On a beau faire du mieux qu'on peut, il arrive au cours du processus évolutif que cela devienne insuffisant.
Les humains ne font du mieux qu'ils peuvent que lorsqu'ils y sont poussés, mais le rythme de croisière est en-deça de cet effort, de sorte qui reste comme une marge de manœuvre. Ce rythme est idéal ; légèrement forcé, le temps de se lancer dans l'action, pour qu'ensuite elle devienne habituelle et paisible. Comme on dit, l'appétit vient en mangeant. Pour les entraînements sportifs, c'est pareil, au début il faut se forcer un peu, mais ensuite ça tourne tout seul.
Tout système embarque avec lui son degrés d'activité consacré à maintenir l'état du système à un stade évolutif nul. C'est à dire que le système ne progresse ni ne régresse. En général on veille à ce que la maintenance du système soit un pourcentage le plus faible possible de son activité. Par exemple s'il faut bâtir un immeuble ou un pont, une fois qu'il est fabriqué et flambant neuf, il faut le encore maintenir dans en état. Le reste de l'énergie dépensée consistera à tout ce qu'on peut faire grâce à cette bâtisse. Dans ce cas l'énergie consacrée à la maintenance est minimale. En particulier pour une telle classe d'objets matériels inertes, on ne s'attend pas à ce qu'ils évoluent, mais seulement à diminuer la vitesse à laquelle ils se dégradent, jusqu'au point de perdre leur fonctionnalité principale.
Dans le cas du système social, on est en présence d'un schéma qui est alarmant, puisque l'essentiel de l'activité humaine, forcée au maximum, d'en travail harassant, du pillage des ressources, et de la surconsommation outrancière, ne suffisent plus à maintenir le système capitaliste en état de fonctionnement. Le système se dégrade inexorablement. Il n'y a plus de marge de manœuvre pour impulser une évolution positive.
Et quelle serait cette évolution positive ? Si ce n'est l'assomption des principes et des prédicats du capitalisme, selon lesquels la main invisible du marché se chargerait de produire le bien commun, par un simple calcul d'évidence, qui consiste à dire que l'offre et la demande sont toujours forcément dirigés dans la bonne direction.
Aujourd'hui ce système est cassé, parce que les objectifs poursuivis s'avèrent inatteignables, car la méthode pour les atteindre est fallacieuse. Il n'y a donc pas d'évolution positive à espérer du capitalisme, qui consiste à confier la décision de l'investissement [ce qui doit exister] aux possédants, qui sont supposés avoir fait leurs preuves en terme de savoir-faire.
Ce sont autant les prédicats que les méthodes qui doivent être révisés, ainsi que toute la somme de présupposés qui vont avec, tels que celui que nous venons de voir selon lequel le possédant serait forcément quelqu'un de confiance. Car il suffit d'être un voleur de haut vol pour passer pour une personne de confiance. Il suffit d'avoir des billets pour qu'on nous donne tout ce qu'on veut, y compris pour outrepasser allègrement les lois. Et de même, les producteurs de biens et services font reposer leur confiance sur une monnaie dont la création est hors de leur contrôle. Toute la confiance sur laquelle repose le système est mise en doute.
Et dans sa phase déclinante, le crime paie, la fortune qui s'en dégage est vénérée, et pendant que les gens continuent à croire en ce système, le crime devient le principal business du monde. Le business du mal est un secteur dans lequel tout reste à faire.
*
Le fait est que le système tel que je le décris n'est qu'une partie du problème, puisque l'engrenage culturel qui s'immisce dans le psychisme a fait du capitalisme un mode de vie et de pensée, et par la même, a consolidé des procédures psychologiques, qui elles aussi buttent en touche. C'est à dire que cette pensée est contrainte par l'objectivité d'admettre sa propre défaillance. Pour cela il suffit d'observer la destruction du biotope sur lequel repose la vie, et de compter le nombre de secondes qui restent sur l'horloge de l'apocalypse. Il ne reste que cinq générations à vivre sur cette Terre, et ensuite, elle sera totalement déserte et stérile. Et pourtant rien dans la pensée, dans l'approche psychologique du système social, ne peut l'en empêcher. On entend souvent les gens se plaindre de cette réalité, dire qu'il faudrait un autre système, mais aucune proposition concrète et vécue comme crédible n'arrive à naître.
