23/03/2020 cadtm.org  29 min #170843

Série (1/4) : Comment fonctionne le virus

Série Covid-19 (3/4) : Propositions de mesures à prendre

Quelques suggestions pour faire face à la crise liée au coronavirus : de manière immédiate (avec la mise en place d'une allocation de quarantaine) et de manière plus structurelle.

Ce texte fait partie d'une série de quatre articles. Ceux-ci seront mis à jour suivant l'évolution de la situation. N'hésitez pas à nous envoyer vos éventuelles idées ou remarques à info(at)cadtm.org.

Les autres articles de la série :

Les effets de la Covid-19 [1] illustrent à quel point le système économique actuel nous rend fragiles. Face aux basculements écologiques en cours, cette nouvelle pandémie mondiale [2] n'est qu'un avertissement. Un avertissement dont il faut nous saisir.

En parallèle de la pandémie (partie 1), une crise financière a démarré [3]. Les détenteurs de capitaux sont en train de négocier avec les gouvernements et les « corps intermédiaires » (dont les syndicats) pour maintenir au maximum les bénéfices qu'ils avaient prévus pour 2020. Les contradictions inhérentes au capitalisme sont en train de nous exploser à la figure et la manière dont nous allons réagir à ce « premier » exercice grandeur nature va être déterminante pour nos avenirs.

Nous aurions dû stopper la production non essentielle depuis la semaine dernière et mettre en place une allocation de quarantaine, sous la forme d'un impôt de crise

Cet avenir et le présent que nous sommes en train de traverser ne sont pas vécus de la même manière par tout le monde. Les plus précaires travaillent, malgré le manque criant de moyens, pour permettre le confinement (voire la fuite temporaire) des autres. Nous aurions dû stopper la production non essentielle depuis la semaine dernière et mettre en place une allocation de quarantaine, sous la forme d'un impôt de crise (partie 2). Les oublié·e·s sont encore plus soumis·es à l'injonction de disparaître qu'en temps « normal ».

Heureusement, les solidarités et luttes en cours font toute la différence (partie 3), et elles vont déterminer à quoi ressemblera « l'après Coronavirus ». Cette expérience peut être utilisée par le pouvoir en place comme «  stratégie du choc » (à l'image de ce qu'on observe en France), mais elle est aussi l'occasion d'un bouleversement de nos rapports aux autres et au reste du vivant (partie 4).


Une toute petite partie de ces mesures est déjà en court, souvent grâce au travail des mouvements sociaux. Dans les faits, une multitude d'arrangements se sont déjà installés entre « petit·e·s » gens et petites structures, sans avoir pour autant d'encadrement général. Les premiers provoquent le second.

Préparons-nous, dès maintenant, pour s'opposer à ce nouveau bail-out collectif

La manière dont ces mesures sont appliquées et, surtout, leur « après » sont très importants à suivre. Les gouvernements vont très probablement sortir une facture salée à la population dans quelques mois, où il s'agira pour elle de faire deux fois plus d'efforts afin de maintenir le système en place. Préparons-nous, dès maintenant, pour s'opposer à ce nouveau bail-out collectif (collectiviser les pertes après avoir privatisé les bénéfices). Une injection massive d'argent public dans de nombreuses entreprises est une des principales mesures (au-delà des sauvetages bancaires, qui ont déjà  commencé) que les plus riches vont exiger. Ils vont parfois même appeler cela des « nationalisations ». « Sauver l'économie » ne signifie strictement rien, si on ne parle pas en détails de quels outils, de quelles activités, contrôlées par qui et au service de qui. Ces « nationalisations » - terme quasi extrémiste en temps normal - s'effectuent sans prendre le contrôle des outils « nationalisés », qui seront revendus à perte dès que les deniers publics leur auront rendu une santé.

À nous de ne pas laisser le scénario de 2008 se répéter. Il va falloir exproprier certaines propriétés pour les socialiser et répudier certaines dettes (ne pas les rembourser).

