20/03/2020 cadtm.org  12 min #170628

Série (1/4) : Comment fonctionne le virus

Série (2/4) : Renforcer les solidarités en cours

Quelques idées pour soutenir les luttes en cours - en particulier les revendications du collectif « la santé en lutte » et des autres premières lignes en ce moment de crise -, renforcer les réseaux d'entraide et aider les personnes le plus démunies.

Ce texte fait partie d'une série de quatre articles. Ceux-ci seront mis à jour suivant l'évolution de la situation. N'hésitez pas à nous envoyer vos éventuelles idées ou remarques à info(at)cadtm.org.

Les autres articles de la série :

 Comment fonctionne le virus (1/4)
Quelques mesures à prendre et qui y faire contribuer (3/4) - à venir
> Régler nos comptes et tirer des leçons (4/4) - à venir

Les effets de la Covid-19 [1] illustrent à quel point le système économique actuel nous rend fragiles. Face aux basculements écologiques en cours, cette pandémie n'est qu'un avertissement. Un avertissement dont il faut nous saisir.

En parallèle de cette pandémie (partie 1), une crise financière a démarré [2]. Les détenteurs de capitaux sont en train de négocier avec les gouvernements et les « corps intermédiaires » (dont les syndicats) pour maintenir au maximum les bénéfices qu'ils avaient prévus pour 2020. Les contradictions inhérentes au capitalisme sont en train de nous exploser à la figure et la manière dont nous allons réagir à ce « premier » exercice grandeur nature va être déterminante pour nos avenirs.

Nous aurions dû stopper la production non essentielle depuis la semaine dernière et mettre en place une allocation de quarantaine, sous la forme d'un impôt de crise

Cet avenir et le présent que nous sommes en train de traverser ne sont pas vécus de la même manière par tout le monde. Les plus précaires travaillent, malgré le manque criant de moyens, pour permettre le confinement (voire la fuite temporaire) des autres. Nous aurions dû stopper la production non essentielle depuis la semaine dernière et mettre en place une allocation de quarantaine, sous la forme d'un impôt de crise (partie 2). Les oublié·e·s sont encore plus soumis à l'injonction de disparaître qu'en temps « normal ».

Heureusement, les solidarités et luttes en cours font toute la différence (partie 3), et elles vont déterminer à quoi ressemblera « l'après Coronavirus ». Cette expérience sera utilisée par le pouvoir en place comme «  stratégie du choc » (à l'image de ce qu'on observe en France), mais elle sera aussi l'occasion d'un bouleversement de nos rapports aux autres et au reste du vivant (partie 4).

En parler avec ses proches, ses collègues, informer et prendre des décisions ensemble

On voit que les personnes qui n'ont pas pu comparer leurs ressentis, informations, doutes, décisions,... ont perdu du temps avant de pouvoir adopter un comportement cohérent et compatible pour soi et les autres. Nos différences d'appréhension de la situation peuvent provoquer de fortes tensions et rancœurs, créer les conditions de cette comparaison est donc un apprentissage à part entière. Suivre les mesures étatiques sans réfléchir par soi-même n'est pas suffisant (exemples : interdire à un parent de se balader avec son fils comme en France, permettre d'aller travailler dans une usine non essentielle comme en Belgique). De plus, les gouvernements se comportent généralement envers leurs populations de manière paternaliste : c'est-à-dire en leur disant quoi faire mais en communiquant très mal sur le pourquoi. Ce sont les communications des professionnel·le·s de la santé et des prises d'initiatives autonomes (fermetures, etc.) qui ont pour l'instant fait la différence. Les mesures d'hygiène ne supplantent pas notre besoin d'analyser par nous-mêmes la situation, avec nos libres arbitres, l'un n'empêche pas l'autre, au contraire.

Vérifier les informations avant de les diffuser et mettre du soin dans nos communications

Il est important de se rappeler qu'Internet est rempli de  désinformation et que vérifier une information avant de la propager est le minium de responsabilité envers les autres. Lorsqu'on hésite sur une information, on peut entre autres la taper dans un moteur de recherche et voir si le travail de vérification a déjà été fait. Avant d'ajouter du bruit au bruit, on peut se poser deux minutes pour réfléchir à l'utilité réelle de cet ajout. Enfin, rappelons que le fonctionnement des réseaux asociaux se base sur la sélection d'informations qui vont confirmer nos représentations et produisent des biais de confirmation (le fait de prêter plus d'attention à ce qui confirme nos opinions et de discréditer celles qui les contredisent). Écouter certaines personnes en désaccord, total ou partiel, avec nous peut parfois permettre de maintenir notre esprit critique.

