Source : Les Crises, Denis Alland, 20-01-2020
Selon la déclaration du Secrétaire d'Etat Mike Pompeo au sujet des colonies israéliennes en Cisjordanie, du moment qu'elles sont jugées en dehors de toute référence au droit international, elles peuvent être considérées comme « non incompatibles » avec celui-ci...
Le professeur Denis Alland est professeur en Droit Public à l'Université Paris 2 - Assas
Une déclaration politiquepeut en dire long sur les représentations du droit international que s'en fait son auteur. Le 18 novembre 2019, dans une déclaration de presse portant sur divers sujets d'actualité internationale (Iran, Irak, Israël, Hong Kong : state.gov), le Secrétaire d'Etat américain Mike Pompeo s'est livré à une analyse du processus de colonisation de la Cisjordanie par Israël qu'aucun professeur de droit international n'aurait la cruauté de donner à commenter à ses étudiants comme sujet d'examen. Il est vrai que l'on pourrait se demander s'il est bien utile de se livrer à des commentaires de textes produits par un personnage se targuant - on ne dira pas toute honte bue puisqu'il semble que la honte n'ait plus guère de place ici - de « mentir, tricher et voler » ( youtube.com). Il reste qu'en droit international les déclarations faites au cours d'une une conférence de presse par le Secrétaire d'Etat sont imputables aux Etats-Unis et justiciables d'une analyse au regard de ce droit (d'autant qu'il en est beaucoup question dans le propos de M. Pompeo). Disons en substance qu'il ne craint pas de déclarer que les colonies israéliennes en Cisjordanie « ne sont pas incompatibles en elles-mêmes avec le droit international ». La surprenante netteté de cette affirmation dissimule une réelle difficulté pour l'interprète en raison des obstacles qu'oppose l'irrationnel construit d'un propos contradictoire consistant à apprécier les implantations israéliennes au regard du droit international tout en rejetant simultanément toute référence à ce dernier !
Il n'est pas impossible de distinguer deux mouvements dans ce discours échevelé. Suivant un premier mouvement, la position étatsunienne fait référence au « droit international » (prudemment, sans autre précision) : on conviendra qu'il est difficile de faire autrement dès lors qu'il s'agit d'affirmer une « absence d'incompatibilité » entre le processus de colonisation israélienne et le droit international. C'est une formule négative, il est vrai, qui est employée. Evitant de parler de franche compatibilité, peut-être veut-on ménager les esprits dans la présentation de la position étatsunienne laquelle, tout en reflétant des décennies de pratique, est labellisée comme nouvelle ? Dans un second mouvement où l'on sent son auteur plus à l'aise - allez savoir pourquoi - la déclaration écarte au contraire toute discussion se plaçant sur le terrain juridique.
Premier mouvement, première observation : l'égocentrisme renforcé de la déclaration - On remarque que M. Pompeo part de l'idée que la question de la conformité ou non au droit international - pardon, de l'absence d'incompatibilité - de la colonisation israélienne dépend exclusivement de la façon dont s'expriment les Etats-Unis sur le sujet. Toute source - autre que les déclarations unilatérales des Présidents étatsuniens -pouvant prétendre au statut de référence imaginable dans un tel examen est purement et simplement ignorée. Le monde extérieur à la Maison Blanche, à supposer qu'il y en ait un, est écarté au seul bénéfice des positions adoptées par l'administration américaine, essentiellement par la bouche des Présidents successifs. En résumé :
1°) Carter s'est égaré dans un jugement d'incompatibilité de la colonisation au regard du droit international.
2°) Mais en 1981 « Reagan a contredit cette conclusion ». L'affirmation manque singulièrement de pertinence pour prouver quoi que ce soit s'agissant de l'état du droit international ; elle est également contestable en ce qu'elle occulte les précisions apportées dans la même déclaration d'alors, selon laquelle la poursuite de la colonisation des territoires palestiniens occupés à partir de la guerre de 1967 est « peu judicieuse » et « inutilement provocatrice » et devrait appeler un gel (v. lemonde.co.il). Certes seul le caractère inopportun, voire maladroit, de la colonisation était mis en cause et l'on chercherait en vain une condamnation de principe ; le propos de Reagan ne ruisselait donc pas d'un humanisme excessif qui eût par ailleurs été étonnant venant de l'initiateur d'une guerre contre le « terrorisme » qui a fait des centaines de milliers de morts en Amérique latine. Il n'en demeure pas moins que la contradiction entre les positions de Carter et de Reagan soulignée par M. Pompeo se ramène à peu de choses.
