10/01/2020 reseauinternational.net  7 min #167248

Les Etats-Unis tuent le général iranien Soleimani dans une frappe à Bagdad, Téhéran crie «vengeance»

États-Unis/iran - La guerre est reportée la paix aussi

par Karine Bechet-Golovko.

Ces derniers jours, le conflit entre les États-Unis et l'Iran s'est accéléré, pour finalement échouer aux pieds des bases américaines, après la réaction inattendue de l'Iran. Une réaction d'État. D'État agressé qui se défend. Et met fin à l'agression, puisque l'on revient au marché habituel : soit la Pax Americana, soit les sanctions - devant permettre d'arriver à la Pax Americana suite à la prise en otage d'une population. Trump n'a finalement pas changé le paradigme usé de la vision néo-impérialiste américaine. Mais l'Iran le rejette toujours et n'a pas accepté ces méthodes de voyou s'autorisant à assassiner dans un pays tiers un officiel d'un pays étranger, en l'occurrence Qassem Soleimani. Quelle que soit l'opinion que l'on puisse avoir de la personne, un terroriste pour les Américains et leurs satellites, la personne qui organisait la lutte contre l'État islamique en Syrie pour les autres, il est souhaitable que cette pratique ne devienne pas une habitude. Cela, finalement, renforce la position de la Russie dans la région, surtout lorsqu'au même moment Poutine se promène dans les rues de Damas

Après que l'Iran ait bombardé la Pax Americana, les États-Unis se sont souvenus qu'une guerre présente toujours le risque d'être perdue, ce qui n'apporterait alors rien en matière d'appropriation des ressources naturelles. Véritable but de la politique américaine extensive actuelle, qui ne s'en cache plus.

Petit rappel de l'escalade. À la fin de l'année dernière, les États-Unis ont frappé un groupe chiite du Hezbollah en Syrie et en Irak. En réaction, les chiites s'en sont pris à l'ambassade américaine à Bagdad. Les États-Unis ont décidé que l'Iran était derrière cette attaque de leur ambassade et ils ont alors décidé de liquider le général iranien Qassem Souleimani lors de son passage à Bagdad. Ce qui constitue une  violation patente du droit international, tel que découlant de l'équilibre atteint après la Seconde Guerre mondiale, déjà bien mal portant :

Plus fondamentalement encore, l'assassinat de Qassem Soleimani porte un sérieux coup au régime légal international adopté au sortir de la Seconde Guerre mondiale dont le but était d'imposer des restrictions quant à l'utilisation de la force militaire. Les pratiques d'assassinats ciblés, ces frappes visant à tuer individuellement des personnes considérées comme des menaces à la sécurité nationale, par le moyen de commandos, de drones ou d'hélicoptères, sont controversées car celles-ci se situent à mi-chemin entre cadre légal de paix et de guerre. () En s'attaquant à un représentant d'État souverain, les États-Unis sortent pour la première fois du cadre de la guerre contre le terrorisme qu'ils s'étaient imposé. À cet égard, on peut regretter l'absence de réaction par leurs alliés européens, qui a pour effet d'ancrer un peu plus ces pratiques dans la normalité. Le recours tous azimuts à l'assassinat ciblé pourrait pourtant avoir d'importantes conséquences de déstabilisation du système mondial, en particulier s'il devient légitime d'éliminer des représentants d'États souverains en dehors d'une guerre. Le recul du respect de la légalité dans le jeu international est d'autant plus à craindre que les virulentes déclarations américaines contre la Cour pénale internationale, et plus encore les menaces faites par le Président Trump de s'en prendre à des lieux culturels iraniens, illustrent le mépris du « gendarme mondial » pour les restes de cet ordre international.

Au 20e siècle, cela eût été une déclaration de guerre. Et l'Iran l'a rappelé, simplement et fermement aux États-Unis en bombardant deux de leurs bases militaires en Irak, après avoir prévenu l'Irak. Les dégâts ne sont que matériels, les soldats américains avaient été évacués. Mais les  cibles furent atteintes et les bases largement touchées.

