26/04/2020 logic.ovh  12 min #172951

Le phénomène de l'évolution

Comment serait le monde sans l'homme (qui se bat)

La crise hystérique actuelle montre un monde défait des hommes, au ciel bleu et pur, aux étoiles plus brillantes que jamais, à la verdure sauvage et aux animaux heureux de vivre.

C'est une occasion unique de faire monter à la conscience des hommes les principes théoriques tels que ceux qui devraient, normalement, présider à chacun de ses choix : c'est à dire de savoir imaginer comment seraient les choses si elles étaient autrement.

Ici nous avons devant nos yeux la réponse à la question du Comment serait le monde si, une fois pour toutes, oui ! c'est sûr ! le peuple a gagné !! Tous les politiciens ont été évincés, et les gouvernements ne visent plus que la paix et la coopération ! Il n'y a plus de combat, de bagarre, de concurrence, de recherche effrénée de survie au détriment des autres ! On peut dire que ça y est - dans les apparences du moins - on a un avant-goût du succès de la révolution humaine !

Le calme dans les rues, c'est normal !
Les gens disciplinés et chaleureux, c'est normal !
La nature sauvage qui se développe sans perturbation ou interférence humaine, c'est tout ce qu'il y a de plus normal !

Bien que toute cette vision soit encore fantasmatique, irréelle, et provisoire, le destin nous en a donné un avant-goût. C'est vraiment d'une curieuse ironie, parce que, premièrement, nous n'avons fait que des erreurs pour en arriver là, et deuxièmement, parce que la mentalité toute entière de l'humanité consiste précisément à, d'abord, agir d'instinct sans réfléchir aux conséquences, puis ensuite décorer ces motifs d'action par des raisons complètement idéalisées, des slogans comme je les nomme, qui viennent après l'action et non qui les président réellement.

Cela fait que toute notre vision du monde est factice, imaginaire, publicitaire.
Et cela procède de ce que (j'ai traité dans le précédent article) on cherche les choses qu'on juge les meilleures sens avant chercher comment sont les choses, à l'origine, avant même que notre avis et nos opinions n'aient le moindre influence sur elles. Or pourtant, comment définir ce qui est "le meilleur pour nous", si on ne passe pas un certain temps à observer comment sont les choses, dans la réalité ?

Le chemin évolutif consiste donc à poursuivre des chimères pour découvrir la réalité.
Ensuite de quoi, ces nouvelles définitions certifient ou injustifient les nouvelles chimères qu'on peut s'autoriser à poursuivre.

Le schéma de la réussite : comment interagissent les paradigmes et les situations

La première chose que les citadins ont faite sitôt le confinement terminé, aura été, je crois crois que c'est l'image la plus flagrante du monde en ce moment, d'aller faire la queue au McDo.

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Peut-être que de nombreux restaurants étaient ouverts et sans aucun client à côté, parmi lesquels certains qui proposaient des sandwiches au pain et aux légumes Bio deux ou trois fois moins cher que ces des McDo qui eux sont emplis de pesticides, d'hormones, d'antibiotiques, d'OGM, de cancers animaux (mais oui), sans compter l'ingrédient secret qui fait le goût addictif du McDo, ni le fait que les repas soient calculés pour être non-nutritifs par stratégie commerciale.

Et les mecs faisaient la queue en voiture sur plusieurs kilomètres par un temps gris, ravis de revoir la lumière du jour.

Alors que pendant deux mois il avait fait un soleil splendide (mais qu'ils étaient enfermés chez eux).

Pendant cette pause, se posait la question "Quel monde viendra après ? Est-ce que tout va changer ? Quel nouveau monde est en gestation dans les bas-fonds de la pensée humaine ?
Les analystes disaient, soutenus du fond du cœur par tout le monde, autant ceux qui étaient déjà éveillés que ceux qui venaient d'ouvrir les yeux : "Nous sommes à un tournant historique", "La crise a montré au grand jour l'inanité du capitalisme", "La crise est l'opportunité pour les peuples de reprendre leur destin en mains", etc etc.

J'aimerais apporter une vision optimiste de cette situation mélodramatique.
Il ne fait pas considérer les choses comme étant ce qu'elles paraissent être, figées, définitives, et définissantes de l'ensemble de l'humanité. Ceci est un soubresaut, une pulsion. Elle est symptomatique. Franchement on ne saurait refuser à un vieillard qui vit ses derniers instants un petit plaisir qui lui aura apporté tant de joie, à l'époque de son innocence et de son ignorance. L'homme est fait de rêves.

Il faut inscrire cet instant dans une plus large articulation historique.

*

Quand on poursuit un objectif, on opère une décision qui est destructive, car réductrice de la réalité. La poursuite d'objectif, le fait "d'atteindre un but", qui est le paradigme du footballeur dont les "coaches" vont s'immiscer dans tous les domaines de la vie, professionnelle, sportive, politique, psychologique, est un paradigme primitif dont l'usage n'est positif que lorsqu'il s'agit d'opérer des tris, des classifications, d'ordonnancer la réalité afin d'en avoir une vision un peu plus spécialisée. C'est le propre de l'homme que de vouloir catégoriser la réalité ; c'est ainsi qu'est né le langage. Et d'ailleurs [c'est logique que] le langage souffre énormément du "coaching".