3°) Hélas, des décennies d'approche « prudente et bipartisane » ont été remises en cause par l'administration du Président Obama, notamment John Kerry ; minimisant la portée de l'erreur commise alors, M. Pompeo fait remarquer, il est vrai, que cela s'est produit dans l'apocalypse de la « toute fin de l'administration précédente ». Mais peu importe : qui prendra au sérieux cette idée que quelque chose a profondément changé dans l'approche étatsunienne du processus de colonisation israélienne ? Il est vrai que lors de cette calamiteuse fin de règne, le monde avait pu voir pour la première fois l'abstention des Etats-Unis au Conseil de sécurité lors du vote de la résolution 2234 du 23 décembre 2016 condamnant pour la énième fois la politique de colonisation illicite d'Israël. Que l'on se soit ému d'une abstention et qu'on y ait vu la marque d'un progrès extraordinaire (v. par ex. slate.fr) en dit d'ailleurs assez long sur le point où en est arrivée l'opinion des médias. Aussi, en dépit des initiatives lourdes mais symboliques du Président Trump à propos du dossier palestinien (reconnaissance de Jérusalem comme capitale d'Israël, suspension de la contribution à l'UNRWA, reconnaissance de la souveraineté sur le Golan, etc.), la divergence de vues suggérée par M. Pompeo est très largement forcée. S'agissant des colonies d'Israël, on rappelle que le Président Obama - grand admirateur de Reagan - avait dit « Les États-Unis refusent de reconnaître la légitimité de la poursuite par Israël de ses projets de colonisation » (les vastes colonies et infrastructures existantes sont légitimes donc, seule la poursuite ne le serait pas ?). On reste dans la même veine traditionnelle. Rappel : à propos de l'intervention en Irak le Président Obama a souvent été présenté comme lui ayant été hostile, mais il l'avait condamnée comme erreur stratégique et coûteuse initiative, non en tant qu'action gravement illicite et condamnable en elle-même. Les « Afghanistan Papers » récemment publiés par le Washington Post livrent le même genre de remarques : que de milliards pour rien ! On peinera donc à voir dans la récente déclaration de M. Pompeo un revirement politique radical ; prétendant « renverser » la position de l'administration Obama, la seule chose qu'il renverse sont les principes les plus fondamentaux du droit international public.
L'égocentrisme de la position étatsunienne se manifeste encore dans le caractère « bipartisan » de ce prétendu usage quasi coutumier consistant à approuver et encourager la conduite illicite de l'Etat d'Israël : comme si la prétendue convergence entre les Républicains et les Démocrates, irradiant une communauté internationale naturellement émue du consensus entre deux partis étatsuniens que la plupart des habitants de la planète ne sauraient pas distinguer l'un de l'autre, suffisait à elle seule à hisser la colonisation au rang de vertu.
