Par Anthony Torres
20 décembre 2019
La grève contre la réforme des retraites voulue par Macron est à la croisée des chemins. Après avoir annoncé mardi «sa détermination totale» à imposer la réforme des retraites malgré l'opposition massive des travailleurs, Édouard Philippe a fait des effets d'annonce aux médias après avoir rencontré hier les syndicats et le patronat. Les syndicats s'emparent à présent du prétexte des négociations prévues en janvier pour tenter de fragiliser l'opposition des travailleurs et des jeunes, et de trahir la grève.
Édouard Philippe a dit aux médias avoir «proposé de nouvelles avancées» aux syndicats dans le cadre de sa réforme. Il a prétendu qu'il ne souhaitait pas de «baisse des pensions» ou de «hausse du coût du travail» par une augmentation des cotisations, mais que «cela ne veut pas dire qu'il n'y aurait que l'âge d'équilibre de 64 ans comme mesure budgétaire». Il a ajouté qu'il proposait «aux organisations syndicales d'en discuter» en janvier.
Ce n'est là qu'un enfumage cynique et contradictoire. D'abord, ces promesses n'engagent Philippe à rien, pas plus que sa promesse de «faire baisser» plus tard l'âge de 67 ans auquel on peut partir en retraite à taux plein si on n'a pas suffisamment cotisé de trimestres à cause de périodes de chômage ou d'études longues. Les travailleurs qui partiraient avant «l'âge pivot» de 64 ans subiraient toujours un malus majeur sur leur retraites.
Ensuite, si l'âge pivot n'est pas la seule mesure budgétaire, c'est que d'autres mesures dans la réforme contribuent bel et bien à baisser les pensions, malgré le démenti de Philippe. Il reste l'égalisation à la baisse de tous les régimes de retraite à travers l'élimination des régimes spéciaux. A cela s'ajoute la possibilité pour l'État, les syndicats et le patronat de revoir à la baisse chaque année la valeur du «point» de retraite créé par la réforme, comme l'a suggéré Fillon en 2016.
Le caractère de classe de la réforme voulue par Philippe se voit dans son affirmation la semaine dernière, pour justifier sa réforme, que le chômage et la précarité, «c'est le monde dans lequel nous vivons». Son gouvernement, qui fait des centaines de milliards de cadeaux aux riches et qui modernise massivement l'armée, n'a rien à proposer aux travailleurs que de les piller pour enrichir l'aristocratie financière internationale.
Pourtant, les syndicats se sont précipités sur ces annonces vides pour déclarer leur volonté de négocier et de trahir la lutte. Laurent Berger de la CFDT a déclaré qu'il «y a une volonté de dialogue» et carrément des «ouvertures», mais que sur «la question de l'âge d'équilibre», «il y a un désaccord». Le secrétaire de la CFDT a affirmé être ouvert à la négociation: «On ira, on travaillera, mais il y a un point dur qui est cette question de recherche de l'équilibre à court terme, donc on en est là ce soir».
L'Unsa qui n'était pas contre la réforme des retraites est sur la même ligne que la CFDT. L'Unsa ferroviaire «appelle à une pause pour les vacances scolaires» ce qui permettra un fonctionnement normal du métro parisien alors que les travailleurs de la RATP bloquaient le métro depuis plusieurs jours, preuve de leur détermination à en découdre avec Macron.
Les syndicats se partagent les rôles. D'un côté, les confédérations ouvertement pro-Macron saluent sa réforme réactionnaire et tentent ouvertement d'étrangler la grève. La CGT, FO et Solidaires jouent la fausse opposition, en faisant quelques critiques de la réforme sans donner de perspectives aux grévistes déjà en lutte et sans salaire, hormis une lointaine journée d'action d'ici plus de deux semaines.
Le secrétaire de la CGT, Philippe Martinez a déclaré «La CGT évidemment ne partage pas ce projet, donc au nom de l'intersyndicale (CGT, FO, CFE-CGC, Solidaire, FSU) je peux vous annoncer qu'une prochaine journée interprofessionnelle d'action aura lieu le 9 janvier prochain.»
