Ali Abunimah soutient la solution à un Etat unique en Palestine/Israël, et moi également. Il se dit optimiste..., j’aimerais l’être aussi, mais je ne suis pas sûre de le pouvoir.
Près de Belthéhem, des soldats israéliens arrêtent un Palestinien qui manifestait contre la construction d’une nouvelle colonie en Cisjordanie - mai 2008(Luay Sababa/MaanImages).
Au début de ce mois, j’ai eu le privilège d’écouter Ali Abunimah lors d’un dîner organisé par un groupe de militants australiens pro-palestiniens. Abunimah, écrivain et co-fondateur de The Electronic Intifada, soutient la solution à un Etat unique en Palestine/Israël, et moi également. Un Etat démocratique et laïque pour les deux peuples, avec un droit au retour pour les réfugiés palestiniens représente l’unique solution à ce long conflit entre Israël et les Palestiniens. Abunimah se dit optimiste quant à cette possibilité. J’aimerais l’être aussi, mais je ne suis pas sûre de le pouvoir.
D’avoir grandi en tant qu’Israélienne m’a apporté une compréhension approfondie de la psychologie israélo-juive. Du plus loin que je me souvienne, à nous, en Israël, on nous a dit que les Juifs n’avaient nulle part ailleurs où aller parce que le monde n’aimait pas les Juifs. Dix-sept ans plus tard, alors que mon ex-mari et moi étions sur le point d’émigrer en Australie, la plupart des gens que nous connaissions étaient consternés par notre décision. On m’a dit souvent que je faisais une grosse erreur. Mon cardiochirurgien de père, par exemple, a été complètement choqué quand il a appris la nouvelle. Il m’a prise à part et m’a dit qu’il ne comprenait pas comment je pouvais partir ; que jamais lui ne serait prêt à vivre là où il y aurait un antisémite en vie. Comme beaucoup d’autres, il croyait que les Juifs ne pouvaient vivre en sécurité qu’en Israël.
Cette idée qu’Israël est le seul endroit sûr pour les Juifs est essentielle pour comprendre les racines du conflit israélo-palestinien et la politique d’Israël, ainsi que les perspectives dans le présent. Une majorité du peuple juif ne fait pas confiance aux non Juifs en tant que compatriotes à vie. L’expérience et le récit culturel leur ont appris que depuis l’antiquité, les dirigeants et les gouvernements, aussi bien que les populations, pouvaient se montrer brusquement hostiles aux Juifs. C’est-à-dire que, peu importe le temps qu’ils ont pu vivre à tel ou tel endroit, peu importe s’ils ont été discrets ou s’ils se sont bien intégrés, ou peu importe la contribution qu’ils ont pu apporter à leur société, les choses peuvent se retourner contre eux du jour au lendemain.
Quand on voit, en Europe, l’histoire des persécutions, des pogroms, des lois discriminatoires, des expulsions, des ghettos, médiévaux et contemporains, et ce projet méthodique d’anéantissement total au sein de ce qui était considéré comme un pays européen éclairé, il est difficile de reprocher à ces gens d’avoir un sentiment d’insécurité.
Israël n’est pas né en 1948, ni suite à l’Holocauste. Ses origines sont dans le sionisme, le mouvement national juif qui est né à la fin du 19ème siècle. Le sionisme voulait mettre fin à la situation précaire des Juifs européens en créant un Etat exclusivement juif. La logique était simple : si les Juifs ne peuvent être sûrs d’être inconditionnellement les bienvenus ou en sécurité dans les pays où ils vivent, alors il leur faut leur propre Etat. Ce qui veut dire un Etat gouverné uniquement par des Juifs et, pour une grande part, libéré de la population non juive. La localisation du « foyer national juif » a été débattue au début, mais finalement, tout le mouvement sioniste a choisi la Palestine à cause de la signification spirituelle qu’elle représente pour le peuple juif. Le fait que la Palestine était peuplée était un fait connu et publiquement reconnu par les dirigeants du mouvement sioniste. L’opinion dominante était que c’était regrettable mais que le projet de créer un foyer national pour le peuple juif ne pouvait être abandonné car les Juifs en avait un besoin urgent.
Les sionistes ont toujours cru que la peur juive justifiait le nettoyage ethnique. L’idée de transférer ailleurs la population non juive existant en Palestine - les Palestiniens - pour faire la place à un Etat exclusivement juif existait bien avant 1948. Le mot « transfert » est entré dans l’hébreu moderne comme un euphémisme pour « nettoyage ethnique », une idée ou un projet pour déplacer massivement la population palestinienne ailleurs, aussi loin que possible des frontières d’Israël.
Le nettoyage ethnique de la Palestine a commencé en 1948, derrière l’écran de fumée qu’a été la guerre, mais il n’a pas été conduit à terme. Non seulement il se poursuit aujourd’hui mais des universitaires israéliens comme Ilan Pappe pense qu’il s’intensifie. L’idéologie sioniste est directement à l’origine de la charte de l’Israël d’aujourd’hui. Essayer de comprendre la dynamique du conflit israélo-palestinien ou d’analyser le comportement d’Israël sans comprendre cette charte ne peut que conduire à l’erreur ou à plus de confusion et d’incompréhension.