Mais à un niveau plus élevé, le langage n'a pas besoin d'être utilisé. L'homme est un être d'émotions, et aucune poursuite d'objectif n'a jamais pu procurer de grandes émotions, à moins qu'elles soient embellies ou fictives, symboliques et purement imaginaires. Oui, des émotions imaginaires, ça existe.

Toutes les autres émotions que celle du "succès", qui lui consiste à être reconnu par ses pairs, et qui n'implique que l'égo, les émotions comme la foi, l'aventure, la liberté, la sagesse et le savoir (qui sont des émotions), la paix, l'amour, l'empathie, la fierté pour les autres, etc... toutes ces émotions ne relèvent pas du paradigme de la réduction de la réalité, mais de son développement.

Et pour qu'une fleur pousse, qu'un arbre grandisse, qu'une forêt s'étende, que l'humain apparaisse, et qu'une civilisation s'envole vers les étoiles, le paradigme à l'œuvre est celui, au contraire, de la vie, de l'organisation, de l'équilibre et de l'harmonie [pou reprendre les termes de Jorge Majfud].

Le premier chemin est celui de l'action en poursuivant des buts fictifs et imaginaires, et dont les effets indésirables sont si nombreux qu'ils forcent l'objectivité, à un moment ou à un autre, à admettre que la méthode choisie sans trop y prêter garde pour atteindre ces buts, était complètement idiote.

Le second chemin consiste à chercher à obtenir, quels que soient les objectifs multiples, nombreux, cumulatifs, et systémiques, un résultat dont l'observation attentive et dépassionnée correspond à ce qui aurait pu être un but fixé ou désirable, même si, potentiellement, il ne l'a pas été.
C'est à dire que grâce à la méthode de la recherche par émergence, on s'autorise également à obtenir des résultats positifs auxquels on n'avait même pas pensés.

Le sursaut d'une crise et le retour en arrière impossible

Au moment où l'humanité vit une crise existentielle, sa première pensée a été d'imaginer un monde meilleur, et son premier réflex a été de retourner à l'ancien.
Mais entre les deux il s'est produit une opération alchimique invraisemblable, et complètement invisible, que pour l'instant personne n'a vue.
Les objectifs, les rêves et les aspirations auxquels sont associés, par réflexes conditionnés, des actions absurdes, ont une durée de vie plus grande que les inconvénients du quotidien. Ils s'embellissent avec le temps, tandis que les procédures, les méthodes, et les obligations, elles, disparaissent dans l'oubli.

Et si, pendant un siècle entier, l'humanité avait poursuivi des songes et des idéalités, et qu'elle se retrouvait bloquée dans une voie sans issue, ses songes et ses idéalités n'en mourraient pas.

Et au moment de revenir à "comme c'était avant", ce qui fut une émergence devient un but, périssable à court terme, tandis que ce qui furent des buts, deviennent une émergence, un monde, un résultat observable concrètement. Peut-être que les gens retournent au McDo pour bien s'assurer que le rêve a totalement disparu. Pour naviguer ivre sur un parking abandonné sous la pluie, ayant quitté pour cela un paradis vert et bleu.
C'est très nostalgique.

Ce qu'il se passe est très simple en fait :
- L'humanité agit selon à peu près n'importe quelle méthode, la première qui lui tombe sous la main, pour faire ce qui lui semble correct (à ce stade ni la méthode ni les objectifs ne sont concrets) ;
- L'humanité découvre des slogans avec lesquels décorer et embellir ses actions, des slogans tellement beaux qu'ils en arrivent même à être en contradiction flagrante avec les faits ;
- L'humanité se plante dans une voie sans issue, n'ayant rien vu venir de ce qui allait lui arriver alors que pourtant c'était évident ;
- L'humanité se retrouve seule dans le néant, ayant tout perdu, ses espoirs et sa réalité ;
- Les rêves s'embellissent, et la réalité disparaît ;
- L'humanité a une deuxième chance de reprendre son destin en mains ;
- Munie de ses rêves et de ses aspirations, ayant critiqué ses méthodes absurdes, elle cherche à en définir de nouvelles.

Mais là, en prime, s'opère une évolution qualitative de sa gnoséologie : l'on distingue les buts et les méthodes comme des actes qui précédemment étaient confondus, on ne garde que les buts, et on révise les méthodes en fonction de ces buts réels et non imaginaires. L'évolution se produit au moment où il devient question, avant de se lancer dans la recherche de méthode, de réviser et définir concrètement les buts poursuivis.

Car si les énonce clairement les buts réels, alors les méthodes coulent de source. Ce n'est même pas une difficulté. Le plus difficile est bien d'établir des buts concrets et valables ; c'est à dire des slogans rationnels et atteignables, et vérifiables ensuite.

