09/01/2020 reseauinternational.net  6 min #167204

Les Etats-Unis tuent le général iranien Soleimani dans une frappe à Bagdad, Téhéran crie «vengeance»

États-Unis contre Iran - Qui a gagné et qui a perdu ?

par Andrew Korybko.

L'attaque symbolique de l'Iran par des missiles contre deux bases US en Irak a été une victoire de la puissance douce pour la République Islamique. Bien que selon les États-Unis elle n'ait fait aucune victime, bien que les États-Unis aient sans aucun doute remporté une victoire militaire en assassinant le Général Soleimani à Bagdad la semaine dernière, ce résultat superficiel est utilisé par les deux parties pour désamorcer les tensions et les éloigner d'une guerre conventionnelle destructrice.

L'Iran a littéralement choqué le monde en réagissant à l'assassinat du Général Soleimani par les États-Unis à Bagdad la semaine dernière par les moyens les plus directs possibles, une frappe de missile balistique contre deux bases US en Irak aux premières heures de mercredi. Les gens de toute la planète ont été tenus en haleine pendant plus d'une demi-journée à se demander comment le Président imprévisible des États-Unis réagirait suite à sa menace de  cibler 52 sites iraniens - dont des sites culturels - si des Étasuniens étaient tués par la réponse promise par l'Iran.

Avant le  discours de Trump diffusé à l'échelle mondiale, beaucoup étaient  inquiets que la Troisième Guerre Mondiale puisse éclater, ou à tout le moins que l'Iran soit complètement anéanti, mais tous les partisans sincères de la paix dans le monde ont poussé un soupir de soulagement collectif lorsqu'il a déclaré qu'aucun Étasunien n'avait été blessé lors de l'attaque, bien que l'Iran ait  déclaré que 80 personnes avaient perdu la vie, ce qui explique pourquoi Trump n'a pas ordonné de contre-attaque. Ce résultat presque totalement inattendu mérite d'être analysé en profondeur afin d'aller au fond des choses et de mieux comprendre les définitions extrêmement différentes de la victoire des États-Unis et de l'Iran après que tous deux aient affirmé être sortis vainqueurs de cet échange superficiel de « représailles ». C'est finalement au lecteur de décider lequel des deux a vraiment gagné, mais cette analyse vise à rendre leur évaluation finale plus facile.

Il a depuis  été révélé que les Iraniens ont prévenu le Premier Ministre irakien avant de lancer leur salve, après quoi les responsables de son gouvernement ont informé leurs homologues US afin d'éviter tout blessé avant le début effectif de la frappe. On pourrait soutenir que Téhéran a fait cela pour « respecter le droit international » après avoir lancé une attaque sur le territoire de son voisin, mais il est irréaliste de croire que la République Islamique risquerait de perdre l'élément de surprise si elle avait vraiment l'intention de tuer des Étasuniens et de franchir la ligne rouge marquée par Trump.

Malgré la diffusion d'informations discréditées selon lesquelles 80 Étasuniens auraient été tués à la suite de cette attaque, puis en prétendant que cela équivalait à une «  gifle » à son rival, il semble, d'après les images satellite, que l'Iran ait  délibérément évité de prendre pour cible les installations des deux bases qui abritaient les troupes US et irakiennes, si même elles étaient encore là au moment où l'attaque a effectivement eu lieu. Ces faits montrent que l'Iran ne voulait pas vraiment aggraver les tensions avec les États-Unis mais qu'il s'est néanmoins senti obligé de réagir de manière dramatique pour « sauver la face », d'où la prudence extrême qu'il a prise en ne tuant aucun Étasunien, tout en montrant qu'il aurait pu techniquement le faire si ses missiles à guidage de précision avaient été programmés pour le faire.

Du point de vue US, j'ai écrit ce qui suit la semaine dernière dans mon article intitulé «  Non, une guerre avec l'Iran n'aidera pas à remporter une réélection » : Si les événements gravissent rapidement l'échelle de l'escalade, alors l'Iran et peut-être même Trump lui-même pourraient être perdants, seuls les Démocrates et le complexe militaro-industriel des États-Unis émergent cyniquement comme les « gagnants » (puisque  Israël pourrait être anéanti par l'Iran avant que la République Islamique ne soit détruite). Avec le recul, on peut se demander qui a ordonné le retrait des militants iraniens d'Irak et s'il s'agissait d'un complot de « l'État Profond » pour piéger Trump en provoquant ce scénario. Comme ni Trump ni l'Ayatollah ne voulaient risquer un résultat mutuellement préjudiciable, à savoir la perte éventuelle de la réélection du premier et la destruction probable du pays du second, on s'est fié à leur « canal de déconflit » irakien pour chorégraphier la réponse soigneusement planifiée de l'Iran afin que les deux parties revendiquent la victoire et s'éloignent ainsi du bord de ce qui aurait autrement été probablement la guerre la plus sanglante de l'histoire du Moyen-Orient. Comme preuve circonstancielle de cela en pratique, Trump a répondu en nature à  l'appel antérieur du Ministre iranien des Affaires Étrangères Zarif pour une désescalade pendant son discours et a donc décidé de ne pas riposter puisque aucun Étasunien n'a été tué à la suite de cette chorégraphie.

En évaluant ce qui vient de se passer, l'Iran a certainement gagné la guerre de la puissance douce alors que les États-Unis ont revendiqué une victoire militaire. La République Islamique s'est présentée comme étant censée être assez forte pour frapper impunément les bases US à volonté (bien qu'elle ait informé à l'avance les Irakiens qui, à leur tour, ont prévenu les troupes US de faire preuve de prudence afin d'éviter les pertes), tandis que le Pentagone a éliminé le cerveau régional de la guerre par procuration de l'Iran. En d'autres termes, la victoire iranienne a été purement superficielle, mais cela n'enlève rien à l'effet à long terme qu'elle pourrait avoir sur la perception qu'a le public mondial de la prétendue puissance décroissante des États-Unis, alors que la victoire US a frappé l'Iran là où ça fait mal et a littéralement entraîné un « changement de régime » au sein du CGRI, même si cet angle est largement éclipsé par la réaction dramatique de Téhéran.

Les deux camps « sauvent donc la face » à leur manière en revendiquant leurs victoires respectives qui sont suffisamment convaincantes pour leur public national tout en laissant le reste du monde débattre des détails à somme nulle de qui est vraiment sorti vainqueur. Bien qu'une guerre régionale par procuration devrait faire rage tout au long de cette année, la paix conventionnelle a prévalu, ce qui est le résultat direct du fait que l'Iran a abandonné son « ambiguïté nucléaire » et n'a donc aucun moyen de dissuader une contre-attaque US au cas où il serait sérieux à propos de bombarder des Étasuniens.

 Andrew Korybko

source :  The US vs. Iran: Who Won & Who Lost?

traduit par  Réseau International

 reseauinternational.net

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