08/04/2020 legrandsoir.info  8 min #171905

Le virus est-il vraiment notre principal ennemi ?


Paul CAMÉLINAT

Après des mois de mobilisation, des gilets jaunes d'abord, puis d'un mouvement social plus traditionnel, il règne en France un étrange consensus. La guerre contre le Coronavirus n'en reste pourtant pas moins la continuation de la politique par d'autres moyens, comme disait Clausewitz, celle d'un gouvernement s'étant spécialisé dans la casse sociale.

La honteuse sortie du préfet Lallement (1) en est la splendide illustration. Le président Macron ne s'est pas trompé dans le choix des mots. Si la lutte contre le Covid-19 n'a rien d'une guerre, la peur suscitée par des interventions télévisées anxiogènes, et par des mesures dignes d'une invasion du territoire national, a permis d'obtenir l'assentiment général de la population. Mis en cage comme de la volaille, sur le modèle chinois que l'on décriait tant, le peuple français se tient enfin à carreau. Mais le virus est-il vraiment notre principal ennemi ?

Une jeunesse sacrifiée

Ce fléau, qui fut un temps présenté comme une grosse grippe, cause maintenant une grande peur. Pourtant, le taux de mortalité a été à plusieurs reprises revu à la baisse par différentes études, sur la base de la prise en compte de l'important nombre d'infectés asymptomatiques (2). Pour les générations les plus jeunes, le risque est faible. Ce sont les plus âgés, et les hommes, qui sont les plus vulnérables. Ainsi l'âge moyen des personnes décédées en Italie aurait été un temps de 79,5 ans (3).

Or la menace qui guette à présent chacun d'entre nous, et en particulier les actifs et les jeunes, est celle de la crise économie abyssale qui se dessine. L'on parle d'un taux de chômage massif qui pourrait dépasser celui de la Grande Dépression (4). Il faut imaginer des milliers de travailleurs privés d'emplois, des salaires à la baisse, des perspectives médiocres pour les jeunes écoliers et étudiants. Il faut imaginer les milliers de morts indirectes que pourrait causer une politique austéritaire, comme ce fut le cas après la crise de 2008 : 130 000 décès supplémentaires au Royaume-Uni (5) ! Le calcul n'est certainement pas simple, mais il ne peut en aucun cas se résumer à tout risquer sur une vision à court terme.

Le modèle du confinement en question

L'on nous a présenté les belles courbes de modèles mathématiques montrant à quel point il fallait "aplatir" par confinement l'évolution exponentielle de l'épidémie afin d'éviter que les hôpitaux ne soient débordés. Pourtant cette méthode de confinement a été critiquée. En France, c'est l'iconoclaste Didier Raoult qui mena la charge, en déclarant notamment : "C'est de l'improvisation sociale et on n'en mesure pas du tout les effets collatéraux." (6) Pour M. Raoult, il s'agissait d'abord d'étendre le nombre de tests pratiqués, comme l'a fait la Corée. Et comme l'a fait avec succès le professeur Andrea Crisanti, au moyen d'un dépistage à grande échelle en Vénétie. Ce dernier s'en est pris à la méthode de confinement du gouvernement italien. Il aurait fallu selon lui chercher des "cercles concentriques" et mener des études épidémiologiques afin d'identifier les agglomérats ("clusters"). "Il suffisait, affirme-t-il, de mettre toutes les ressources possibles sur les premières éruptions, comme ils l'ont fait au Japon, en Corée et à Taïwan. Mais au lieu de ça, il y a quelques jours encore, il y avait des entreprises en activité avec des milliers d'employés, à Bergame surtout, qui produisaient des biens qui ne sont pas nécessaires." (7) Malgré tout, force est de constater que le confinement a fait consensus dans la population générale. Il rassure sans doute, comme un coup de martinet sur les cuisses d'un enfant.

D'autres options existaient. Le gouvernement de Boris Johnson au Royaume-Uni a pensé dans un premier temps à une stratégie dite d'immunité collective. Le raisonnement était simple : laisser la population s'infecter tout en confinant les plus vulnérables. A partir d'un certain taux de personnes immunisées (généralement évalué à 60% de la population), le reste du groupe le devient lui aussi. Sous la pression de médecins, M. Johnson a été contraint de céder. Pourtant, face à la perspective d'un effondrement de l'économie, le modélisateur en chef de l'épidémie pour le gouvernement britannique, le professeur Graham Medley, a de nouveau averti que cette stratégie pourrait être la seule viable. D'après ses modélisations, le simple fait de faire revenir les gens au travail ou à l'école pourrait causer une résurgence du virus (8). C'est aussi l'argument avancé par le gouvernement suédois, qui continue à résister à la tentation d'un confinement généralisé. L'épidémiologiste d'Etat Anders Tegnells a ainsi pu critiquer les données émises par le Royal College à l'encontre de la stratégie d'immunité collective des Britanniques, et déclarer : "Je pense simplement qu'il n'y a pas de connexion réelle entre les confinements, la fermeture des frontières, la fermeture des écoles et le fait d'être plus en sécurité."(9) Le débat semble légitime, mais force est de constater que la France n'y a pas droit.