Mieux on peut parler de stratégie quand on s'aperçoit, philosophiquement, que la principale erreur qui a été faite dans le passé était justement de croire que poursuivre des buts allait faire atteindre des rêves. Et non, ce n'est pas le cas, et justement, c'était cela l'erreur.

Le retour en arrière est dès lors impossible, car c'est l'évolution a fait son œuvre ; les choses ont changées, y compris la perception de la réalité.
Et quand la vision du monde change, le monde change.

Comment on peut ne plus avoir d'idées, ses avantages et comment en sortir

On pourra se rappeler avec nostalgie, peut-être d'ici quelques temps, comment et pourquoi l'humanité s'est retrouvée dans une voie sans issue, sans plus d'évolution possible, sans plus de rêve valable et fédérateur, sans plus d'idées sur le Comment faire.

Après avoir épuisé tous les buts louables, tous les slogans, et tous les artifices pour croire en une quelconque et fade "normalité", il faut bien se rendre à l'évidence selon laquelle le problème n'est pas dans les méthodes ni dans les buts, mais dans la stratégie d'émergence d'une réalité qui soit convenable.

L'avantage de vivre sans imagination, c'est de pouvoir se concentrer sur les méthodes, en gardant en arrière-plan de sa pensée les buts et les aspirations nobles qui président à caque action de la vie quotidienne. Et l'avantage des périodes extraordinaires, comme il y en a quelquefois dans la vie de chacun et comme il y en a une fois dans toute une vie, qui concerne toute la planète au même moment, c'est de perdre son aptitude technique et d'en acquérir une nouvelle, philosophique.

Sortir du Nietzschéen

Dans  l'article de Jorge Majfud qui me sert de support pour cette réflexion, les hommes, gouvernés par l'appétit du gain personnel, lorsque cette procédure se généralise, conduit l'humanité à se dévorer elle-même, en croyant sans doute à la loi du sacrifice des plus faibles pour la survie des plus forts, comme une sorte d'ombre ou de comédie de ce que devrait vraiment être une pensée sociale.
Mais ce n'est qu'un enseignement.

Quand on fait partir sa réflexion de cette pensée, en revenant dans le monde après un périple épique, on place la pensée sociale à la fois comme commencement et comme finalité de l'action des hommes. On grandit.

La séquentialité des événements est brisée. La symétrie est rompue. La rationalité cartésienne occidentale en prend un coup. Les choses ne sont pas linéaires et statiques, mais polymorphes et dynamiques.
Les buts et les méthodes émergent l'une de l'autre, et tout cela doit être guidé par une aspiration, et par des lois morales universelles, qu'on découvre comme étant universelles.

Elles ne peuvent s'appliquer conditionnellement, se mériter, ou résulter d'autres procédures, elles doivent être présentes partout, à tous les étages, à toutes les échelles, de façon invariante.

Chaque chose engendre des conséquences, et ce qui prime finalement, pour avoir une quelconque posture valable sur la nature des conséquences qui sont, objectivement, peu prévisibles, est d'avoir eu dès le départ une approche éthique, morale, et un esprit bienfaiteur. C'est seulement à cette condition que les chaînes de conséquences ont une chance de conduire à un monde qui soit, ne serait-ce que sur le plan technique, viable.

Et, allant contre ses instincts primaires, l'homme n'est plus gouverné par eux, mais préside, chapeaute, et inaugure un monde nouveau, dont la responsabilité n'est plus que celle de bonnes choses qui pourraient arriver.

C'est vraiment très simple, comme philosophie, comme paradigme, et comme façon de penser.
C'est l'esprit dans lequel on fait les choses qui concrétise le monde tel qu'il doit devenir.

Épilogue

On découvre l'esprit dans lequel on fait les choses, en observant les résultats de ses actions. Leur vraie nature philosophique et morale s'exprime physiquement : pollution, stress, maladie, perte de temps, aucune maîtrise des conséquences...

On mesure scientifiquement les effets de l'avarice, de la luxure, de la gourmandise, pour nommer ainsi le cumul de des actions qu'ordonne tout un système social. Ce sont des erreurs qui montrent comment on peut oublier une échelle de mesure en étant obstiné que par une autre, plus petite, ce qui rend impossible l'accomplissement de la première. Ô comme c'est stupide.

Comme je disais au début, ce qui manque, ou manquait à l'humanité était de pouvoir faire des comparaisons entre la réalité obtenue telle qu'elle existe, et une autre réalité telle qu'elle pourrait exister, potentiellement. Avoir cet imaginaire, cette capacité d'imaginer les choses de façon concrète, mentale, mais vérifiable dans la réalité, est, à la fois :
- ce que les gens croyaient déjà savoir faire naturellement sans aucun effort ;
- ce que l'humanité vient de découvrir qu'elle devait apprendre à faire.

On parle de ce mot toute l'année, il est suranné, vidé de sa substance, mais au fond cette capacité à imaginer le monde, à concevoir des émergences grâce à la puissance de son seul esprit, est le propre, le but et la raison, la justification, la méthode et les moyens de la liberté.

 logic.ovh

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