MESURES IMMÉDIATES

Sortir du Pacte de Stabilité Européen

Quelles que soit les décisions que prendra la Commission européenne - elle a déjà annoncé qu'elle ferait des exceptions concernant les déficits publics « autorisés » - il est évident que la proposition de désobéir aux traités budgétaires est on ne peut plus pertinente. Le « Pacte de stabilité » (sic) doit être suspendu. Il ne s'agit pas de faire une nouvelle exception « ad hoc », en raison de crise sanitaire, mais plutôt de remettre en discussion ces règles européennes illégitimes.

Investir immédiatement dans les soins de santé et les autres premières lignes

Fournir le matériel nécessaire (masques à particules, appareils respiratoires, tests)

Immédiatement verser des primes de risque et de remerciement aux personnels de première ligne. Fournir le matériel nécessaire (masques à particules, appareils respiratoires), augmenter le nombre de dépistages, former et engager du personnel (plutôt qu'uniquement réquisitionner des étudiant·e·s...) - également pour l'entretien, la logistique et toute tâche nécessaire à la gestion de la crise. Il ne s'agit pas uniquement de faire une « avance » (à rembourser) d'1 milliard d'euros, à répartir d'ici fin avril, comme le propose  la Ministre de la santé.

 La santé en lutte : « L'État a failli et n'a pas produit et ne compte toujours pas fournir du matériel en suffisance pour protéger (et dépister) tout le personnel hospitalier ou extra hospitalier. La politique de rationnement expose les patient•e•s, le personnel de santé et son entourage à un risque sanitaire grave. C'est une politique dangereuse qui contribue à la propagation de la pandémie. Nous réclamons du matériel pour toutes et tous immédiatement, et ce à l'instar de plusieurs pays asiatiques qui ont réussi à endiguer l'épidémie. La situation en Chine puis celle en Italie nous avaient mis•e•s en garde : ce qui va manquer, ce sont également les respirateurs. Au plus on a de respi, au plus nous pourrons sauver des vies ! Simple. Sinon, nous serons amené•e•s à devoir faire des choix. Horribles. Pourquoi le matériel, qui est disponible puisqu'en vente par les firmes pharmaceutiques, ne peut-il pas être réquisitionné ? »

Si nous sommes confiné·e·s, profitons-en pour harceler les pouvoirs publics jusqu'à ce qu'ils prennent leurs responsabilités et répondent immédiatement à ces revendications. De plus en plus de personnes mettent des banderoles à leurs fenêtres, nous pouvons également nous prendre en photo en soutien à ces revendications.

Réquisitionner le matériel vital et plafonner les prix

Il faut réquisitionner les masques, gels désinfectants, thermomètres, appareils respiratoires, médicaments antiviraux et analgésiques, etc. (sans nécessairement prévoir de « dédommagement » au prix du marché comme le Ministre de l'intérieur le fait concernant ces  180 000 tests et réactifs). Pour la vente public, les prix doivent être plafonnés comme cela a partiellement été fait en France (cette mesure doit également être appliquée aux biens de première nécessité).

 Président de CPAS : « Nous avons dû passer par une pharmacie qui a bien voulu nous dépanner pour avoir un bidon de cinq litres de solution hydroalcoolique. Nous avons été facturés à 400 euros pour cette solution. (...) le prix est passé à 300 euros pour un thermomètre. »
 Médecin généraliste : « Dans nos maisons médicales, tout le monde est sur le pont depuis des jours. D'après les informations que nous recevons des hôpitaux et d'autres établissements de santé, les stocks baissent là aussi à vue d'œil. Or, certaines firmes semblent bien décidées à tirer profit de cette situation. Aujourd'hui, nous payons 70 euros un paquet de 50 masques chirurgicaux. Il y a quelques mois, le même paquet nous revenait à 6 euros. Le prix a donc plus que décuplé. »

Il faut noter les acteurs qui sont en train de spéculer sur cette pandémie et les sanctionner lourdement (voir partie 4).

Le textile et la confection doivent également être mis à contribution pour la production de masques.