Premier mouvement, deuxième observation : une déclaration qui repose sur une étude attentive de tous les éléments du débat juridique - M. Pompeo précise qu'il ne parle pas à la légère - ce dont il n'y a pas lieu de douter malheureusement - et entend convaincre du sérieux de la prétendue « nouvelle » position étatsunienne en précisant que c'est après une étude attentive « de tous les aspects du débat juridique » que, d'accord avec Reagan, il est conclu que « l'implantation de colonies civiles israéliennes en Cisjordanie n'est pas en elle-même incompatible avec le droit international ». Etant donné que les éléments sur lesquels cette étude « attentive » est fondée ne semblent pas appelés à être précisés, il faut supposer que ce qui est évoqué dans la suite immédiate du discours de M. Pompeo tend à « démontrer » de quelle façon l'administration est parvenue à ce constat de compatibilité - pardon à nouveau, de l'absence d'incompatibilité - de la colonisation avec le droit international : d'abord, dit-il, il existe des recours devant les tribunaux israéliens qui examinent au cas par cas chaque situation. Voilà qui devrait pleinement rassurer les ruinés, les démolis et les expulsés. Ensuite, la question du statut final de la Cisjordanie ne serait pas en cause ici. Quelques mots d'explication eussent été bienvenus pour que l'on voie mieux par quel prodige ce statut pourrait n'être affecté en rien par la durable entreprise d'implantation poursuivie par Israël depuis des années, surtout si elle est appelée à se développer davantage, jusqu'à transformer plus avant la Palestine en véritables bantoustans. Dans les réponses aux questions de la presse, M. Pompeo dit avoir livré une « interprétation juridique » et insiste : « Ce que nous avons fait ici, c'est effectuer une analyse juridique. Nous avons pris le droit international, nos juristes l'ont examiné ». De plus, ajoute le Secrétaire d'Etat renouant avec l'argumentation « anti-précédent » de l'administration étatsunienne à l'occasion de la reconnaissance enthousiaste de l'indépendance du Kosovo lors de sa sécession d'avec la Serbie, la position adoptée vis-à-vis de la Cisjordanie ne préjuge en rien de celle qui pourrait être adoptée s'agissant d'autres situations dans le monde (par exemple, peut-on supposer, là où une politique « d'implantation » se ferait au détriment d'un allié ou d'un client des Etats-Unis). Il doit donc être bien clair que seules les colonies de peuplement israéliennes ne sont plus reconnues par les Etats-Unis comme incompatibles avec le droit international : cette conclusion ne saurait effectivement être remise en cause, puisque, sans aucun doute, seuls les Etats-Unis sont en mesure de dire de quelle façon ils interprètent la situation en Palestine en particulier et le droit international en général. Il reste à voir de quelle façon le reste du monde l'interprète. Sur la question en cause ici, les réactions de la « communauté internationale » permettront de se faire une idée des principes juridiques auxquels les Etats persistent à demeurer attachés. Il n'est pas audacieux de prédire que les objections aux prétentions des Etats-Unis sur ce sujet ne seront pas rares.
En effet, pour rejoindre l'interprétation étatsunienne du droit international, si profondément examiné par l'administration de M. Pompeo, il faut consentir de sérieux efforts de révision. Voici quelques exemples de ce qu'il faudrait démontrer :
1 - l'article 2 |4 de la Charte des Nations Unies n'interdit pas l'invasion, l'annexion et l'occupation de territoires étrangers par la force ;
2 - les résolutions du Conseil de sécurité adoptées ou non dans le cadre du chapitre VII de la Charte n'ont pas de valeur juridique, ce qui justifie
a) l'absence de pertinence de la résolution 242 (67) du 22 novembre 1967 du Conseil de sécurité exposant que
« l'accomplissement des principes de la Charte exige l'instauration d'une paix juste et durable au Moyen-Orient qui devrait comprendre l'application des deux principes suivants: i) Retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés lors du récent conflit ;
ii) Cessation de toutes assertions de belligérance ou de tous états de belligérance et respect et reconnaissance de la souveraineté, de l'intégrité territoriale et de l'indépendance politique de chaque Etat de la région et de leur droit de vivre en paix à l'intérieur de frontières sûres et reconnues à l'abri de menaces ou d'acte de force » ;
b) la mise à l'écart de la résolution 298 du 25 septembre 1971 par laquelle le Conseil de sécurité, après avoir rappelé une fois de plus que «le principe que l'acquisition d'un territoire par la conquête militaire est inadmissible », a condamné ces mesures et a conclu que :
« toutes les dispositions législatives et administratives prises par Israël en vue de modifier le statut de la ville de Jérusalem, y compris l'expropriation de terres et de biens immeubles, le transfert de populations et la législation visant à incorporer la partie occupée, sont totalement nulles et non avenues et ne peuvent modifier le statut de la ville »
c) ainsi que de la résolution 446 (1979) du 22 mars 1979 demandant « à Israël en tant que puissance occupante de respecter scrupuleusement » [la quatrième convention de Genève, et]
