31/03/2020 tlaxcala-int.org  7 min #171350

L'Inde confine totalement son 1,3 milliard d'habitants - Par Carole Dieterich

Coro­na­vi­rus : La distan­cia­tion sociale, une blague cruelle pour les habi­tants des bidon­villes hima­layens

 Joydeep Gupta जॉयदीप गुप्ता

Entas­sés dans de minus­cules maisons sur des bandes de quelques mètres de large, les habi­tants des bidon­villes confron­tés à la pandé­mie de Covid-19 se demandent comment ils peuvent se tenir à distance les uns des autres.

Ganj Road, Shimla, Himachal Pradesh : quelle distance ?

« À combien s'élève cette distan­cia­tion sociale dont le Premier ministre ne cesse de parler ? » demande Sumita Singh. « Il veut que nous gardions une distance mini­male d'un mètre. Regar­dez notre maison. Six personnes vivent dans une maison de cinq mètres de large et trois mètres de profon­deur. Pouvons-nous pratiquer cette distan­cia­tion sociale ? » L'Or­ga­ni­sa­tion mondiale de la santé met désor­mais l'ac­cent sur la « distan­cia­tion physique » plutôt que sur la « distan­cia­tion sociale », mais pour Singh, les deux sont tout aussi impos­sibles.

Singh prend en photo, avec son télé­phone, sa maison exiguë, puis sort de chez lui, montrant une allée non pavée d'à peine un mètre de large, bordée de maisons simi­laires, où se tient une file de femmes.

En arrière-plan, une colline boisée où ces habi­tants d'un bidon­ville de Shimla s'ap­pro­vi­sionnent en eau, 30 minutes par jour. « Heureu­se­ment, il a plu », explique Sunnita, « et la file d'at­tente pour l'eau, que vous voyez, est plus petite que d'ha­bi­tude. Vous pouvez consta­ter que la plupart des gens portent des masques. Nous savons pour le Coro­na­vi­rus. Nous savons à quel point cette mala­die est dange­reuse. Nous savons que nous devons nous tenir éloi­gnés les uns des autres. Mais comment faire ? Nous avons une seule toilette commune pour toute la file, donc tout le monde doit y aller de toute façon. »

En Asie du Sud, la crainte de la pandé­mie de Covid-19 se propage des grandes villes aux plus petites, puis aux communes et aux villages, car des milliers et des milliers de travailleurs migrants ont dû rentrer chez eux. Le mari de Sunnita était vendeur dans un maga­sin de chaus­sures de New Delhi qui est main­te­nant fermé. Elle explique qu'ils ont de la chance parce que le proprié­taire du maga­sin a promis de conti­nuer à lui verser son salaire, et qu'il a réussi à rentrer à Shimla avant que toute l'Inde ait été placée en quaran­taine, le 24 mars à minuit.

Les habi­tants des bidon­villes de Shimla - la capi­tale de l'Hi­ma­chal Pradesh - et d'autres villes de l'Hi­ma­laya traversent une période parti­cu­liè­re­ment diffi­cile. La topo­gra­phie pentue fait que les bidon­villes sont ici encore plus entas­sés que dans les plaines, de nombreuses bâtisses se déployant à flanc de montagne.

Retour au pays

Sonali Thapa a étudié très dur pour sortir d'un tel bidon­ville, à Darjee­ling. Elle a étudié dans une école locale diri­gée par des mission­naires chré­tiens et s'est concen­trée sur son anglais. Après avoir terminé ses études, elle a obtenu un emploi d'hô­tesse dans un restau­rant à la mode de Park Street à Kolkata, officiellement renommée Mother Teresa Sarani.

Au cours des dix dernières années, elle a réussi à deve­nir membre de l'équipe de direc­tion du restau­rant. Elle avait prévu de faire venir ses parents, ses grands-parents et son jeune frère dans une meilleure maison d'une meilleure partie de Darjee­ling lorsque la pandé­mie de Covid-19 a entraîné la ferme­ture du restau­rant. Elle a alors pris le premier moyen de trans­port dispo­nible pour retour­ner chez elle.