Réquisitionner plusieurs secteurs clés et interdire les brevets pharmaceutiques

En premier lieu les hôpitaux, cliniques et centres de traitement privés afin de se diriger vers un service national public de la santé avec gratuité de soins, géré par les travailleuses et travailleurs du secteur. Socialiser l'industrie pharmaceutique en la mettant au service de la population, entre autres pour généraliser l'accès aux médicaments utiles. Aujourd'hui cette industrie très lucrative ne paie presque pas d'impôts et la concurrence en son sein limite la collaboration et l'échange d'informations pour trouver un vaccin et/ou une autre médication. Nous sommes en train de perdre énormément de temps. Sans compter que cette industrie pharmaceutique à but lucratif spécule sur son accessibilité future.

Stopper le travail non essentiel

Nous aurions déjà dû le faire depuis le lundi 16 mars, en se préparant durant le week-end suivant le  premier arrêté ministériel. L'inconsistance principale des mesures prises par l'État est d'appliquer un confinement pour la sphère dite privée SANS l'appliquer dans la sphère dite professionnelle, comme s'il s'agissait de deux réalités parallèles. Nous sommes en train de répéter la même erreur que les pays qui nous ont précédé, et ce principalement pour satisfaire les intérêts d'une minorité de propriétaires des moyens de production. L'  Italie vient seulement de prendre la décision ce dimanche 22 mars, mais cela reste encore incomplet puisque beaucoup de secteurs non essentiels sont encore opérationnels - au point que les syndicats envisagent la  grève générale). En France, les injonctions contradictoires des autorités ont atteint le sommet du ridicule.

appliquer un confinement pour la sphère dite privée SANS l'appliquer dans la sphère dite professionnelle, comme s'il s'agissait de deux réalités parallèles

Les travailleurs/euses des secteurs non directement nécessaires sont réduit·e·s à se défendre entreprise par entreprise et, comme en Italie, en Espagne, ou au Chili et partout dans le monde, les arrêts de travail spontanés se multiplient fort heureusement ( Audi Forest,  Brico Liège,  Atelier SNCB Schaerbeek,...). « Nous ne sommes pas de la chair à patron ». Rentrons en contact avec ces travailleurs/euses et aidons-les à mettre la pression sur leurs directions s'ils et elles le désirent (par téléphone, e-mails, réseaux asociaux, boycott,...). Mépriser les « inconscient·e·s » qui n'appliqueraient pas assez à notre goût « les » mesures de prévention étatiques ne nous mènera pas très loin, surtout si cela nous dédouane d'acter les contradictions de ces mesures et d'agir dessus.

Pour les travailleurs/euses des secteurs essentiels [4], il faut maximiser les mesures de protection possibles (transports réduits au minimum ; distances de sécurité ; gants ; masques ; possibilités de se laver correctement et régulièrement les mains ; nettoyage régulier des surfaces communes du type poignées, boutons, tables, poubelles, wc,... ; éviter le plus possible les espaces fermés et les endroits fort fréquentés ;...). Ces mesures ne suffiront pas, et nous devons prendre la mesure de ce que toutes ces personnes sont en train de faire pour nous. Si, pour ces secteurs vitaux, la direction qui en aurait les moyens ne met pas en place ces mesures maximales de protection, il faut l'y contraindre (par une mobilisation interne et/ou un soutien externe). Les travailleuses/eurs savent mieux que personne ce qui doit être fait pour la prévention. Comme l'ont exprimé des travailleurs/euses de  De Lijn :

« De Lijn s'est vanté dans la presse que les véhicules seraient nettoyés quotidiennement. Beaucoup de collègues ont entendu ça avec colère. C'est faux. Au mieux, les véhicules sont rapidement balayés. Il est impossible d'effectuer un nettoyage adéquat après toutes les économies réalisées et le manque de personnel que cela implique dans les services de soutien et les services techniques. (...) Les syndicats ont distribué des affiches aux chauffeurs de bus anversois avec le message ''montez à l'arrière du bus'' et ''pas de vente de billets''. Des rubans ont également été tendus dans les bus pour assurer qu'une distancesoit respectée. Si la direction refuse de prendre soin de notre santé et de notre sécurité, à nous de le faire ! En fin de compte, la direction n'a pas eu d'autre choix que d'adopter ces mesures. Mais elle a tout d'abord refusé d'autoriser les rubans de démarcation. »