« de rapporter les mesures qui ont déjà été prises et de s'abstenir de toute mesure qui modifierait le statut juridique et le caractère géographique des territoires arabes occupés depuis 1967, y compris Jérusalem, et influerait sensiblement sur leur composition démographique, et en particulier de ne pas transférer des éléments de sa propre population civile dans les territoires arabes occupés »
d) et, pour faire bonne mesure, des résolutions 452 (1979) du 20 juillet 1979, 465 (1980) du 1er mars 1980, 478 (1980) du 20 août 1980, ainsi que de la résolution 497 à propos du Golan
« Réaffirmant que l'acquisition de territoire par la force est inadmissible..., Décide que la décision prise par Israël d'imposer ses lois, sa juridiction et son administration dans le territoire syrien occupé des hauteurs du Golan est nulle et non avenue et sans effet juridique sur le plan international ; »
(cette qualification d'annexion illicite du plateau syrien du Golan par le Conseil de sécurité - erronée aux yeux des dirigeants étatsuniens - n'a donc pas pu opposer un obstacle à la reconnaissance par les Etats-Unis, le 25 mars 2019, de cet espace comme relevant du territoire d'Israël) ;
3 - les résolutions de l'Assemblée générale des Nations Unies ne contiennent rien qui s'oppose à la position israélienne en ce qui concerne les territoires occupés : certainement pas la résolution 181 (II), enterrée depuis longtemps quoique contenant le principe même de l'existence de deux Etats avec le Plan de partage, ni les nombreuses autres résolutions de ladite Assemblée sur le sujet, on le comprend, mais pas davantage la résolution 2625 (XXV) dite « Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre Etats », reconnue par la jurisprudence comme codificatrice du droit coutumier et soulignant entre autres choses que «[n]ulle acquisition territoriale obtenue par la menace ou l'emploi de la force ne sera reconnue comme légale » ;
4 - est sans valeur l'avis de la Cour internationale de Justice du 9 juillet 2004 dans l'affaire des Conséquences juridiques de l'édification d'un mur dans le territoire palestinien occupé qui certes dit en substance :
|78. L'ensemble de ces territoires (y compris Jérusalem-Est) demeurent des territoires occupés et Israël y a conservé la qualité de puissance occupante...
|120. La Cour conclut que les colonies de peuplement installées par Israël dans le territoire palestinien occupé (y compris Jérusalem-Est) l'ont été en méconnaissance du droit international...
|122. Cette construction, s'ajoutant aux mesures prises antérieurement, dresse ainsi un obstacle grave à l'exercice par le peuple palestinien de son droit à l'autodétermination et viole de ce fait l'obligation incombant à Israël de respecter ce droit...
|138. Ainsi, la Cour a conclu que la construction du mur est un acte non conforme à diverses obligations juridiques internationales incombant à Israël...
|147. La Cour ayant constaté que l'édification du mur dans le territoire palestinien occupé, y compris à l'intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est, et le régime qui lui est associé étaient contraires à diverses obligations internationales d'Israël, il s'ensuit que la responsabilité de cet Etat est engagée selon le droit international...
|150. qu'Israël a également l'obligation de mettre un terme à la violation de ses obligations internationales...
|153 Israël est en conséquence tenu de restituer les terres, les vergers, les oliveraies et les autres biens immobiliers saisis à toute personne physique ou morale en vue de l'édification du mur dans le territoire palestinien occupé...
|159. Vu la nature et l'importance des droits et obligations en cause, la Cour est d'avis que tous les Etats sont dans l'obligation de ne pas reconnaître la situation illicite découlant de la construction du mur dans le territoire palestinien occupé, y compris à l'intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est. Ils sont également dans l'obligation de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation créée par cette construction. II appartient par ailleurs à tous les Etats de veiller, dans le respect de la Charte des Nations Unies et du droit international, à ce qu'il soit mis fin aux entraves, résultant de la construction du mur, à l'exercice par le peuple palestinien de son droit à l'autodétermination. En outre, tous les Etats parties à la convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, du 12 août 1949, ont l'obligation, dans le respect de la Charte des Nations Unies et du droit international, de faire respecter par Israël le droit international humanitaire incorporé dans cette convention »
mais n'est précisément qu'un avis, dépourvu de valeur contraignante pour les Etats, ne pouvant faire contrepoids à l'avis du Département d'Etat américain ;
5 - enfin pour ne pas allonger inutilement le propos, il faut encore citer dans ce vaste ensemble de tout ce qu'il convient de remettre en cause pour étayer la position étatsunienne : la jurisprudence internationale, la pratique étatique comprenant notamment les centaines de reconnaissances et/ou protestations internationales, sans parler de la doctrine ou des travaux du Tribunal Russel pour la Palestine ( russelltribunalonpalestine.com) ni des positions de l'Union européenne et de la jurisprudence la plus récente de la Cour de Justice de l'Union européenne (v. l'arrêt récent rendu à propos de l'étiquetage des produits en provenance des territoires occupés par Israël).