Ce qui compte n'est pas d'avoir peur, comme le professent ceux qui prônent la réduction de la population pour sauvegarder le système défaillant, ce qui évite d'avoir à remettre en cause des processus psychologiques confortablement installés. Ce qui compte est de faire l'effort qui convient pour dépasser les causes de la peur, et découvrir la notion qu'il conviendra désormais de prendre en compte dans toutes nos décisions et tous nos choix, de sorte à faire plier la funeste destinée d'une humanité non-pensante, qui court à son auto-destruction. Ce qui compte est de changer les choses.
C'est le seul fait d'inclure une pensée dans ses actions, et d'en attendre des résultats, qui peut infléchir la course folle de l'humanité, vers son salut.
*
Tout système doit avoir une partie de son activité consacrée à sa propre maintenance, comme le corps au repos lorsque le cœur bat et que les cellules se régénèrent, et une partie de son activité, maximisée, consacrée à servir l'âme humaine qui réside dans ce corps. C'est cette partie additionnelle, en terme d'énergie dépensée, qui fait l'évolution ; comme dans l'exemple d'un projet collectif qui gagne progressivement en reconnaissance et en efficacité ; comme une belle entreprise, peut-on dire.
Si effectivement la civilisation était réellement considérée comme une entreprise, quelle seraient ses succès ? C'est amusant de surfer sur cette imprécision du langage, quand on voit que l'esprit d'entreprise vient s'appliquer de façon inappropriée à la gestion des pays, pour finalement produire exactement l'inverse de ce que l'esprit d'[une] entreprise [qui réussit] est sensé produire. On a presque envie de dire que le résultat obtenu, d'un succès comparable à celui d'une entreprise à succès, appliquée au devenir d'une civilisation, ne peut l'être que par des méthodes résolument opposées à l'esprit de l'entreprenariat.
Il faut dire que parmi les défaillances du système social tel qu'il existe, il y a celle, la plus flagrante, qui consiste à accorder des droits humains, notamment de propriété privée, à des groupes sociaux, et à des états, qui du coup sont en concurrence, alors qu'ils feraient mieux de travailler ensemble et de coopérer, pour atteindre des objectifs communs.
*
Et d'autre part on ne peut demander aux humains qu'une chose à la fois. On ne peut en espérer un résultat que si cette chose a un impact paradigmatique sur toute la structure du système social. Car en l'état actuel, ce n'est pas seulement lui qui arrive à un stade où il ne peut plus évoluer, mais toute la civilisation dans son ensemble. L'évolution est bloquée parce que les principes et les prédicats connus sont exploités au maximum possible. Il faut donc introduire de nouveaux principes et prédicats.
C'est ce que tente de faire par exemple l'école holistique, qui comporte en son sein toute une panoplie de conceptions du rapport à la nature, le fait de s'en inspirer, de l'écouter pour savoir la stimuler en permaculture, le fait de s'inclure dans la Nature, c'est à dire d'opposer l'immanence à la transcendance, le fait de considérer l'éducation comme un lieu du développement moral, intellectuel et humain, et non plus comme la simple acquisition de connaissance sur des bases psychiques confiées au système social lui-même, et enfin une conception d'ordre géométrique, qui met en évidence l'invariance d'échelle de l'application des lois, et tout du moins, la notion d'échelles, qui elle seule est très salvatrice pour le psychisme, puisque cela permet de relativiser toutes les affirmations, et de rivaliser avec ce qu'elles peuvent avoir de désolantes ou d'humiliantes.
Il y a donc bien tout un paradigme qui finit par naître dans les interstices inusités du système social, de toutes parts, comme des lignes de lumière qui révèlent les failles d'un mur fissuré, et qui est porteur d'une promesse pour l'avenir de l'humanité, d'un espoir, même si on ne sait pas encore comment le formaliser.