Les directives ministérielles disent (à raison) que les client·e·s de magasins doivent avoir 10m2, qu'il ne faut pas se regrouper même à l'extérieur, mais les ouvriers/ières (qui ne peuvent pas faire de télétravail) devraient se regrouper en intérieur avec une distance d'un mètre et demi permanente (ce qui est impossible) ? De qui se moque-t-on ? Beaucoup trop de secteurs non indispensables continuent encore d'être opérationnels ce lundi 23 mars. A-t-on besoin, en pleine pandémie, de produire des voitures, des électroménagers, de la publicité, de l'armement, du textile,... ?

 Ouvrier d'une usine liégeoise : « Hier, ni mon permanent syndical ni le conseiller en prévention (!) de l'entreprise ni le contremaître ne m'ont pris au sérieux lorsque j'ai demandé s'il ne valait pas mieux fermer. Aujourd'hui, nous avons réussi à stopper l'usine jusqu'à nouvel ordre. S'il n'y a pas de décision collective pour toutes les entreprises non essentielles, nous allons devoir faire boule de neige en les fermant nous-mêmes. »

Maintenir les salaires et interdire les licenciements

Rappelons qu'un tiers de la population n'a pas d'épargne et a donc directement besoin d'une source de revenu ou de gratuité.

Rappelons qu'un tiers de la population n'a pas d'épargne

Pour les entreprises qui en ont les moyens, les salaires doivent être maintenus pendant le confinement (et les contrats hors CDI doivent être prolongés). Cela signifie simplement que leurs dividendes versés en 2020 seront moins élevés.

Les entreprises qui ont profité de cette pandémie pour licencier du personnel devront être sanctionnées.

Soutenir les petit·e·s indépendant·e·s et certaines PME

Soutenir les petit·e·s indépendant·e·s et les PME dont les propriétaires n'auraient pas assez de patrimoine pour faire face à cette crise. Plusieurs mesures ont été prises en ce sens, mais elles ne suffiront pas pour tou·te·s (voir plus bas). Leurs gros clients (dont les bénéfices 2019 ont été élevés et/ou dont les actifs sont suffisants) pourraient également être mis à contribution pour abandonner certaines de leurs créances (en cas d'événements annulés, par exemple).

Appliquer des congés extraordinaires pour les parents en charge d'enfants

Qu'elles et ils ne soient pas obligé·e·s de faire du télétravail dans des conditions impossibles. Ces congés doivent être à charge des employeurs qui en ont les moyens (voir plus bas pour les autres).

Mettre en place une allocation de quarantaine

Pour toutes les personnes qui ne continuent pas à travailler dans les secteurs essentiels ou qui ne peuvent pas travailler à domicile, et dont l'entreprise n'aurait pas les moyens de maintenir le salaire [5], fournir une allocation de quarantaine (de 2 000€ bruts/mois). Les personnes qui ont un patrimoine net (patrimoine net = patrimoine moins les dettes diverses) supérieur à 75 000€ (première demeure exclue) ne seraient pas nécessairement éligibles à cette allocation. Au-delà de cette discrimination positive, elle doit être fournie indépendamment du statut et du type de contrat (travail au noir, intérimaires, free-lance, travailleuses du sexe, les 140 000 étudiant·e·s de l'  Horeca, les nombreuses personnes privées de droit aux allocations, certain·e·s peti·te·s indépendant·e·s...). Les personnes qui ont déjà un revenu de remplacement (congés maladie, chômage de longue durée, chômage temporaire - porté à 70 % du salaire ce 1er février - pour raisons économiques ou pour force majeure, mutuelle, cpas,...), mais inférieur à ce montant, le verraient compléter.