Comme l'a souligné dans son commentaire de cette déclaration de M. Pompeo le Pr Richard Falk - qui fut notamment Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l'homme dans les territoires palestiniens - si, « dans le domaine de la paix et de la sécurité internationales le droit international peut-être quelque peu ambigu... l'établissement de colonies dans le territoire palestinien occupé est toutefois un exemple de question sur laquelle il n'est pas possible de présenter un argument responsable en faveur de la légalité » ( middleeasteye.net). L'ampleur de la tâche de révision du droit international aurait-elle inspiré le second mouvement de la déclaration ?
Second mouvement - Exit le droit international - Dès le début de son propos, M. Pompeo fait observer que, depuis quelques décennies, il est entendu que la colonisation pourrait être vue comme un obstacle à la paix (« could be an obstacle to peace ») : remarquable concession que l'usage de ce conditionnel semble suggérer, cette possibilité pourrait donc être envisagée.... Hélas ce défaut funeste pour la paix s'étend aussi à toute argumentation juridique en la matière (à laquelle, on le note, toute personne désireuse de se livrer ne ferait que « s'attarder »). Le rappel des positions successives des présidents étatsuniens dans la première partie du discours tendait fâcheusement à prouver qu'il n'a pas toujours été inconvenant de faire référence au droit international à propos de la question des colonies, mais passons. Tout en ayant consacré les trois quarts de son intervention à mixer la « non-incompatibilité » des colonies de peuplement israéliennes avec le droit international, le Secrétaire d'Etat - qui n'a pas craint de perdre son temps, manifestement, en « s'attardant » sur ces aspects - expose ensuite que qualifier celles-ci d'incompatibles avec le droit international n'a pas fait avancer la cause de la paix. Compte tenu de la situation en Palestine, on rejoindra volontiers cette conclusion mais à la condition de l'assortir d'une ou deux importantes précisions. La cause de la paix n'a certes pas progressé parallèlement aux jugements d'illicéité dont elle a fait l'objet - c'est le moins que l'on puisse dire - mais il est permis de douter que cela soit dû aux condamnations répétées de la colonisation plus qu'à la pratique continue et violente de la colonisation. M. Pompeo suggère ici un curieux raisonnement selon lequel si elle était chaudement approuvée par le Conseil de sécurité et l'Assemblée générale des Nations Unies, confortée par la jurisprudence de la Cour internationale de Justice et reconnue par la communauté internationale des Etats dans son ensemble, l'implantation des colonies en Cisjordanie cesserait aussitôt ou encore que, ne cessant pas mais se déroulant dans un environnement compréhensif, elle serait par elle-même un facteur de paix. L'avenir dira quels progrès pour la cause de la paix vont se réaliser du fait que les Etats-Unis estiment devoir écarter le droit international et ses irritantes qualifications juridiques dans le règlement du problème politique entre Israël et les Palestiniens. Car, du moins, M. Pompeo concède-t-il qu'il existe bien un problème à résoudre. Mais cela se fera sur le plan politique ; il faut, comme il le dit avec style dans une de ses réponses aux questions, laisser « de côté cette exigence, cette idée que d'une certaine manière il allait y avoir une solution juridique à cela ». Endossant les hardes de Cassandre et parlant non pour, mais au-dessus des parties concernées, il prédit qu'aucun règlement judiciaire n'aura jamais lieu (c'est la hard truth de l'affaire, dit-il). Mais les talents prédictifs de Cassandre nous impressionneraient-ils encore si le poète grec nous avait dit qu'elle avait ouvert elle-même les portes Scées aux Argiens ?
