Par Alexandre Lantier
11 décembre 2019
Plus de 800.000 personnes ont manifesté en France contre la réforme des retraites hier, alors que des jeunes, les cheminots et de larges couches du secteur public continuaient la grève lancée le 5.
Cette grève se déroule sur found d'une puissance résurgence internationale de la lutte des classes et d'opposition politique parmi les travailleurs. Des grèves montent contre le régime militaire et les élections du 12 décembre en Algérie, les cheminots britannique se mobilisent après les travailleurs de l'automobile et les enseignants aux USA, et une vague de manifestations de passe va du Liban et de l'Irak au Chili et en Bolivie. La montée de l'opposition politique à Macron se transforme ainsi rapidement en épreuve de force entre les travailleurs et le gouvernement.
La grève démontre encore une fois la vaste puissance de la classe ouvrière. Les trains et les transports parisiens sont quasiment à l'arrêt, plus de 10 pour cent des personnels de l'Éducation nationale étaient en grève, et de nombreux lycéens et étudiants ont manifesté hier.
Le secteur de l'énergie était également mobilisé. Sept des huit raffineries françaises étaient en grève et bloquées, soulevant la possibilité de pénuries d'essence dans les stations-service, notamment si les routiers entrent en grève comme prévue la semaine prochaine. Environ un quart des travailleurs d'Électricité de France étaient en grève, ce qui a provoqué une baisse de charge dans les réacteurs nucléaires français d'environ 6.000 megawatts.
La CGT stalinienne a annoncé qu'environ 880.000 personnes s'étaient mobilisées hier, y compris 160.000 à Paris. De larges mobilisations se sont déroulées à Lille, Lyon, Marseille, Rennes, Nantes et Toulouse. Là, les manifestants ont marqué leur opposition à la répression policière en brandissant des photos d'Odile Maurin, une femme handicapée interdite de manifestation parce qu'elle aurait prétendument attaqué les forces de l'ordre, lourdement armées, en fauteuil roulant.
Parmi les travailleurs il y a une profonde colère contre Macron, mais aussi une méfiance croissante envers les directions syndicales, qui prétendent améliorer la réforme en discussion avec lui. Comme tant de fois dans l'histoire, la CGT prépare un piège aux travailleurs en négociant avec un gouvernement capitaliste hostile aux travailleurs. Mais le gouvernement Macron souligne qu'il ne lâchera rien à ses attaques contre les retraites et d'autres acquis sociaux essentiels, y compris la santé et l'assurance-chômage.
La seule façon de stopper ces attaques est de mobiliser de plus larges couches de travailleurs et de jeunes pour faire chuter Macron, en faisant appel à la solidarité de la classe ouvrière internationale. Il s'agit pour les travailleurs d'ôter le contrôle des luttes aux syndicats, et de construire leurs propres comités d'action indépendants afin de discuter et coordonner librement leurs luttes et de contrer l'influence des directions syndicales, liées à Macron. Il de plus en plus clair pour les travailleurs que ces organisations n'ont rien à leur offrir.
Marie-Hélène, une infirmière, a rencontré des reporters du WSWS à Paris et a expliqué qu'elle considère que cette grève est une réponse à une offensive de l'aristocratie financière, qui a duré plusieurs décennies, pour appauvrir les travailleurs.
Elle a dit: «Ça va être un vrai problème de niveau de vie, vraiment. Moi ma retraite elle sera en dessous de 1.000 euros par mois. On ne peut pas vivre en France avec moins de 1.000 euros par mois.... On a constaté depuis quelques dizaines d'années en France mais dans le monde entier ces développements de l'ultra libéralisme qui fait la part belle aux profits, au capitalisme en général et les premières victimes ce sont les travailleurs, donc les populations de tous les pays sont touchés.»
Elle a souligné que pour stopper la réforme il faudrait mobiliser les travailleurs malgré les tentatives des syndicats de négocier un compromis pourri avec Macron: «Il n'est pas question de négocier. On peut peut être avoir l'intention de négocier au niveau des têtes des syndicats, mais nous sommes la base et la base vous dit, clair et net: cette réforme ne passera pas. On sera là tout le temps dehors. Et cette réforme ne se fera pas.»
Marie-Hélène, qui participe aux manifestations de «gilets jaunes» depuis un an, a dit son mépris des allégations des médias selon lesquelles ce serait un mouvement néo-fasciste: «Je suis infirmière, est ce que je peux être fasciste? Franchement, c'est du n'importe quoi. Voilà, tous mes amis sont des personnes tout à fait tranquilles qui ne seraient jamais sorties dans la rue s'il n'y avait pas eu des réformes tout à fait néfastes pour nous.»
La colère monte contre les inégalités sociales obscènes que produit le capitalisme. Le WSWS a parlé à Yoann et Martin, deux enseignants qui ont calculé que la réforme leur coûterait 500 euros mensuels de retraite. Évoquant Bernard Arnault, l'homme le plus riche du monde qui a augmenté ses richesses de 23 milliards d'euros en 2018, Yoann a dit: «Ça dégoûte, clairement, quand on voit qu'on est forcé de calculer nos fins de mois, certains finissent leurs mois dans le rouge.»
Les élèves des quartiers ouvriers font face à des écoles surpeuplées et sous-financées. «Leurs familles finissent les mois difficilement», a dit Yoann, avant d'ajouter: «C'est trop triste de voir un élève qui a envie de faire du sport, mais ça coûte 25 euros à sa famille, et que sa famille ne puisse pas lui payer directement une licence à 25 euros.»
James, un vendeur, a expliqué au WSWS pourquoi il se méfie de dirigeants syndicaux comme le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez: «En fait, ce sont des gens qui sont dans le système, leurs groupes syndicaux touchent énormément d'argent.... Alors ils négocient en effet. Mais négocier, c'est quoi, qu'est-ce qui sort au bout de la négociation? Rien, à la fin les gens sont toujours dans la même situation, mais en fait eux ils auront toujours leurs places, ils feront toujours leurs belles vies.»
Ces remarques mettent en évidence le gouffre de classe qui a émergé entre les travailleurs d'un côté et de l'autre l'aristocratie financière, ainsi que la classe politique et les bureaucrates syndicaux qui négocient la politique que va mener l'État.
Le premier ministre Édouard Philippe doit faire un discours aujourd'hui pour essayer de vendre la réforme aux Français. 67 pour cent des Français s'y opposent, et 59 pour cent déclarent que Macron porte la responsabilité de la grève pour avoir mené obstinément une politique impopulaire, et les appels ont monté dans les milieux du pouvoir pour que le gouvernement explique sa politique.
Mais Philippe s'est montré moins optimiste hier dans une réunion à huis clos avec les députés de LRM, où ses commentaires ont révélé que le gouvernement agit avec un mépris froid pour l'opinion. «Il n'y a pas d'annonces magiques», a-t-il dit. «Ce n'est pas parce que je fais un discours mercredi midi que les manifestations vont cesser. Ce discours va même susciter de nouvelles questions. Et c'est normal.» Ceci ne fait que confirmer qu'il n'y a rien à négocier avec le gouvernement Macron, et qu'il s'agit à présent de se mobiliser en lutte pour le faire chuter.