L'intention est manifestement d'imposer une trêve à Noël malgré l'opposition des grévistes et des jeunes à cette perspective, pour qu'une éventuelle mobilisation le 9 ne soit qu'un dernier ou avant-dernier baroud d'honneur avant l'adoption de la réforme au parlement en février.
Yves Veyrier de FO a déploré avec une impuissance délibérément entretenue le calendrier trop court du premier ministre pour tenter d'imposer la réforme: «Peu de temps reste pour discuter. Il faut appuyer sur le bouton stop, mettre de côté cette mauvaise idée et alors seulement on pourra négocier».
Le rôle des syndicats «contestataires» est particulièrement cynique. Ils disent vouloir le retrait de la réforme des retraites, mais ils l'ont négociée durant deux ans avec le gouvernement. En fait, ils ont négocié avec Macron toutes ses réformes: loi travail, assurance-chômage, réforme ferroviaire, etc. Ils n'ont pas cherché à mobiliser les travailleurs et les ont isolés et trahis quand ceux-ci luttaient comme lors de la casse du statut des cheminots et la privatisation de la SNCF.
Les appareils syndicaux ne sont pas opposés par principe à la politique d'austérité du gouvernement. Si cette bureaucratie corrompue a organisé quelques journées d'action, c'est par crainte de se faire déborder par les travailleurs. Elle a eu très peur des grèves sauvages des travailleurs de la SNCF au centre Châtillon et de la grève largement suivie à la RATP contre la réforme des retraites en septembre-octobre.
Les travailleurs et les jeunes ne veulent pas de négociations entre les syndicats et le gouvernement qui mettraient fin à la lutte contre la réforme des retraites et contre Macron et son gouvernement illégitime élu par une minorité de la population.
Les grèves et blocages des travailleurs montrent le potentiel révolutionnaire de la classe ouvrière. La lutte contre la réforme des retraites doit être arrachée des mains des organisations syndicales, qui sont financées par l'État et le patronat. Les travailleurs ont besoin de leurs propres organisations indépendantes, des comités d'action unifiant leurs luttes avec celles des travailleurs en lutte à l'échelle internationale comme au Liban, au Chili, en Colombie, aux Etats-Unis et à travers l'Europe.
Les tentatives des chefs syndicaux de négocier encore une fois avec Macron souligne leur hostilité consciente envers toute lutte politique contre Macron. Déjà, lorsque le mouvement des gilets jaunes se formait pour lutter contre Macron indépendamment des vieux appareils, les syndicats les ont dénoncés en les traitant d'extrémistes de droite.
Des avertissements sévères sur le rôle de la direction cégétiste sont nécessaires. L'expérience des luttes même les plus récentes souligne que leur décision de ne pas s'aligner ouvertement sur la position pro-Macron de la CFDT ne signifie pas qu'ils continueront la grève. Ils veulent en fait la stopper à tout prix.
En 2010, Bernard Thibault alors secrétaire de la CGT avait appelé à des actions symboliques après que la CFDT eut signé la réforme des retraites de Sarkozy, qui avait réquisitionné des travailleurs des raffineries pour arrêter la pénurie de carburant et envoyé les gendarmes contre les travailleurs de la SNCM. La CGT n'avait rien fait pour mobiliser les travailleurs plus largement contre la répression. Après l'annonce d'actions symboliques par Thibault, la CGT a tout simplement mis fin aux grèves.
Comme l'a montré le mouvement des «gilets jaunes», pour aller de l'avant il faut une rupture avec les organisations syndicales. Il s'agit pour les travailleurs de se doter de leurs propres organisations, des comités d'action indépendants des syndicats, afin d'empêcher ces derniers d'étrangler la lutte. Stopper la réforme de Macron nécessite une lutte politique consciente des travailleurs pour faire chuter Macron et exproprier l'aristocratie financière.