Dans une prose douteusement transactionnelle, le Secrétaire d'Etat privilégie libéralement la négociation ; il l'encourage même et offre les services des Etats-Unis, pérennisant par-là le « triangle fatidique » dont parlait Chomsky à ce sujet (N. Chomsky, Israël, Palestine, Etats-Unis : le triangle fatidique, Ecosociété, 2006). Il soutient enfin que ce qui importe est d'éviter d'entrer dans « la question de savoir qui a raison et qui a tort en vertu du droit international » car cela ne fait pas progresser la paix. Là encore, c'est exact à la condition de comprendre que cette « paix » tant espérée exige que les situations s'ordonnent selon les vues des politiques menées par Israël et les Etats-Unis, non comme la Charte des Nations Unies l'impose. C'est bien ce qui se passe, d'ailleurs, mais seulement en fait. Voilà pourquoi il est proposé d'éliminer les références gênantes - et belligènes ! - au droit international, ce grand responsable qui n'a pas su faire progresser la paix...
Denis Alland
DOCUMENTS
Déclaration du 18 novembre 2019 de M. Pompeo, Secrétaire d'Etat américain, sur les colonies israéliennes en Cisjordanie
Source : state.gov
La déclaration porte aussi sur l'Iran, l'Irak et Hong Kong. Seuls les passages relatifs à Israël sont reproduits et traduits ici. A ce sujet, les expressions « establishment of civilian settlements","Israeli settlements », « settlements » peuvent être traduites par « activités de peuplement » ou autre formule contournée mais sont équivalentes à « colonies de peuplement » et « colonies » également employées dans la traduction qui suit le texte original. Les textes qui suivent sont des verbatim, ce qui explique en partie leur style.
Texte de la déclaration
... Turning now to Israel, the Trump administration is reversing the Obama administration's approach towards Israeli settlements.
U.S. public statements on settlement activities in the West Bank have been inconsistent over decades. In 1978, the Carter administration categorically concluded that Israel's establishment of civilian settlements was inconsistent with international law. However, in 1981, President Reagan disagreed with that conclusion and stated that he didn't believe that the settlements were inherently illegal.
Subsequent administrations recognized that unrestrained settlement activity could be an obstacle to peace, but they wisely and prudently recognized that dwelling on legal positions didn't advance peace. However, in December 2016, at the very end of the previous administration, Secretary Kerry changed decades of this careful, bipartisan approach by publicly reaffirming the supposed illegality of settlements.
After carefully studying all sides of the legal debate, this administration agrees with President Reagan. The establishment of Israeli civilian settlements in the West Bank is not per se inconsistent with international law.
I want to emphasize several important considerations.
First, look, we recognize that - as Israeli courts have - the legal conclusions relating to individual settlements must depend on an assessment of specific facts and circumstances on the ground. Therefore, the United States Government is expressing no view on the legal status of any individual settlement.
The Israeli legal system affords an opportunity to challenge settlement activity and assess humanitarian considerations connected to it. Israeli courts have confirmed the legality of certain settlement activities and has concluded that others cannot be legally sustained.
Second, we are not addressing or prejudging the ultimate status of the West Bank. This is for the Israelis and the Palestinians to negotiate. International law does not compel a particular outcome, nor create any legal obstacle to a negotiated resolution.
Third, the conclusion that we will no longer recognize Israeli settlements as per se inconsistent with international law is based on the unique facts, history, and circumstances presented by the establishment of civilian settlements in the West Bank. Our decision today does not prejudice or decide legal conclusions regarding situations in any other parts of the world.
And finally - finally - calling the establishment of civilian settlements inconsistent with international law hasn't worked. It hasn't advanced the cause of peace.
The hard truth is there will never be a judicial resolution to the conflict, and arguments about who is right and wrong as a matter of international law will not bring peace. This is a complex political problem that can only be solved by negotiations between the Israelis and the Palestinians.
The United States remains deeply committed to helping facilitate peace, and I will do everything I can to help this cause. The United States encourages the Israelis and the Palestinians to resolve the status of Israeli settlements in the West Bank in any final status negotiations.
And further, we encourage both sides to find a solution that promotes, protects the security and welfare of Palestinians and Israelis alike.
