22/06/2020 les-crises.fr  9 min #175763

Laissons Israël annexer la Cisjordanie : c'est la moins pire des options pour les Palestiniens

Jean Asselborn : « l'annexion de la Cisjordanie est une violation flagrante du droit international »

Source :  Der Spiegel - 12/06/2020
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Jean Asselborn, social-démocrate, est ministre des affaires étrangères du Luxembourg depuis 2004. Les questions d'immigration et d'asile ont été ajoutées à son portefeuille en 2014. Il a également été vice-président du Luxembourg jusqu'en décembre 2013.

Le gouvernement israélien envisage l'annexion de parties importantes de la Cisjordanie. Une telle mesure marquerait la fin du processus de paix au Moyen-Orient, prévient le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Jean Asselborn. Il souhaite une réponse claire de l'UE.

Israël ayant montré son intérêt pour l'annexion de grandes parties de la Cisjordanie avec le soutien du président américain Donald Trump, le conflit au Moyen-Orient menace de s'aggraver de façon spectaculaire.

Fin janvier, l'administration Trump a présenté son plan controversé pour le Moyen-Orient, qui prévoit l'annexion des colonies juives et de la vallée du Jourdain en Cisjordanie occupée par Israël. Selon son accord de coalition, le nouveau gouvernement israélien dirigé par le Premier ministre Benjamin Netanyahu et son ancien rival Benny Gantz peut prendre une décision sur l'annexion à partir du 1er juillet.

Une telle décision représenterait la violation d'un tabou politique important. Tous les gouvernements précédents d'Israël et des États-Unis ont exclu une telle mesure, car elle signifierait essentiellement la fin de la solution à deux États avec un État indépendant de Palestine.

Le ministre luxembourgeois des affaires étrangères, Jean Asselborn, met en garde contre une nouvelle vague de violence et une atteinte massive à la réputation d'Israël dans le monde si l'annexion devait être réalisée.

DER SPIEGEL : M. Asselborn, le gouvernement israélien pourrait procéder à l'annexion de certaines parties de la Cisjordanie à partir du 1er juillet. Vous avez comparé ce geste à l'annexion de la péninsule de Crimée par la Russie. N'est-ce pas un peu excessif ?

Asselborn : Non, je ne vois aucune différence. Une annexion est une annexion. C'est une violation flagrante du droit international. Les Nations Unies ont également pris une position claire : Le Conseil de sécurité a déclaré les colonies israéliennes illégales dans plusieurs résolutions, la dernière en décembre 2016. Au Moyen-Orient, qui est fortement marqué par la religion, on pourrait également dire qu'une annexion viole le septième des dix commandements : Tu ne déroberas point. Une annexion de certaines parties de la Cisjordanie ne serait que cela : voler.

DER SPIEGEL : L'UE a imposé de sévères sanctions économiques à la Russie en raison de l'annexion de la Crimée. Josep Borrell, le haut représentant de l'UE pour les affaires étrangères, a récemment déclaré que si la situation au Moyen-Orient peut être différente, le droit international ne peut pas être « appliqué de manière sélective ». L'UE devrait-elle imposer des sanctions à Israël si l'annexion a lieu, à l'instar des mesures punitives prises à l'encontre de la Russie ?

Asselborn : Je ne veux pas spéculer sur les sanctions pour le moment. Il est trop tôt pour cela. En ce moment, nous, les Européens, essayons encore de tout faire pour faire changer d'avis le gouvernement israélien avant le 1er juillet.

DER SPIEGEL : Pour l'instant, il n'y a pas grand chose qui laisse penser que cet effort va réussir.

Asselborn : Nous ne pouvons qu'essayer. Mais si nous n'y parvenons pas, nous devrons envisager des mesures plus sévères. Le simple fait d'écrire des lettres de reproches serait une humiliation pour l'UE et affaiblirait considérablement sa crédibilité.

DER SPIEGEL : Des sanctions de l'UE contre Israël sont considérées comme extrêmement improbables, ne serait-ce que parce que le gouvernement allemand ferait presque certainement usage de son veto. Quelles sont les autres options possibles ?

Asselborn : La reconnaissance de la Palestine. Ce débat gagnerait une toute nouvelle dynamique, je le considérerais même comme inévitable. Jusqu'à présent, neuf des 27 pays de l'UE ont reconnu l'État de Palestine. Contrairement aux sanctions, cela ne nécessite pas une décision unanime des 27 membres. Chaque pays peut décider pour lui-même. La Suède, Malte, Chypre, la République tchèque, la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie, la Pologne et la Slovaquie l'ont déjà fait. Si d'autres pays suivaient, il est probable qu'ils obtiendraient bien plus que des sanctions économiques.

DER SPIEGEL : Que signifierait la mise en œuvre des plans d'annexion d'Israël pour le processus de paix au Moyen-Orient ?

Asselborn : Qu'il n'existerait plus. La solution des deux États, sur laquelle l'UE insiste également, ne serait plus une possibilité théorique. Tous ceux qui connaissent bien la région savent que si Israël annexait toute la vallée du Jourdain, il n'y aurait plus de place pour l'État auquel les Palestiniens ont droit.

DER SPIEGEL : La position du gouvernement israélien est ancrée dans des arguments de sécurité nationale. Ils disent que l'annexion mettrait, par exemple, un et à la contrebande d'armes. Cela n'est-il pas justifié ?