Financer ces mesures par un impôt de crise

Il n'y a aucune raison que cette crise soit payée par la majorité sociale (diminutions ou reports d'impôts pour les entreprises, nouvelles exonérations de cotisations sociales, nationalisations temporaires d'entreprises privées ou privatisées, chômage temporaire financé par les fonds publics [6]...). Si nous laissons faire cela, l'effet principal sera de maintenir le plus possible les plus-values d'une extrême minorité de la population. Il faut au contraire appliquer un impôt de crise aux entreprises dont les bénéfices sont les plus élevés (« pas de dividendes en 2020 » - pour les profits 2019 - ce sera leur contribution) et sur les ménages dont les patrimoines et revenus sont les plus élevés. Il y a de la marge : les patrimoines cumulés en Belgique sont  évalués à ≃ 3 000 milliards d'euros, dont la moitié appartient actuellement aux 10 % les plus riches à eux seuls.

Rq : Pour l'instant, (un partie de) ces plus riches se limitent à faire quelques petits dons (qui nous paraissent gigantesques à nous, mais qui sont petits pour eux) afin de valoriser leur image, d'alimenter un mythe d'unité contre un ennemi commun (voir partie 4) et - accessoirement - de jouir de déductions fiscales.

Instaurer un moratoire sur le paiement de la dette publique

Rien que pour les intérêts, ce sont plus de dix milliards de nos impôts qui sont utilisés à enrichir les créanciers et que nous pourrions libérer pour des dépenses utiles.

Couvrir l'ensemble de la population en assurances maladie et hospitalisation

Ce sera la contribution des compagnies d'assurances, secteur particulièrement lucratif, pour cas de force majeur.

Stopper les contrôles et la « disponibilité » des allocataires

Comme la  Grapa et le  Forem ont commencé à le faire.

Instaurer un moratoire sur certains remboursements de crédits, loyers et factures

Il s'agirait de certains prêts hypothécaires pour première demeure, de certains prêts aux PME ou petit·e·s indépendant·e·s (comme en Italie), des loyers et factures qui seraient impayables dans la situation présente. Ces mesures doivent être prises sans laisser courir les intérêts.

Les mesures officielles qui  viennent de sortir permettraient des reports de paiement jusqu'à 6 mois (30 septembre 2020) - sans imputation de frais (c'est-à-dire sans intérêts de retard mais tout en laissant courir les intérêts prévus) - pour les entreprises, indépendant·e·s et emprunteurs hypothécaires (nous ne savons pas ce qui est prévu pour les crédits à la consommation, qui concernent les plus précarisé·e·s). Cette mesure ne concernerait que les acteurs qui ne connaissaient pas de problème avant la crise... Est-ce à dire que les personnes qui étaient déjà les plus en difficulté ne pourront pas y avoir accès ?

Cette mesure concerne uniquement les acteurs qui ne connaissaient pas de problème avant la crise...

Stopper les coupures pour factures impayées, comme la  Wallonie et  Bruxelles l'ont fait pour le gaz, l'électricité et l'eau.

Stopper les expulsions de logement, comme en Wallonie et à  Bruxelles.

À défaut de telles mesures, organiser nous-mêmes des  grèves de loyers envers les multi-propriétaires et des suspensions de paiement collectives.

Réquisitionner des bâtiments

Que ce soit pour compenser le manque de lits dans les hôpitaux, pour pouvoir loger les personnes « coincées dehors » ou pour pouvoir reloger les personnes qui habitent dans des immeubles surpeuplés et insalubres (41 % des enfants à Bruxelles, par exemple...) en cette période de soi-disant confinement, il faut réquisitionner tout ce qui est actuellement inutilisé : innombrables bâtiments - logements et bureaux - vides en bon état, chambres d'hôtels, appartements air-bnb, logements de luxe, résidences secondaires (tertiaires, voire plus),...

Stopper les expulsions, et de manière générale la répression, des occupations de bâtiments abandonnés. Supprimer la loi « anti-squat » (sic) votée fin 2018 (dont une partie venait d'être abrogée par le Conseil d'État grâce au recours porté par des mouvements sociaux).

