles de représailles, des faits «d'une extrême gravité» pour le ministre de l'Intérieur.
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Dans un communiqué, Alternative joint la photo d'un courrier signé ACAB [All Cops Are Bastards, un acronyme signifiant «Tous les flics sont des salauds»] adressé à un CRS, l'auteur menaçant de s'en prendre à sa famille. Le secrétaire général du syndicat, Denis Jacob, a affirmé à l'AFP que plusieurs policiers, également CRS, avaient reçu le même courrier. Interrogée par l'AFP, la police nationale a fait état de «trois envois», tous adressés à des CRS, en ajoutant qu'il y avait eu dépôt de plainte et ouverture d'une enquête.
Le syndicat Unité-SGP évoque, selon l'AFP, «quelques dizaines» de courriers adressés aux domiciles de CRS en déplacement et déclare : «Ce qui se passe dans notre pays est très grave. Nous avons passé un palier supplémentaire d'une République en passe de faillir, parce que ces seuls remparts sont attaqués et menacés dans leurs chairs».
«Les faits rapportés par Unité-SGP sont d'une extrême gravité», a réagi sur 𝕏 Twitter Christophe Castaner, ajoutant : «Tout doit être fait pour identifier les auteurs de cette infamie. Je n'accepterai jamais que l'on menace ceux qui nous protègent, jusque dans leurs foyers ! Ces actes doivent être condamnés par tous».
«Les forces de l'ordre ne sont pas une variable d'ajustement social»
Interrogé par RT France, Jean-Pierre Colombies, ancien commandant de police et porte-parole de l'association policière UPNI (Union des policiers nationaux indépendants), a pour sa part rappelé que ces courriers arrivent dans un contexte de tensions sociales déjà exacerbées, le gouvernement étant en confrontation avec une frange croissante de la population française, notamment sur la question de la réforme des retraites, mais pas uniquement : «Les policiers sont devenus le réceptacle et le catalyseur de violences qui sont en réalité adressées au gouvernement... et le message, c'est un rejet massif de cette politique ! Qu'en pensent les pauvres flicards qui n'ont rien demandé à personne ? Les dérives graves du préfet Lallement, qui aurait dû sauter sur sa sortie face à une Gilet jaune place d'Italie, et de Castaner, dont on ne compte même plus les erreurs, mènent à toujours plus de violences. Le résultat, c'est qu'on a radicalisé des gens qui ne portaient qu'une demande de justice sociale.»
Et de prendre pour exemple les meurtres d'un couple de policiers par le terroriste islamiste Larossi Abballa en juin 2016 : «Ce gouvernement transforme les manifestants en sorte de djihadistes sociaux. Le triste exemple des assassinats de policiers à Magnanville nous revient en mémoire, mais il s'agissait alors d'un fou de dieu. En réalité, c'est la première fois qu'on s'en prend directement aux policiers dans leurs foyers pour leur fonction républicaine. Il y a une véritable fixation sur l'institution police qui résulte d'une certaine utilisation de ses forces : nous n'en pouvons plus de voir les policiers être utilisés comme porte-paroles d'un gouvernement contesté... Il y a quelque chose qui fermente en ce moment et qui n'est pas bon. C'est du jamais vu, de même que cette crise sociale qui ne fait que commencer. Mais du 5 décembre, ce qu'il faut retenir, c'est bien les milliers de personnes dans la rue, pas les quelques faits de violences.»
Les policiers sont devenus le réceptacle de violences qui sont adressées au gouvernement et le message, c'est un rejet massif de cette politique ! Qu'en pensent les pauvres flicards qui n'ont rien demandé à personne ?
L'ancien policier syndicaliste rapporte aussi la question de la violence au domaine du politique : «Nous nous trouvons dans une dynamique de légitimation de la violence à cause de l'action de ce gouvernement qui apparaît totalement sourd à une demande de justice sociale de sa population et qui s'appuie sur un vote de 2017 qui ne lui donne pas réellement mandat pour réformer. Ils nous expliquent que ces mesures répondent à une demande des Français, mais c'est faux ! Il suffit de regarder la rue. Les gens n'ont pas voté pour Macron, ils ont voté par défaut, pas par adhésion. Et les policiers ne sont pas là pour choisir "un camp" comme dirait le préfet Lallement, ni pour réduire la fracture sociale causée par le gouvernement. Les forces de l'ordre ne sont pas une variable d'ajustement social.»
Jean-Pierre Colombies envisage de son côté le pire scénario : «Quand Emmanuel Macron fait montre de sa grande détermination, il dit qu'il ira jusqu'au bout... Jusqu'au bout de quoi ? De la guerre civile ? Parce que là, on en arrive à une situation où des menaces arrivent sur la vie des policiers et de leurs familles !»
Antoine Boitel
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