Mais le 21e siècles a quelque peu modifié la manière de combattre. Beaucoup d'annonces - la première partie du confit se déroule essentiellement dans les médias; les soldats du clan du Bien ne doivent pas mourir et lorsque les civils meurent en raison d'action armée du Clan du Bien ils sont alors renommés « victimes collatérales », lorsqu'ils meurent suite aux actions du Clan du Mal ce sont des victimes sacrificielles; les soldats du monde se battent pour la Pax Americana, donc ils font partie d'une coalition avec les États-Unis ou agissent avec l'assentiment des États-Unis, les autres sont automatiquement des terroristes, des mercenaires ou les soldats d'une dictature - donc pas vraiment une armée régulière (d'où l'absence de déclaration formelle de guerre et donc de cadre légal) ; le Clan du Bien peut détruire sans s'occuper ni de la reconstruction, ni d'une mauvaise campagne médiatique (puisque les médias sont spontanément du côté de la Pax Americana), voir Raqqa.

Bref la guerre existe, mais comme juridiquement elle n'existe pas, elle se déroule en dehors de tout cadre légal. Sans aucune responsabilité. Et manifestement sans aucune limite. Sauf. Sauf lorsque les États-Unis se retrouvent confrontés à un État qui se comporte comme tel, qui réagit en État et répond. Non pas avec les méthodes postmodernes des réponses asymétriques, mais directement. Depuis quand un État a-t-il bombardé une base militaire américaine ? Après Pearl Arbour, les États-Unis du 20e siècle sont entrés en guerre. Ceux d'aujourd'hui adoptent des sanctions économiques.

Car eux aussi sont enfermés dans les règles des guerres post-modernes. Difficile d'envoyer des hommes et des femmes mourir pour défendre les intérêts de multinationales. En tout cas, difficile le faire ouvertement. De le justifier. Surtout quand en face, vous avez des hommes et des femmes qui défendent leur terre.

Le Parlement irakien a demandé, symboliquement, le départ du « libérateur américain », qui a violé sa souveraineté. Qassem Souleimani a été assassiné, selon les autorités irakiennes confirmant les déclarations du ministre iranien des Affaires étrangères, alors qu'il était en mission diplomatique. La réaction des États-Unis, pris à leur piège est simple : le peuple irakien nous aime donc nous restons et les déclarations concernant la mission diplomatique sont fausses.

Il est vrai qu'ils ne peuvent rien faire d'autre sans perdre encore plus la face, car leur défaite ici est flagrante. L'Iran relance son programme de nucléaire. Si les Européens n'ont pas virulemment condamné les États-Unis, ils ne les ont pas non plus particulièrement soutenus. Si le seul moyen qui reste pour l'affirmation de la Pax Americana est l'assassinat politique ciblé, l'on peut facilement affirmer que ce système est fortement affaibli.

Tout ça pour ça ? En effet, après cette erreur stratégique, les États-Unis reviennent la queue basse à la table des négociations, « sans conditions préalables ». Car ils ne peuvent assumer une véritable guerre. Et il n'est pas certain qu'ils reviennent en position de force, à la vue de ces évènements. Sans même parler de leur crédibilité fantomatique.

PS : Et avec tout ça, un avion ukrainien, en  parfait état de marche avec un pilote chevronné, qui s'écrase à Téhéran, juste après le bombardement réussi des bases américaines par l'Iran. Les  services de renseignement occidentaux et l'ambassade ukrainienne en Iran, qui déclarent immédiatement exclure la piste terroriste et retenir l'incident technique. Un  avion qui aurait eu un problème et amorcé un demi-tour, alors que le pilote n'aura lui pas eu le temps ou les moyens d'envoyer aucun message faisant acte d'un problème. Du coup,  Trump qui décale sa déclaration aux bons peuples de l'Empire, qui remplace une déjà très hypothétique déclaration de guerre par quelques atermoiements économiques et la promesse d'un avenir radieux après la libération du peuple iranien de sa souveraineté, pour finalement, sans n'avoir rien obtenu, revenir à la table des négociations sans conditions préalables.

source :  russiepolitics.blogspot.com

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