Ne pas ajouter de la panique aux angoisses légitimement présentes

Non seulement cela ne sert strictement à rien (même au milieu d'une tornade), si ce n'est à empirer le problème, mais en plus ce n'est pas bon pour l'immunité ;). Comme on le dit souvent, les catastrophes ce ne sont pas forcément les événements en tant que tels, ce sont potentiellement les manières dont on y réagit. Au-delà de la panique, cette « aventure » exerce un puissant pouvoir de fascination sur nous, notre santé mentale est mise à l'épreuve et nous vivons énormément d'  émotions en peu de temps. Celles-ci peuvent se transférer aux autres très facilement. C'est à peu près inévitable, mais le prendre en compte peut nous permettre de mieux le vivre avec les autres.

Constituer des stocks de manière raisonnable

Dans notre région, la plupart des gens n'a plus la culture de réserves (de 2, 3 semaines ou plus) et nous avons été habitué·e·s à une forme d'abondance à flux tendus. Alors que les chaînes d'approvisionnement ne sont actuellement  pas menacées, certaines personnes ont été prises d'une panique plus ou moins forte (entre autres alimentée par la peur que d'autres aient peur). Cette panique relative ne réagit pas à une situation de pénurie partielle et temporaire, elle la provoque. La culture de réserves a du sens en amont des crises, surtout pas pendant et de manière précipitée. Si les personnes qui n'en ont pas veulent tout de même en constituer, et c'est légitime, alors le mieux est de le faire progressivement.

Prenons un exemple : ne pas avoir de boite d'analgésiques chez soi (ou considérer ne pas en avoir assez), ne pas en avoir directement besoin et malgré tout se précipiter sur les stocks présents en rayons est inutile (puisqu'il n'y a actuellement pas de problème d'approvisionnement) et particulièrement antisocial (puisque cela a pour seul effet concret d'en priver les personnes qui en ont effectivement besoin). Un mécanisme similaire a eu lieu avec les masques disponibles à la vente, même si de nombreuses solidarités sont en train de corriger le tir.

Soutenir «  La santé en lutte » et toutes les premières lignes

Caissières/ers, pompiers, pharmacien·ne·s, garde d'enfants, secteur du nettoyage, livreurs/euses, transports publics, éboueurs,  cpas... Ces personnes sont actuellement sur-exposées, sous-équipées, surmenées et ceci sans aucune prime ou autre forme de soutien conséquente de la part des pouvoirs publics pour l'instant. « Nous ne voulons pas des remerciements hypocrites, nous voulons des moyens ! ».

Nous ne voulons pas des remerciements hypocrites, nous voulons des moyens

« Le tournant managérial de la gestion hospitalière laisse des équipes soignantes sans supervisions professionnelles aptes à traiter les questions de santé. Heureusement que nous savons encore comment faire notre métier. Pour exemple, les soins à domiciles, laissés sans directives et qui ont eu le professionnalisme de se donner des guidelines propres et concrètes pour la gestion de la pandémie. De plus, la gestion managériale du « juste à temps » laissant les unités avec très peu de stock, ce qui présage des grosses pénuries de matériel. » [3]
 Témoignage d'un pompier :
« Nous savons que nous allons tomber malade. Notre combat à nous est de l'être le plus tard possible pour garder le service le plus efficace le plus longtemps possible. J'espère revoir tous mes frères d'armes la garde prochaine. En attendant, je note tout. Toutes les failles, toutes les pénuries ou les pertes de temps. Les services publics ont été pillés. Cela n'est pas acceptable. Les comptes devront être réglés quand cela sera terminé. »

Faire don de ses masques à particules aux personnels du soin

Si on en a, et en fabriquer ( correctement) pour les autres.

Organiser la solidarité envers les personnes fragilisées

Personnes âgées et/ou isolées, confinées seules, à mobilité réduite, sans abris, sans papiers, sans patrimoine et sans source de revenu stable, femmes battues, personnes enfermées, locataires de logements exigus et/ou insalubres...). Les appeler régulièrement. La solitude peut faire autant, voire plus, de dégâts que la pandémie elle-même (la question difficile des visites dans les homes en est une illustration).