Etant donné qu’on part de la conviction que le peuple juif ne peut être en sécurité que dans un Etat exclusivement juif, la charte d’Israël est simple. L’existence d’Israël s’impose pour assurer lui-même un havre pour tout le peuple juif. Sur la base de leur expérience passée et des récits nationaux et religieux, les Juifs sont profondément convaincus que ce n’est qu’une question de temps pour que la chance, une fois de plus, se retourne contre eux. Quand (et non « si ») cela arrivera, l’Etat d’Israël sera là pour les recueillir tous et les sauver. J’utilise le pronom « ils » et non pas « nous » car personnellement, je ne suis plus attachée à ce récit et j’ai choisi de ne pas vivre ma vie dans son ombre. Cela est considéré par beaucoup d’Israéliens comme de la naïveté voire de la folie. Mais j’ai décidé de tenter ma chance dans un monde plus vaste car je ne crois pas pouvoir vivre une vie pleine et apporter ma contribution au monde si je vis dans un état de peur permanent.
Le développement de l’Etat d’Israël et le comportement d’Israël dans la région ont toujours été cohérents avec sa charte. Israël considère qu’il lui faut autant de terres et de ressources naturelles que possible (telles que l’eau qui est limitée dans la région) afin de satisfaire les 13 millions de Juifs qui sont censés venir des quatre coins du monde « quand » une nouvelle ère de persécutions aura commencé. Israël doit s’équiper d’assez de logements, d’infrastructure et avoir une économie fonctionnelle. Il doit être un Etat moderne dans lequel les Juifs occidentaux habitués à la technologie, au capitalisme et à l’abondance se sentiront à l’aise. Il n’y a rien d’incohérent ou d’étrange dans ce que fait actuellement Israël aux Palestiniens si vous comprenez cette charte. Ce qui m’étonne, c’est que ce ne soit jamais discuté ouvertement dans aucune des analyses politiques dont j’ai connaissance.
Le cœur de ce conflit n’est pas l’économie, le pétrole, « la guerre contre le terrorisme », la religion ou les diverses allégeances régionales. C’est plutôt cette vieille psychologie de la persécution et de la survie à laquelle toutes les autres considérations sont subordonnées. Les allégeances d’Israël sont d’ordre pratique. Il n’y a pas de grand amour pour aucune autre peuple ou pays. Les Israéliens pensent toujours en terme de ce qui est bien pour les Juifs et de ce qui ne l’est pas, et ils regardent le monde attentivement à travers ce prisme. Les enfants israéliens apprennent à voir la vie sous cet angle à un très jeune âge. J’étais ainsi lorsque j’étais jeune.
Ce n’est que lorsque l’on a saisi cela qu’on peut comprendre pourquoi les négociations avec Israël paraissent si vaines ; pourquoi Israël n’a jamais arrêté la construction de ses colonies sur le territoire palestinien et qu’il a constamment agrandi son territoire ; pourquoi il rend la vie des Palestiniens à l’intérieur et à l’extérieur d’Israël aussi incroyablement infernale ; pourquoi il les restreint sauvagement à des territoires toujours plus réduits et pourquoi Israël répond à la résistance palestinienne avec une telle violence disproportionnée et écrasante. Briser la résistance palestinienne est essentielle du point de vue d’Israël non seulement pour le mal que la résistance armée palestinienne cause en Israël, mais encore pour détruire, chez les Palestiniens, toute aspiration qu’ils pourraient avoir pour revenir sur leurs terres ancestrales. Israël ne peut tout simplement pas se le permettre s’il veut rester un Etat exclusivement juif.
Israël est un pays fondé sur des considérations racistes, à cause de sa charte même, et les circonstances à travers lesquelles il a vu le jour. Du point de vue des Israéliens, accepter l’idée d’un Etat unique serait changer Israël en un autre pays où les Juifs vivraient au milieu de non Juifs. Toute l’idée du havre juif devrait être abandonnée et il n’y aurait aucune garantie pour que le nouvel Etat pluraliste accueille les Juifs si jamais ils ont besoin de secours. Les Juifs israéliens et de nombreux sionistes à travers le monde croient que leur demander de vivre ensemble avec le peuple palestinien, c’est leur demander de revenir à une situation d’insécurité et de victimes potentielles. Tout simplement, ils ne pensent pas que cela soit raisonnable, et par conséquent, ils n’accepteront jamais d’eux-mêmes une solution qui compromettrait leur sécurité. C’est l’une des raisons pour lesquelles les sionistes s’opposent à toute critique d’Israël et qu’ils crient à chaque fois à l’antisémitisme. Ils croient vraiment que mettre fin à un Etat exclusivement juif laisserait tous les Juifs du monde exposés à un nouvel Holocauste possible.
Il est clair pour moi que si justice doit être rendue aux Palestiniens, cette idéologie basée sur la peur, raciste et immorale, doit être vaincue car la peur ressentie par un peuple ne peut pas et ne doit pas justifier la destruction d’un autre peuple. Mais je ne crois pas que les Palestiniens puissent se permettre d’attendre jusqu’à ce que la psychologie juive se change d’elle-même et que les Juifs se sentent suffisamment en sécurité dans le monde et acceptent de renoncer à l’idée d’un havre réservé aux Juifs.
Je croix qu’il faudra de sérieuses pressions internationales exercées sur Israël, ou un vrai changement de sentiment de la part des Israéliens pour qu’une solution à un seul Etat devienne réalité. J’aimerais être optimiste et croire que ce changement de sentiment se produira à l’avenir, mais je ne suis pas sûre de le pouvoir. Mes doutes viennent de ma propre expérience - après tout, ce fut ma propre psychologie à moi aussi. Ainsi, afin de sauver le peuple palestinien, le monde doit prendre des mesures décisives dans ce conflit, comme il l’a fait en Afrique du Sud, ou alors il continuera de sacrifier un peuple pour le salut d’un autre.
Avigail Abarbanel a été citoyenne israélienne et est psychothérapeute dans le privé à Canberra, Australie. Elle peut être jointe à l’adresse : avigail@netspace.net.au ; son site : avigail.customer.netspace.net.au.
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