- Verbatim des questions posées au cours de la conférence de presse du 18 novembre 2019
... And on the Palestinian issue, sir, with your decision today about the settlement, in addition to declaring Jerusalem as the capital of Israel and the Golan Height under the Israeli control, do you believe that we're getting closer to a one-state solution as the two-state solution is no longer viable? And how do you bring the Palestinians to the negotiation table considering your decision today?
We've had a long time with the policy, the legal interpretation announced today being the other way and it didn't work. That - that's a fact in evidence. We believe that what we've done today is we have recognized the reality on the ground. We've now declared that settlements are not per se illegal under international law, and we have provided the very space that your question suggests, the very space for Israel and the Palestinians to come together to find a political solution to this very, very vexing problem....
Just on the practical implications... of the decision, does it - I understand that you're referring to the decision not to declare these settlements per se illegal. Does that also apply to East Jerusalem, or is that primarily just the West Bank?
It applies - we're making - as the President said when he made the decision about Jerusalem, the final status, those boundaries will be - will not be determined until the parties reach a resolution....
... What is the message that you are sending to Israel? You say that, for example, the Reagan administration - Reagan had a particular view on that, but in terms of the - and is this effectively a green light? I mean, Reagan has also said they were an obstacle to peace. Is there - is this effectively a green light for Israel to build more settlements if they want? Will Israel still face criticism for - as an obstacle for peace if it builds settlements ?...
Your first question about is this a green light. Back to first principles. What we did here was conduct a legal analysis. We took international
Traductions
- Texte de la déclaration
... Pour ce qui est d'Israël, l'administration Trump renverse l'approche de l'administration Obama à l'égard des colonies israéliennes.
Les déclarations publiques des États-Unis sur les activités de peuplement en Cisjordanie ont été incohérentes depuis des décennies. En 1978, l'administration Carter a catégoriquement conclu que les colonies d'implantations civiles par Israël étaient incompatibles avec le droit international. Cependant, en 1981, le président Reagan a contredit cette conclusion et a déclaré qu'il ne croyait pas que les colonies étaient illégales en elles-mêmes.
Les administrations suivantes ont reconnu que des activités débridées de colonisation pouvaient constituer un obstacle à la paix, mais elles ont reconnu avec sagesse et prudence que le fait de s'attarder sur des positions juridiques ne faisait pas progresser la paix. Cependant, en décembre 2016, à la toute fin de l'administration précédente, le secrétaire Kerry a modifié des décennies de cette approche prudente et bipartisane en réaffirmant publiquement la prétendue illégalité des colonies.
Après avoir étudié attentivement tous les aspects du débat juridique, la présente administration est d'accord avec le président Reagan. L'implantation de colonies civiles israéliennes en Cisjordanie n'est pas en elle-même incompatible avec le droit international.
Je tiens à souligner plusieurs considérations importantes.
Premièrement, nous reconnaissons que - comme l'ont fait les tribunaux israéliens - les conclusions juridiques relatives aux implantations de peuplement particulières [individuelles] doivent dépendre d'une évaluation des faits et des circonstances spécifiques sur le terrain. Par conséquent, le Gouvernement des États-Unis n'exprime aucune opinion sur le statut juridique d'une implantation de peuplement particulière [individuelle].
Le système juridique israélien offre la possibilité de contester les activités de colonisation et d'évaluer les considérations humanitaires qui y sont liées. Les tribunaux israéliens ont confirmé la légalité de certaines activités de peuplement et ont conclu que d'autres ne pouvaient être légalement justifiées.
Deuxièmement, nous n'examinons ni ne préjugeons du statut final de la Cisjordanie. C'est aux Israéliens et aux Palestiniens de négocier. Le droit international n'impose aucun résultat particulier et ne crée aucun obstacle juridique à un règlement négocié.
Troisièmement, la conclusion selon laquelle nous ne reconnaissons plus les colonies de peuplement israéliennes comme étant en elles-mêmes incompatibles avec le droit international est fondée uniquement sur les faits, l'histoire et les circonstances liés à la création de colonies civiles en Cisjordanie. Notre décision d'aujourd'hui ne préjuge ni ne décide de conclusions juridiques relatives des situations dans quelque autres parties du monde.