Dépeupler les prisons et transformer les centres fermés en centres d'accueil

Dans de nombreux pays, et comme à chaque « crise » vécue au dehors, la situation à l'intérieur des prisons et des centres fermés est tout simplement catastrophique. Les grèves de la faim, émeutes et tentatives de suicide se multiplient. Luttons pour faire lever l'interdiction de visites aux personnes enfermées. Des vitrines, gants, désinfectants et une organisation de non-contacts intelligente (du type des snacks « entrée-sortie » qui évitent les files) permettrait que les personnes puissent continuer à visiter leurs proches enfermé·e·s sans pour autant augmenter le danger de contagion. Les droits fondamentaux de ces personnes enfermées ne peuvent leur être retirés pour une situation qui n'est pas de leur fait. L'expérience des pays en avance sur nous par rapport à la propagation du virus montre qu'il serait beaucoup plus intelligent de prendre des mesures de dépeuplement de ces cages (permissions, amnisties,...).

 Trois cents personnes auraient été « libérées », avec un ordre d'expulsion (!). Les  autres continuent de vivre dans ces cages  sans défense juridique, visite, mesure d'hygiène ni information. Les demandes d'asile sont suspendues (ce qui est illégal).  Les personnes sans papiers doivent au contraire être régularisées pour raison humanitaire. L'accès à la carte d'aide médicale urgente doit être facilitée.

La répression (voire l'élimination) doit faire place à l'accueil digne aux frontières de l'Europe-forteresse où la situation est plus que dramatique.

 Eric Toussaint : « L'Union européenne et ses institutions toutes nues face à la pandémie de coronavirus : le président du conseil européen n'a même pas une équipe de 10 médecins à envoyer en Lombardie ou en Espagne (c'est Cuba qui s'en charge). Par contre elle dépense 330 millions d'euros pour Frontex, sa police des frontières suréquipée. L'UE n'a pas d'hôpitaux de campagne ou de réserves de ventilateurs ou de masques pour venir en aide à un pays membre. Par contre, elle est équipée de drones européens pour espionner les mouvements de personnes en détresse qui cherchent à obtenir le droit d'asile. »

Annuler les dettes de pays appauvris

Le remboursement des dettes illégitimes que de nombreux pays appauvris du Sud global doivent (sic) à la Belgique représente très, très peu, de rentrées pour l'État ( quelques dizaines de millions d'euros par an, soit l'équivalent de la taxe sur les limonades) mais empêchent ces pays de faire face à de telles crises et d'appliquer leur droit à l'autodétermination.

MESURES STRUCTURELLES

Les mesures que le CADTM et d'autres mouvements sociaux préconisent depuis plusieurs décennies sont on ne peut plus d'actualité. Nous ne les reprenons pas dans leur diversité ici, uniquement quelques-unes. Vous pouvez en retrouver de manière plus complète dans les documents suivants :

 Manifeste pour un nouvel internationalisme des peuples

 Cahier de revendications communes sur la dette et la nécessité d'un réel contrôle citoyen sur la finance

Revaloriser les métiers de première ligne

Il s'agit d'une revendication féministe et ouvrière de longue date. La société toute entière repose sur les métiers dévalorisés, voire méprisés : aides-soignantes, garde d'enfants, institutrices/teurs, secteur du nettoyage, livreurs/euses, éboueurs/euses, magasiniers/ères, etc. Il est temps d'inverser  l'échelle de valeur. Ces métiers ne devront pas seulement recevoir une prime de remerciement, mais voir leurs conditions de travail (dont le salaire et la pension) fortement améliorées.

Cette « crise » doit nous mener à un changement radical concernant le travail de la reproduction sociale

Cette « crise » doit nous mener à un changement radical concernant le travail (généralement gratuit, souvent invisibilisé) de la  reproduction sociale, effectué à l'écrasante majorité par des femmes. Les hommes doivent prendre leur part et ce travail de reproduction doit être mis au centre de nos vies. Les services publics de base et les communs doivent être renforcés en ce sens.