La ville de Namur a tout de suite organisé un point de chute pour toute demande de soutien pour soi-même ou pour autrui (solidarite[at]ville.namur.be). La JOC Bruxelles a tout de suite lancé un  formulaire de coups de main : constitution et distribution de  colis alimentaires « à retirer », matériel sanitaire, garde d'enfants. Des groupes se sont ensuite multipliés sur Internet ( Tournai,  Namur,  Liège,  Bruxelles,...) pour organiser cette solidarité. Des demandes concrètes sont faites par les associations, entre autres celles qui soutiennent les personnes  sans abri et/ou  réfugié·e·s.

Visibiliser l'impact spécifique de la pandémie sur les femmes et soutenir leurs luttes

Comme en Chine et en Italie, les violences contre les femmes  vont augmenter durant le confinement. Le  Collecti·e·f 8 maars et les autres collectifs féministes rappellent le numéro 0800/30/030 et la nécessité de réquisitionner des bâtiments pour en faire des abris facilement accessibles (voir plus bas).

Ensuite, les initiatives de solidarité citées ci-dessus, et de manière plus général le soin et le soutien, sont  majoritairement portés par des femmes. Les hommes avec papiers, en bonne santé et sans stress matériel avons une nouvelle occasion d'apprendre à faire notre part.

Enfin, ce sont des femmes qui composent la majorité du personnel soignant (infirmières, sages-femmes, cuisinières, personnel de nettoyage) et des autres secteurs du soin fortement sollicités dans les périodes de crise (soins aux personnes âgées, dépendantes, enfants,...). En ce qui concerne les aides-ménagères, à 96 % femmes et à 98 % d'origine immigrée pour Bruxelles, elles restent sous-payées, le plus souvent inconsidérées et presque toujours sans égard à leur santé. À la précarité structurelle de leur métier s'ajoute le fait qu'elle travaillent au contact direct de malades, le plus souvent sans protection ni suivi. Les personnes travaillant pour les titres-services font désormais entendre  leurs voix.

Faire de l'affichage public

C'est le moment de partager quelques blagues, idées, poèmes, revendications. De nombreux groupes ont affiché  ceci dans les rues ou dans les bâtiments où iels habitent.

Mettre en place ou rejoindre un comité d'entraide dans son quartier

Identifier les problèmes rencontrés et se mettre en contact avec d'autres personnes qui le peuvent/veulent (cela peut passer par une application numérique comme Signal, mais pas que). Nous ne sommes pas obligé·e·s de nous limiter aux personnes que nous connaissons ou avec qui nous nous entendons bien, il serait chouette d'aller un peu plus loin.

Dépeupler les prisons et les centres fermés

Lutter pour faire lever l'interdiction de visites aux personnes enfermées (prisons,  centres fermés) et/ou prendre des mesures urgentes (permissions, amnisties, régularisation pour cause humanitaire) pour dépeupler ces cages. Des vitrines, gants, désinfectants et une organisation de non-contacts intelligente (du type des snacks « entrée-sortie » qui évitent les files) permettrait que les personnes puissent continuer à visiter leurs proches enfermé·e·s sans pour autant augmenter le danger de contagion. Les droits fondamentaux de ces personnes enfermées ne peuvent leur être retirés pour une situation qui n'est pas de leur fait. L'expérience des pays en avance sur nous par rapport à la propagation du virus montre qu'il serait beaucoup plus intelligent de prendre des mesures de dépeuplement de ces cages.

Se donner des signes et des moments de réconfort communs

Par exemple, par  cette action ou par l'appel à applaudir tous les soirs à 20h le personnel de première ligne, ou encore d'autres échanges par balcons , fenêtres, cour, ou des flash mob à l'extérieur avec grande distance (arts martiaux, frisbee avec gants, chants, percussions,...).

Aider les héro·ïne·s qui tentent de faire fermer leur entreprise non essentielle

(voir partie 3).

Notes

[1] Covi = corona virus, d = disease et 19 = 2019

[2] Voir : Fares A.,  Le plan de sauvetage bancaire massif qui se cache derrière les mesures contre le Coronavirus ; Toussaint E.,  La pandémie du capitalisme, le Coronavirus et la crise économique ; Partager c'est sympa, Le Krach a eu lieu, ce qui va suivre sera pire sauf si...

[3] La santé en lutte,  Covid-19 : Terrassons le coronavirus et la marchandisation de la santé

 cadtm.org

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