14/03/2020 les-crises.fr  5 min #170344

Ecoles fermées, maintien des municipales... Les annonces de Macron pour faire face au coronavirus

Coronavirus : Avec 98 % des services de réanimation déjà saturés, il faut s'attendre à une gifle sanitaire

Source :  Le Nouvel Obs, Elodie Lepage, 13-03-2020

Le professeur Gilles Pialoux, chef du service de maladies infectieuses à l'hôpital Tenon, à Paris, alerte sur des formes sévères de Covid-19 sur des patients relativement jeunes.

Le gouvernement a annoncé jeudi soir le report de toutes les interventions chirurgicales non urgentes nécessitant une surveillance post-opératoire pour donner la priorité aux malades du Covid-19. Que pensez-vous de cette mesure ?

Les médecins la réclamaient. Ces derniers jours, des services de réanimation dans des hôpitaux, dans l'Est de la France comme à Paris, ont alerté sur le fait qu'ils étaient déjà saturés. Or les réanimateurs ne sont pas formés à être inquiets. S'ils tirent la sonnette d'alarme, c'est qu'il y a de bonnes raisons. Par ailleurs, partout en France, les services de réanimation sont déjà occupés à 98 %. La Direction générale de la Santé a annoncé que nous disposions de 5 000 places dans ces services, encore faudrait-il qu'elles soient vraiment libres, ce qui n'est pas le cas. Il fallait donc prendre cette décision pour avoir des places en réanimation dans les jours et les semaines à venir, quand le nombre de personnes devant être hospitalisées en soins intensifs va augmenter.

Plus globalement, diriez-vous que le gouvernement a pris la mesure de la crise sanitaire à laquelle les soignants sont d'ores et déjà confrontés ?

Le fait que le président de la République soit allé sur le terrain, qu'il ait entendu ce qui s'y dit et qu'il ait pris la parole de façon solennelle a aidé à ce que la population prenne conscience qu'on n'est pas dans la gestion d'une « grippette », et que l'on doit se préparer au pire. Même au sein de l'hôpital, où certaines spécialités pensaient ne pas être concernées par le Covid-19. Le président a aussi assuré que tous les moyens nécessaires seront mis en place, « quoiqu'il en coûte ».

Cela fait écho, au-delà de la crise du coronavirus, aux demandes réitérées de lits et de recrutement de personnel. Mais il faut aussi donner les moyens à la médecine libérale d'exercer sa mission de prise en charge d'une maladie virale qui, rappelons-le, a 82 % de formes bénignes. Ceci pour que l'hôpital et le 15 se concentrent sur les formes sévères. Or les généralistes sont perdus, ils ne sont pas prêts, et ils n'ont pas les masques, les lunettes, les tenues dont ils ont besoin pour soigner leurs patients en toute sécurité. Alors oui, il faut mieux se préparer à une gifle sanitaire.

Vous alertez sur un autre phénomène préoccupant, des formes sévères de coronavirus chez des patients relativement jeunes. Qu'en est-il exactement ?

Oui, c'est un phénomène inquiétant, même s'il y a peu de cas en France. Mais il y en a à Milan et ailleurs en Italie. L'idée n'est pas de provoquer la panique, mais on ne peut pas ignorer que le profil des patients admis en réanimation pour des détresses respiratoires aiguës évolue. Ces derniers jours, on a vu arriver dans un état sérieux des malades âgés de 20 à 60 ans, qui ont peu de comorbidités [d'autres pathologies, NDLR], en tout cas pas de celles susceptibles d'aggraver la maladie à coronavirus. Les cas sérieux ne concernent donc plus seulement des personnes âgées avec des comorbidités comme c'était le cas au tout début et comme cela l'est avec la grippe. Dans une analyse scientifique publiée dans « The Lancet » le 21 février dernier, portant certes sur peu de cas (cinquante-deux), mais présentant tous une forme grave en réanimation à Wuhan, 38 % des personnes avaient moins de 60 ans.

 Le coronavirus dope la télémédecine en France et dans le monde

Est-ce à ces cas que faisait allusion Emmanuel Macron jeudi soir quand il a parlé d'une « deuxième vague » à venir de malades jeunes ? Cette phrase suscite beaucoup d'interrogations...

Oui, c'est assez mystérieux. Il y a sans doute plusieurs notions dans cette « deuxième vague » : préparer l'opinion à d'autres mesures ? A un second pic de l'épidémie ? Ou, plus simplement, au passage en deux temps à une forme exponentielle de l'épidémie, comme c'est le cas en Italie ? Mais rien ne permet de présager cela.

Pourquoi voit-t-on apparaître ces formes critiques chez des jeunes ?

Il est difficile de le dire, puisque nous découvrons ce virus au fur et à mesure que le temps passe. En tout cas, il faut arrêter de le comparer à la grippe. D'après Santé Publique France, 86 % de patients décédés de la grippe en France entre 2011 et 2019 avaient plus de 75 ans, alors que seulement 50 % des morts du Covid-19 en Chine ont plus de 70 ans.

Les patients gravement atteints s'en sortent malgré tout à 80 %. Garderont-ils des séquelles ?

La guérison est effectivement la règle dans la majorité des cas. Pour les séquelles, on ne sait pas encore...

Un scénario dramatique à l'italienne est-il possible chez nous ? Peut-on se retrouver avec des hôpitaux totalement engorgés et des médecins obligés de faire le tri parmi les malades ?

Nous n'avons pas le même système de santé que l'Italie. L'hôpital public est très développé chez nous. La médecine de ville peut s'organiser aussi. Au niveau national, je ne le pense donc pas, même si l'hôpital public vit une crise aiguë depuis des mois. Mais dans certaines situations locales, c'est possible puisque, comme je vous l'ai dit, des services de réanimation sont déjà débordés.

 Coronavirus : une étude nous en apprend plus sur les personnes à risque

Par ailleurs, tous les soignants qui vont arriver en renfort dans ces services ne sont pas forcément formés à y travailler. Il faut aussi prendre en compte le fait que les patients sérieux doivent être hospitalisés durant trois semaines environ, ce qui ne permet pas d'accueillir régulièrement de nouveaux malades...

Allons-nous doucement mais sûrement vers une quarantaine généralisée ?

Sincèrement, je ne sais pas.

Propos recueillis par Elodie Lepage

Source :  Le Nouvel Obs, Elodie Lepage, 13-03-2020

 les-crises.fr

 Commenter