Refinancer les hôpitaux et en améliorer la gestion

À l'heure de régler nos comptes, le sous-financement organisé de la santé (et de la sécurité sociale en générale) - voir partie 4 - sera au centre des conflits. Il ne s'agit pas d'accepter une « avance » comme le propose la Ministre de la santé, qui devra ensuite être remboursée à coups de flexibilisation du secteur. Il ne s'agit pas non plus d'accepter que les conquêtes sociales soient détournées de leurs objectifs.

 La santé en lutte : « Lors de notre lutte de 2019 pour un refinancement des soins de santé, nous avions obtenus de l'État un fond structurel de 400 millions d'euros par an pour faire face au manque d'effectifs dans les hôpitaux. Toujours pas d'application, ce fond devait répondre en partie à la difficulté de soigner toujours plus de patient·e·s avec toujours moins de personnel. Aujourd'hui, paraît-il que ce fond sera absorbé par l'État, avec la bénédiction de certaines directions syndicales, pour lutter contre le Covid-19. N'aurions-nous pas pu trouver de l'argent ailleurs que dans nos conquêtes sociales ? Dans les cadeaux fiscaux faites aux grandes firmes pharmaceutiques, dans les centaines de milliards cachés dans les paradis fiscaux, par exemple ? Nous donnons chaque jour de nos personnes pour soigner, nettoyer, brancarder, ravitailler... N'est-ce pas suffisant ? Doit-on en plus de ça sacrifier le peu de moyens obtenus par notre lutte ? Le personnel de santé se retrouvera, après la crise Covid-19, épuisé, sans un sou, toujours en manque d'effectifs, à devoir reconquérir le peu d'avancée sociale obtenue au bout d'une année de lutte, de grèves et de manifestation... »

Pire, De Block viendrait de  refuser de garantir le niveau de financement des institutions de soin (au même moment où le Ministre des Finances et les banques se mettaient d'accord pour une garantie de  50 milliards sur leurs nouvelles lignes de crédit). Cela signifie que les hôpitaux - qui ont été contraints d'annuler leurs consultations et autres opérations non urgentes - pourraient mettre du personnel en chômage temporaire pour se maintenir financièrement (!).

Ensuite, les hôpitaux, soumis comme la plupart des secteurs à la marchandisation et au management, font partie des entreprises (sic) à la gestion particulièrement opaque. Il faut ouvrir leurs comptes et en démocratiser le fonctionnement. Les quelques scientifiques écouté·e·s par les Ministères ont eu beaucoup de mal à se faire (un peu) entendre, cette forme « démocratique » n'est pas assez robuste face aux enjeux présents et à venir. Les décisions fondamentales doivent être prises par des comités de travailleuses/eurs, de patient·e·s, d'expert·e·s invité·e·s et de représentant·e·s élu·e·s.

Pour ne citer qu'un indicateur, le nombre de lits dans les hôpitaux belges est passé de 75 000 unités au début des années 1990 à moins de 65 000 aujourd'hui (ou de 7,6 à 5,6 lits par 1 000 habitant·e·s...). On arrête pas le progrès.

Auditer les dettes publiques et les répudier si nécessaire

Faire une enquête approfondie, sous contrôle populaire, des comptes de toutes les structures publiques pour en annuler les dettes illégitimes. Suspendre leur remboursement pendant la durée de l'enquête. Ces annulations ne concerneront pas les organises publics ni les petits porteurs de titres (très peu nombreux aujourd'hui). Des mesures complémentaires doivent être prises pour ne pas affecter indirectement de petit·e·s épargnant·e·s impliqué·e·s dans les investissements de leurs fonds de pension, compagnies d'assurance ou SICAV (en fonction des patrimoines, voir plus haut). Cela permettrait de libérer des sommes considérables pour réorienter le budget public et augmenter très fortement les dépenses en santé, entre autres.

Rq :  Un audit citoyen permanent permettrait de contrôler les dépenses et les recettes de manière continue.

Recommencer les emprunts publics obligatoires

Les banques, les autres secteurs particulièrement lucratifs et les ménages les plus riches doivent prêter à la collectivité à un taux de 0 % d'intérêt (voire à un taux négatif, afin d'organiser une redistribution indirecte de la richesse). Comme cela fut le cas pendant longtemps, l'État devrait réactiver le « Circuit du Trésor » (selon l'expression française), consistant notamment à contraindre les banques actives sur son territoire à acheter de la dette publique selon ses propres conditions et non selon celles des marchés financiers.

