par Général Dominique Delawarde
En début de nuit dernière une frappe aérienne syrienne a frappé un convoi militaire turc qui venait soutenir les djihadistes en lutte contre le gouvernement légal de Damas dans la région d'Idlib.
Le bilan est lourd pour la partie turque : 33 morts et 32 blessés reconnus par les autorités d'Ankara, ce qui veut dire, en clair, plus de 100 morts et de 300 blessés, lorsqu'on connaît la tendance à la forte sous estimation des bilans de leurs propres pertes par les autorités militaires et politiques d'un pays, quel qu'il soit, dans ce genre d'affaire.
Cette frappe sera abondamment traitée par les politiques et les médias occidentaux avec, protection des intérêts d'Israël oblige, les habituels commentaires anti-Bachar el Assad, anti-russes et anti-iraniens, ce qui nous changera du coronavirus......
Cette frappe appelle de ma part les observations suivantes:
1 - Rappel du contexte :
Les accords de Sotchi prévoyaient de faire de la région d'Idlib, territoire syrien, une zone de désescalade. La Turquie avait pris trois engagements: dissocier les rebelles «modérés» des terroristes d'Al Qaïda et de Daesh, retirer les armes lourdes de la zone, et rouvrir à la circulation les autoroutes internationales M4 et M5 de manière à permettre un retour à une vie plus normale de la population civile syrienne.
Aucun de ces trois engagements n'a été tenu par les turcs. Après un an de patience, et après avoir subi des agressions quasi-quotidiennes par les terroristes soutenus et armés par Ankara, les Syriens et les Russes ont perdu patience et ont décidé de rétablir eux mêmes un environnement plus pacifique et plus «normal» pour les populations civiles. Ils ont donc entamé des opérations
militaires visant à remplir les trois engagements que la partie turque n'avait pas tenu.
Devant les succès de l'armée syrienne, les turcs sont venus au secours des terroristes en péril.
Ils ont fourni des armes lourdes, un appui «feu» et ont fini par envahir la zone d'Idlib avec leurs forces armées et à participer au combat, au mépris de la législation internationale et des accords de Sotchi.
2 - La frappe syrienne est donc, dans les logiques onusienne et otanienne, une frappe en légitime défense. Les forces turques ont envahi un pays souverain, membre de l'ONU, sans bien sûr, y avoir été invité par le gouvernement légal, seul représenté à l'ONU. La Syrie n'encoure donc aucune condamnation à l'ONU et l'article 5 de l'OTAN ne peut, en aucun, cas s'appliquer. La Turquie ne
peut espérer aucun soutien, autre que moral, de l'OTAN, d'autant que la Russie est présente en Syrie (sur invitation) et y contrôle l'espace aérien.
Erdogan ne doit se faire aucune illusion. La frappe aérienne a été réalisée avec un feu vert russe. Peut être même, la force aérospatiale russe y a-t-elle participé. Cette frappe représente un message très clair de Poutine à Erdogan: «le soutien turc au terrorisme est inacceptable et notre patience a des limites».
Erdogan risque de se retrouver bien seul à gérer cette affaire, d'autant qu'il s'est également empêtré en Libye. Poursuivre son appui aux djihadistes d'Idlib sans avoir la maîtrise du ciel peut s'avérer très risqué pour ses troupes au sol, ainsi qu'on vient de le voir. S'engager dans une escalade reviendrait à défier la Russie, l'Iran et l'Irak. Et puis, les occidentaux et l'opposition politique turque, plus puissante que jamais, ne verraient peut être pas d'un mauvais oeil un changement de régime en Turquie. L'OTAN, quant à elle, gesticulera peut être un peu, bombera le torse, appellera à la retenue, mais ne déclenchera sûrement pas une troisième guerre mondiale pour les beaux yeux de Erdogan.