« J'ai lu que ce virus se propa­geait par le biais des surfaces conta­mi­nées encore plus que par l'air », explique Thapa. « Donc, avant de quit­ter Calcutta, j'ai acheté des gants ainsi que des masques pour tout le monde à la maison. Vous savez que dans un restau­rant, nous rece­vons des four­ni­tures de partout, nous avons des clients qui viennent de partout. Il n'y avait donc aucun moyen de savoir si j'étais infecté. Et si je devais porter le virus Covid chez nous, je ne voulais abso­lu­ment pas que quelqu'un d'autre soit infecté. Je sais à quel point notre maison est petite, tout le monde est entassé dans deux petites pièces. La seule chose sûre à faire est de porter des gants et des masques en perma­nence. »

Désor­mais, elle a deux problèmes. D'abord, les gants et les masques qu'elle a récu­pé­rés à la phar­ma­cie sont censés être jetables, mais elle ne parvient pas à en trou­ver d'autres. D'où son second problème, à savoir que son père veut sortir tout le temps pour parcou­rir la ville à la recherche de gants et de masques. « Je n'ar­rête pas de lui dire que tout va bien, nous lavons les masques et les gants dans de l'eau bouillante tous les jours. Mais c'est très diffi­cile de le garder à la maison, il n'a pas l'ha­bi­tude. Certains de mes amis ont aussi les mêmes problèmes avec des parents baby­boo­mers », explique-t-elle en riant.

Comment vais-je être payée ?

Dans un bidon­ville proche de Deepor Beel à Guwa­hati, Shipra Das n'a pas le même problème avec ses parents - ils sont trop infirmes pour se dépla­cer beau­coup. Dans sa baraque au toit de briques et de tôle non cimenté, la prin­ci­pale préoc­cu­pa­tion de cette employée de maison à temps partiel dans quatre foyers de Guwa­hati est l'argent. « J'ai travaillé aussi long­temps que je le pouvais. Mais dans une maison, puis dans une autre, on m'a dit de ne pas venir. Et main­te­nant, je ne peux aller dans aucune des maisons où je travaillais - la police ne nous laisse pas y aller. Dans tous les foyers, on m'a dit que je serais tout de même payée. Mais comment ? »

Pendant ce temps, les réserves de nour­ri­ture s'ame­nuisent, comme d'ha­bi­tude. Les petites épice­ries qui appro­vi­sionnent le bidon­ville sont ouvertes, mais les prix ont augmenté. Das commençait à me parler de son inquié­tude vis-à-vis du fait que la police force les maga­sins à rester fermés depuis l'an­nonce de la mise en quaran­taine de l'en­semble de l'Inde par le Premier ministre Naren­dra Modi, puis a soudai­ne­ment mis l'ap­pel en attente. À son retour, elle m'a dit qu'elle venait de gron­der son fils adoles­cent qui voulait aller jouer au cricket dans l'al­lée.

« J'ai entendu parler du danger que repré­sente cette nouvelle mala­die. Mais à part sortir le moins possible, que pouvons-nous faire, nous les pauvres ? Il est très diffi­cile de rester enfermé dans une si petite pièce avec cinq autres personnes, surtout pour les jeunes. En plus, si nous nous trans­met­tons cette mala­die les uns aux autres, entas­sés que nous sommes, nous ne pour­rons rien faire d'autre que mourir. »

Pas seulement un problème indien

Muham­mad Naeem, 55 ans, est le chef d'une famille éten­due dans la région de Malik Pura de la ville d'Ab­bot­ta­bad au Pakis­tan. Il vit dans une maison de quatre pièces, qu'il partage avec la famille de son jeune frère, mari et femme, et trois enfants. Naeem lui-même a quatre enfants, donc 11 personnes vivent dans ce petit espace.

Naeem gagne sa vie en tant que vendeur de fruits et légumes, tandis que son frère travaille dans le bâti­ment, comme ouvrier jour­na­lier. Bien qu'il connaisse les conseils de protec­tion, il a du mal à comprendre comment les appliquer. Les désin­fec­tants sont trop chers, tout comme les masques. Il essaie d'uti­li­ser de l'eau et du savon, mais, ne dispo­sant pas de l'eau courante chez lui, doit marcher dix minutes pour trou­ver une source.

Compte tenu de l'es­pace restreint dans lequel ils vivent et de la nature de leur travail, la distan­cia­tion physique est incroya­ble­ment diffi­cile à gérer. Naeem et son frère passent la plupart de leur temps à travailler à l'ex­té­rieur, alors que l'es­pace de leur maison est bien trop exigu pour qu'ils puissent gérer sept enfants, ce qui incombe à leurs femmes pendant qu'ils travaillent. Les enfants n'ont pas de place pour jouer à l'in­té­rieur. Leur terrain de jeu, c'est la rue.

Courtesy of  Le Partage/Tlaxcala
Source:  thethirdpole.net
Publication date of original article: 25/03/2020

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