Instaurer une véritable justice fiscale

Revendication historique et permanente des luttes sociales : réaliser une réforme radicale de la fiscalité pour qu'elle soit réellement progressive et qu'elle puisse prendre en considération à la fois les revenus et le patrimoines :

Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft), Netflix & co, qui sont en train de produire des profits colossaux en cette période de confinement ;

fraude fiscale ne récupère que +- 500 millions d'euros par an. Ces cinq dernières années, le personnel du SPF Finances chargé des contrôles a été diminué de moitié et les contrôles de deux tiers...

En finir avec la crise structurelle du logement

En plus des réquisitions immédiates (voir plus haut), il faut réinvestir dans le logement social, plafonner les prix et exproprier les plus grands spéculateurs immobiliers. Le logement doit progressivement être reconnu comme valeur d'usage essentielle plutôt que comme valeur d'échange.

Socialiser les secteurs vitaux

D'une part, il faut déprivatiser, c'est-à-dire racheter les entreprises privatisées pour un euro symbolique à ceux qui en ont profité. Les bénéfices de ces entreprises publiques pourront renforcer le financement des activités socialement nécessaires comme la santé, l'éducation, la culture, le transport public, le logement, l'accueil digne des personnes migrantes, les moyens pour combattre les violences contre les femmes et l'aide aux plus démuni·e·s. Il faut également stopper les subsides publiques aux entreprises privées de l'aviation, de l'armement, etc.

D'autre part, il faut exproprier sans indemnité les banques et les assurances, afin de créer un service public de l'épargne, du crédit et des assurances sous contrôle citoyen (d'où le terme «  socialiser » plutôt que « nationaliser »). Il faut faire de même avec les autres secteurs vitaux (énergie, eau, transports, santé,...) et questionner notre rapport collectif à l'emploi et à la production (voir partie 4).

Acter les basculements écologiques en cours

La crise du Covid-19, comme d'autres avant elle et d'autres après elle, est  liée à la destruction écologique. Nous ne détaillerons pas ici les programmes écosocialistes ou d'écologie sociale, mais l'arrêt du gaspillage et de la surproduction, les économies d'énergie structurelles, la relocalisation des productions et le soutien à l'agriculture paysanne font partie des mesures nécessaires (mais insuffisantes) pour faire face aux basculements écologiques en cours. Cela implique une sortie du rapport de production capitaliste.

Notes

[1] Covi = corona virus, d = disease et 19 = 2019

[2] Épidémie = propagation d'une maladie infectieuse à un grand nombre de personnes ; Pandémie = propagation qui s'étend à toute la population ; Pandémie mondiale = qui s'étend à tous les continents.

[3] Voir : Fares A.,  Le plan de sauvetage bancaire massif qui se cache derrière les mesures contre le Coronavirus ; Toussaint E.,  La pandémie du capitalisme, le Coronavirus et la crise économique ; Partager c'est sympa, Le Krach a eu lieu, ce qui va suivre sera pire sauf si...

[4] Ce qui est essentiel ou ne l'est pas est un débat en soi, et qu'il faudra provoquer après cette tempête, mais citons par exemple : tous les secteurs du soin, leurs fournisseurs, l'énergie, l'eau, l'alimentation (sa production, livraison, stockage et distribution), le retrait et traitement des déchets, les pharmacies, pompiers, certains transports, l'acheminement de carburant, les services à domicile, sites classés Seveso, télécoms, certains médias, services de paiement, versements des allocations, soutiens social, etc.

[5] Il faut ouvrir les comptes de l'entreprise pour vérifier cela, ce que les syndicats peuvent faire. Il faut également aller plus loin et vérifier si les propriétaires de l'entreprise n'ont pas les moyens sur leur patrimoine accumulé.

[6] Pour l'instant il y aurait déjà  500 000 demandes, et il devrait y en avoir 1 million.

 cadtm.org

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