Enfin, enfin, qualifier l'établissement de peuplement civils d'incompatibles avec le droit international n'a pas fonctionné. Cela n'a pas fait avancer la cause de la paix.
La dure vérité, c'est qu'il n'y aura jamais de règlement judiciaire de ce conflit, et les arguments sur la question de savoir qui a raison et qui a tort en vertu du droit international n'apporteront pas la paix. Il s'agit d'un problème politique complexe qui ne peut être résolu que par des négociations entre Israéliens et Palestiniens.
Les États-Unis demeurent profondément déterminés à contribuer à faciliter la paix, et je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour aider cette cause. Les États-Unis encouragent les Israéliens et les Palestiniens à régler la question du statut des colonies israéliennes en Cisjordanie des négociations sur un statut définitif quel qu'il soit.
En outre, nous encourageons les deux parties à trouver une solution qui favorise, protège la sécurité et le bien-être des Palestiniens et des Israéliens tout aussi bien.
2. Verbatim des questions posées au sujet des colonies israéliennes en Cisjordanie au cours de la conférence de presse du 18 novembre 2019
... Et sur la question palestinienne, monsieur, avec votre décision d'aujourd'hui sur la colonie, en plus de déclarer Jérusalem capitale d'Israël et le plateau du Golan sous contrôle israélien, croyez-vous que nous nous rapprochons d'une solution à un seul État alors que la solution à deux États n'est plus viable ? Et comment amener les Palestiniens à la table des négociations compte tenu de votre décision d'aujourd'hui ?
Nous avons eu beaucoup de temps avec la politique, l'interprétation juridique rappelée aujourd'hui était dans un autre sens et elle n'a pas fonctionné. C'est... c'est un fait avéré. Nous croyons que ce que nous avons fait aujourd'hui, c'est que nous avons reconnu la réalité sur le terrain. Nous avons maintenant déclaré que les colonies de peuplement ne sont pas en soi illégales en vertu du droit international, et nous avons fourni l'espace même que votre question suggère, l'espace même où Israël et les Palestiniens peuvent converger pour trouver une solution politique à ce problème très, très contrariant....
Pour ce qui est des... implications pratiques de la décision, est-ce que - je comprends que vous faites référence à la décision de ne pas déclarer ces colonies illégales en elles-mêmes. Cela s'applique-t-il également à Jérusalem-Est, ou s'agit-il avant tout de la Cisjordanie ?
Elle s'applique - nous faisons - comme le Président l'a dit lorsqu'il a pris la décision concernant Jérusalem, le statut final, ces frontières ne seront pas déterminées tant que les parties ne seront pas parvenues à un règlement....
... Quel est le message que vous envoyez à Israël ? Vous dites que, par exemple, l'administration Reagan - Reagan avait un point de vue particulier à ce sujet, mais en termes de - et est-ce effectivement un feu vert ? Je veux dire, Reagan a aussi dit qu'ils étaient des obstacles à la paix. Y a-t-il - s'agit-il effectivement d'un feu vert pour qu'Israël construise d'autres colonies de peuplement s'ils le veulent ? Israël fera-t-il toujours l'objet de critiques pour - comme obstacle à la paix s'il construit des colonies de peuplement ?...
Votre première question sur si c'est un feu vert. Retour aux principes de base. Ce que nous avons fait ici, c'est effectuer une analyse juridique. Nous avons pris le droit international, nos juristes l'ont examiné. Il ne s'agissait donc pas d'envoyer un message - vous évoquez un message sur est-ce qu'il faudrait plus de colonies, est-ce qu'il faudrait moins de colonies, comment les israéliens devraient - en direction des tribunaux. Ce n'était pas du tout l'intention. L'intention était d'être une analyse juridique. Nous pensons vraiment que le résultat de cet examen juridique crée l'espace politique pour une résolution plus probable de la situation là-bas. Nous pensons qu'en fin de compte cela doit être résolu politiquement, et nous pensons qu'en laissant de côté cette exigence, cette idée que d'une certaine manière il allait y avoir une solution juridique à cela, nous pensons que c'est - nous pensons que cela a échoué, et donc nous pensons que nous sommes arrivés à un point qui crée plus de probabilité.
Source : Les Crises, Denis Alland, 20-01-2020