Manque de démocratie

La faute est d'abord imputable à nos institutions. Depuis la réforme de la durée du mandat présidentiel introduite par Jacques Chirac en 2000, les membres de l'Assemblée nationale sont élus peu après le Président de la République. Ce dernier a donc un parlement à ses ordres, l'opposition se trouvant mécaniquement affaiblie. Aussi n'est-il pas étonnant de voir avec quelle facilité M. Macron a pu introduire un état d'urgence éteignant en grand nombre les libertés fondamentales (10) et menaçant le droit du travail (11). Voila la Vème République faible de sa rigidité, incapable de s'adapter assez vite aux problèmes de l'heure, et jetant la France sur les rails des "démocraties illibérales", extrême-droite à l'affût.

Les deuxièmes responsables sont les chefs du mouvement social, journaux, partis et syndicats. Ils se sont rangés derrière le gouvernement pour assurer qu'il fallait la sécurité sanitaire à tout prix. Eux non plus n'ont pas voulu voir la crise économique arriver. Elle est pourtant indissociable de la crise sociale, et peut-être tellement plus grave. "Il faut remettre la France au travail", affirmait Charles Tillon le 10 juin 1940. N'est-ce pas aussi vrai de la situation actuelle ? Prétexter défendre la santé des salariés en faisant cesser le travail vaille que vaille, n'est-ce pas emmener tout le pays, et le monde, dans une sorte de suicide social dont seules les classes supérieures sauront se tirer indemnes, comme trop souvent ? On le voit déjà aux Etats-Unis, où presque tous les membres des classes supérieures ont pu conserver leur emploi ou s'adapter en télétravail (12) ? N'est-ce pas laisser au gouvernement l'opportunité d'avancer ses pions, de manière définitive ? Triste mouvement social conquis par l'éthique du "care" : "Prenez-soin de vous !". Voilà la doxa commune aux mouvements progressistes et aux banques et assurances. Il faut dire pourtant, une fois encore, ou plutôt à nouveau, que les travailleurs n'ont à perdre que leurs chaînes.

La fin du bac

C'est l'éducation, à vrai dire, qui illustre le mieux la débâcle et le sacrifice d'une génération. M. Blanquer a pu avoir la peau de la vieille citadelle républicaine en imposant un contrôle continu, avec la complicité du SNES-FSU, lequel s'était pourtant opposé jusque-là à la démarche. Pensent-ils sérieusement qu'en aidant M. Blanquer à enfoncer cette porte, ils parviendront à la refermer ? "Situation exceptionnelle" disent-ils ! Le bac fut pourtant tenu dans les journées exceptionnelles de juillet 1940, et la jeunesse résistance de France ne tournait pas casaque face à la milice à l'été 1944. Elle allait au bac ! (13). Qu'espéraient-ils au juste, ces syndicalistes ? Se dorer la pilule sur les plages au mois d'août, alors que l'on estime que les mesures de "distanciation sociale" pourraient durer des mois ? Qui en paiera le prix, sinon les élèves ? Ceux des milieux populaires d'abord, qui n'ont pas été assidus aux "cours à distance". Tous ces jeunes aussi, qui auraient pu tenter leur chance lorsqu'ils ne leur en restait guère, comme l'a rappelé si justement la CGT éduc'action (14). Etait-ce comme ça que pouvait s'imaginer Marc Bloch la fin du bachotage ?

Paul Camélinat

Sources :

(1)  humanite.fr
(2)  thelancet.com(20)30243-7/fulltext
(3)  leparisien.fr
(4)  theguardian.com
(5)  theguardian.com
(6)  leparisien.fr
(7)  open.online
(8)  dailymail.co.uk
(9)  news.sky.com
(10)  blogs.mediapart.fr
(11)  marianne.net
(12)  washingtonexaminer.com
(13)  vousnousils.fr
(14)  cgteduc.fr

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