*
Comme je le disais dans un article d'il y a quelques années, sachant que j'en ai écris des milliers et que dans chacun d'eux il y a des dizaines d'idées de ce genre, ce qui fait que j'émane en permanence des dizaines de milliers d'idées, les rêves peuvent parfois avoir la vertu de faire avancer les choses. D'ailleurs on se demande souvent comment les criminels systémiques d'aujourd'hui, qui ruinent le monde pour s'enrichir de façon absurde, arrivent à dormir, ou tout du moins ne font pas de rêves qui leur explique de façon claire et troublante à quel point ils sont des criminels. C'est impossible, c'est seulement qu'ils ne le disent à personne, mais statistiquement, c'est ce qui leur arrive.
Et de même parmi ces tonnes d'idées diverses et variées, j'ai abouti à celle qui consiste, après avoir découvert des procédures fonctionnelles (pour sauver le monde) mais longues à expliquer, à conclure qu'il fallait tout réduire à une seule idée, simple, percutante, et inoubliable, qui ensuite serait le germe de toute la rénovation de la civilisation. Et qu'à partir de cette idée fixée dans l'esprit, pourrait naître par éclosion, par déduction logique, comme à partir d'un brin d'ADN, toutes les procédures et les dispositifs, puis l'infrastructure, qui rendrait possible un système social efficace, qualitativement.
Tout simplement, un nouveau prédicat, dont la précédente absence pourra être vécue comme un grave manquement.
Et c'est d'ailleurs à cette occasion que je me suis rendu compte que ce prédicat, s'il était énoncé de façon claire et "virile", n'arriverait jamais à être aussi bien assimilé par le psychisme que s'il était découvert par ses propres moyens. Et pire encore (ou mieux encore), si ce prédicat était trop subitement généralisé dans la culture populaire, il produirait des dégâts peut-être pires que les maux qu'il est sensé résoudre.
Car il est clair que sa précédente absence est une lourde accusation, et que les nouveaux détenteurs du prédicat, peu enclins à souffrir de leur faute, en reporteraient la cause à ceux qui ne sont pas encore des détenteurs du prédicat. En les assaillant, ils construiraient chez eux des défenses immunitaires psychologiques spécifiquement dédiées à lutter contre le prédicat. C'est pour cela qu'on trouve parfois des gens dont le comportement aberrant consiste à haïr le communisme, c'est à dire le fait de produire une économie d'échelle en mettant les ressources en commun, ou à haïr le socialisme, c'est à dire le fait de faire passer la collectivité avant l'intérêt personnel. Pour ces gens, la définitions de ces prédicats est simplement différente. Ils semblent comme un enfant terrorisé par le vélo après une première expérience malheureuse.
*
C'est à dire qu'en plus, ou AVEC le nouveau prédicat, il doit y avoir celui qui consiste à laisser infuser librement et harmonieusement les nouveaux prédicats. Ils ne doivent pas être vécus comme une détermination ou une résolution, mais comme des "cookies" qui sont offerts et dont le refus n'est pas une offense.
L'esprit de la liberté est sans conteste la principale matière sur laquelle l'humanité doit travailler. Elle ne peut être ni imposée ni ignorée. Elle oblige à s'extraire des antagonismes aristotéliciens qui plongent souvent les discussions dans des contradictions apparentes.
Si je voulais la définir, elle consiste (comme je l'ai fait dans mon livre) à pourvoir les autres de liberté. Ce sont les moyens que nous donnons à autrui de profiter de la liberté qui est la leur, qui fait, construit et consolide la liberté, dont ensuite on peut profiter dans une seconde itération. Donne, car ainsi tu possède, disait Lao-Tseu ; et il ne parlait pas de babioles en plastique.
Cela va bien plus loin qu'une chose dont on peut, ou doit s'emparer, parfois par la force. On voit ici les méfaits de la pensée capitaliste, qui consiste à engranger [des graines dans la grange pour passer l'hiver], à posséder, à s'accaparer, et qui a inondé toute la psychologie sociale, faisant même des luttes sociales de banaux rejouements d'une psychologie défaillante.
La liberté en elle-même consiste en l'espace qui nous est offert, ou qu'on s'offre à soi-même, pour évoluer librement, et atteindre l'état de grâce qu'est l'épanouissement, la réalisation de soi. Elle prodigue que l'humain est seul responsable de lui-même, et aussi le meilleur connaisseur au monde des raisons qui le poussent à agir. Elle permet de déléguer aux humains la responsabilité d'eux-mêmes, et de n'avoir à se justifier que lorsque leurs actes privent les autres de leur liberté.