Asselborn : Je considère que cet argument est spécieux. Une annexion n'apporterait à Israël aucun avantage en termes de sécurité. Au contraire, elle entraînerait probablement une nouvelle vague de violence. Et il faut aussi penser aux conséquences pour les Palestiniens, dont les familles vivent dans ces régions depuis des siècles. Recevront-ils la citoyenneté israélienne ? Le voudraient-ils ? Un régime d'apartheid avec des droits différents pour les Israéliens et les non-Israéliens apparaîtrait inévitablement.

DER SPIEGEL : Les critiques ont accusé le gouvernement israélien d'avoir mis en place un tel système depuis longtemps.

Asselborn : C'est vrai, mais la situation politique mondiale est en train de changer. Dans une grande partie du monde occidental, nous assistons à des manifestations de masse contre le racisme - et tout cela à cause d'un seul incident dramatique. Si Israël devait intensifier son oppression des Palestiniens maintenant, de tous les temps, cela pourrait avoir de graves conséquences pour sa réputation internationale. Ce n'est pas quelque chose qu'une démocratie peut ignorer.

DER SPIEGEL : À l'heure actuelle, le gouvernement israélien semble être en accord avec sa réputation dans le monde.

Asselborn : Je suis fermement convaincu qu'une nouvelle conscience des droits de l'homme et de l'oppression des minorités est en train d'émerger dans certaines parties du monde. Souvenez-vous des troubles à Gaza au printemps 2018, lorsque les soldats israéliens ont tué plus d'une centaine de manifestants, dont des enfants, et en ont gravement blessé des milliers. De telles images auraient aujourd'hui un effet complètement différent de celui qu'elles avaient il y a deux ans. Elles seraient dévastatrices pour Israël.

DER SPIEGEL : Pour le gouvernement israélien, le plus important semble être de bénéficier du plein soutien de Trump.

Asselborn : En effet, il y a une opinion répandue à Jérusalem que, grâce à Trump, Israël a l'opportunité d'un siècle et doit en profiter pour enlever de grandes portions de la terre appartenant aux Palestiniens. Mais là aussi, il faut tenir compte de l'évolution de la situation politique mondiale. Trump s'est complètement discrédité en tant que négociant par la façon dont il a réagi aux manifestations antiracistes, si ce n'est avant. Il serait risqué de prendre sa parole comme une carte blanche politique - d'autant plus qu'il n'est nullement certain qu'il sera même en fonction l'année prochaine.

Source :  Der Spiegel - 12/06/2020
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises


L'UE face à l'annexion de la Cisjordanie : le symptôme de la diplomatie du mégaphone

Source :  L'Orient Le Jour - 17/06/2020

En coulisses, les chancelleries européennes s'activent afin d'empêcher l'annexion par Israël d'une partie des territoires occupés depuis 1967. Une stratégie diplomatique limitée et contrainte par des rouages internes.

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Le contour exact des frontières est flou, les détails du projet sont encore indéterminés. Mais une chose est certaine, le nouveau gouvernement d'union mené par Benjamin Netanyahu affiche ouvertement son désir de traduire en termes concrets une annexion partielle de la Cisjordanie, telle que formulée le 28 janvier lors de l'annonce du plan de paix de Donald Trump. Et ce dès le 1er juillet.

L'accord pour un gouvernement d'union conclu en avril entre les deux anciens rivaux, Benjamin Netanyahu et Benny Gantz, prévoit en effet le début des démarches en vue d'une annexion partielle de la Cisjordanie à cette date.

Malgré la clarté des intentions, plusieurs questions restent en suspens : les États-Unis imposeront-ils à Israël d'appliquer la totalité des mesures prévues par le plan de paix afin de pouvoir procéder à une annexion ? Quelles seront les frontières de l'annexion, et comment se traduira-t-elle pour les Palestiniens concernés ? Un horizon incertain qui laisse une marge de manœuvre importante à l'exécutif israélien afin de légiférer autour d'une annexion qui, pour beaucoup, existe déjà dans les faits, via un système juridique inclusif pour les colons assorti d'un vaste réseau les reliant aux infrastructures israéliennes.

Au-delà de son sponsor américain, le projet fait pourtant face à l'opposition de nombreux pays qui le considèrent comme une entorse au droit international et un tournant historique qui marquerait la fin du régime d'occupation en place en Cisjordanie depuis 1967.

Outre l'Autorité palestinienne, la Jordanie et les pays arabes, l'Union européenne figure en tête de file de ceux qui tentent d'imposer leur voix afin de freiner l'avancement d'une annexion de jure, autour de la ligne traditionnelle qui consiste à refuser « toute reconnaissance de changement par rapport aux frontières de 1967, à moins d'un accord de la part des Israéliens et des Palestiniens », selon les mots de Josep Borrell, haut représentant de l'Union pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité.

« Seules les solutions fondées sur un accord mutuel, et non sur des actions unilatérales, sont en mesure d'assurer une stabilité dans le temps », estime Peter Stano, chargé de la communication pour les Affaires étrangères au sein de la Commission européenne.

Cette déclaration reflète le positionnement historique de l'Union qui, « depuis la déclaration de Venise (juin 1980), est la première puissance régionale à avoir reconnu le droit à l'autodétermination du peuple palestinien », se souvient Leïla Chahid, ancienne ambassadrice de Palestine, pour qui la position européenne contraste avec celle des États-Unis, de l'Amérique latine ou encore du Japon.

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