En terme général, plus la liberté est grande et plus vite, et de la meilleure manière, on acquiert le sens des responsabilités. Car dans la liberté il y a celle de commettre des erreurs, de tester des solutions ou des idées, et de se tromper, sans pour autant faire reposer sur la réaction des autres les leçons à tirer de ses actes. C'est à dire que les victimes d'une liberté prise inconsidérément doivent par eux-mêmes retirer les leçons de leurs actes, et non subir, au risque d'attendre, puis de dépendre des réactions des autres.
En ce sens, la non-violence va de pair avec le principe de la liberté, dans la mesure où on ne peut ni ne doit reprocher un mauvais usage de la liberté d'autrui, mais seulement, au mieux, discuter paisiblement des effets et des impacts de ses actes.
Là encore, cela entre en contradiction avec une civilisation centrée sur la punition, ornée par un dieu-vengeur, qui en réalité était un subterfuge et un mensonge que l'église catholique a professé pendant des siècles dans le but de maintenir les peuples loin des préceptes prodigués par le vrai Jésus, qui justement riment soigneusement avec cette volonté de responsabiliser les gens, par la non-violence et l'usage libre de la liberté.
Agis envers les autres comme tu aimerais qu'ils agissent envers toi : et c'est ainsi qu'il tendit l'autre joue, après avoir donné son manteau et son pantalon à celui qui le lui demandait. Il n'interroge pas les raisons de l'usage de la liberté de son compatriote, ni n'est lésé dans la sienne ; il lui en laisse l'entière responsabilité, dont il, et lui seul, aura à sous-peser la justesse, afin de grandir et d'évoluer. Donne, car ainsi tu possèdes.
Le seule récompense qui vaille en ce monde est le sentiment qui se dégage de ses actes, d'y avoir contribué positivement, pour qu'à sa mort on soit fiers de ce qui a été accompli. En volant cela aux hommes, le système capitaliste les a déshumanisés.
*
Vous l'aurez peut-être remarqué, mais l'essence de ce qui oppose le deux conceptions de la liberté tels que je les ai exposés, une conception philosophique contraire à une conception matérialiste, tient à la définition de la liberté elle-même. Dans le second cas, les enfants répondent "c'est le fait de pouvoir faire tout ce qu'on veut ?" sur un ton légèrement interrogatif propre aux enfants. Dans le second cas, on prend une posture systémique (et fractale), et on inclue la liberté dans sa propre définition : "c'est celle qu'on octroie aux autres".
C'est à dire que pour définir la liberté il convient de définir le cadre qui la rend possible ; et qui justifie qu'on la nomme ainsi. On s'extraie du problème, pour mieux le cerner. Comme disait Einstein (en gros), un problème ne peut être résolu qu'en réfléchissant à un autre niveau que celui où il a été créé. À la question "qu'est-ce que la liberté ?", la réponse est "Qu'est-ce qui fait la liberté". Et après on peut même s'extasier sur "Pourquoi a-t-on besoin de liberté ?" (qui est une question transcendante, puisqu'il en va de la nature humaine, telle que conçue par la Nature).
De la même manière, la problématique du système social ne peut se résoudre par la méthode classique, dite atomique, qui consiste à analyser et définir les pièces du système existant, et de tenter de les améliorer, en espérant que cela suffise. Car faire cela revient à approuver complètement le système tel qu'il existe.
La question ne peut être résolue qu'en sortant du cadre d'analyse du système-mobylette, et de se demander quel besoin veut être satisfait par cette vieille mobylette aux pièces usées et dysfonctionnelles. Et quand les gens cherchent la richesse, quel besoin ou quelle angoisse veulent-ils combler ? Et quand les gens vont travailler, quel rêve sont-ils en train de concrétiser ?
*
Et un jour on se réveille, et on s'aperçoit du prédicat qui était présent sans le savoir dans les meilleurs de nos actes, selon lequel tout ce qui compte, est le bien qu'on a pu faire aux autres. Et toutes les nouvelles questions qu'on se pose, riment à savoir comment on peut servir au mieux le bien des autres.