26/06/2020 tlaxcala-int.org  8 min #175999

Laissons Israël annexer la Cisjordanie : c'est la moins pire des options pour les Palestiniens

Non, les Juifs de la diaspora ne divorceront pas d'Israël pour cause d'annexion de la Cisjordanie

 Anshel Pfeffer אנשיל פפר

C'est un rêve illusoire que de s'attendre à ce que l'annexion déclenche un désengagement total des communautés juives de la diaspora d'un Israël qui court vers l'officialisation de son occupation non démocratique

Emad Hajjaj

Vendredi dernier, l'ambassadeur d'Israël aux USA, Ron Dermer, a publié une  tribune dans le Washington Pos t. Dermer a écrit que « l'extension de la souveraineté israélienne à certains territoires de Judée et de Samarie ne détruira pas, comme le suggèrent de nombreuses critiques, la solution à deux États. Mais elle brisera l'illusion de deux États. Et ce faisant, elle ouvrira la porte à une solution réaliste à deux États ».

En d'autres termes, l'homme le plus proche de Benjamin Netanyahou, qui a parfois été appelé « le cerveau de Bibi », exprime maintenant officiellement son soutien à la solution à deux États.

Bien sûr, la vision de Dermer d'un État palestinien n'est pas celle que les Palestiniens veulent, ni celle que les anciens premiers ministres Ehud Barak et Ehud Olmert ont proposée. Il s'agit d'une série d'enclaves tronquées en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Ce n'est pas ce que l'on pourrait appeler un État. Sauf pour Dermer et Netanyahou, bien sûr. Et seulement quand ils parlent en anglais.

Dimanche, quand la chambre d'écho de Netanyahou, Israel Hayom, a fait référence à l'article de Dermer, la citation a été modifiée : l'annexion « ouvrira la porte à une solution pour les deux peuples ». Le mot en « s » (comme State, État) est tabou en hébreu.

Un chef de colons m'a dit le lendemain « Bibi a une si mauvaise opinion de nous qu'il pense que nous ne comprenons pas l'anglais. »

Rina Matzliach, une présentatrice de la chaîne israélienne Channel 12, a été clouée au pilori par les médias sociaux cette semaine pour avoir déclaré que « les partisans de Netanyahou disent qu'ils voteront pour lui même s'il viole leur fille ». Matzliach ne faisait que donner aux téléspectateurs un aperçu de ce que certains Bibistim (bibiolâtres, en hébreu) disent réellement sur Facebook et Twitter, mais ses employeurs pleutres l'ont suspendue pendant une semaine au lieu de la défendre.

Si quelqu'un a une mauvaise opinion des partisans de Netanyahou, c'est bien le Premier ministre lui-même, qui les croit incapables d'aller sur Internet et de lire ce que son ambassadeur a écrit dans le Washington Post.

Il n'y a pas que les Likoudniks qui méprisent Netanyahou. De nombreux juifs de la diaspora dont la langue maternelle est l'anglais et qui auraient lu l'article de Dermer sont également capables de lire l'hébreu et peuvent voir comment il a été intentionnellement mal traduit dans le Bibiton. Mais peut-être que dans leur cas, le mépris est justifié.

Les principales organisations juives occidentales ont maintenu la solution des deux États comme faisant partie de leurs objectifs déclarés depuis des années, même s'il est clair depuis longtemps que là où cela compte, chez lui en Israël, Netanyahou et sa bande ont fait savoir très clairement qu'il n'avait pas l'intention de la réaliser un jour.

C'était déjà clair après le discours de Bar Ilan, en 2009, dans lequel Netanyahou, sous la pression de l'administration Obama, s'était engagé à la légère en faveur d'un État palestinien, avec un tas de réserves qu'il était clair que les Palestiniens n'accepteraient jamais.

Si Netanyahou avait l'intention de tenir sa promesse, il aurait fait au moins un effort symbolique pour convaincre son propre parti. Non seulement cela ne s'est jamais produit, mais aucun député du Likoud ou ministre qui a publiquement contredit la promesse, comme presque tous l'ont fait, n'a jamais été sanctionné par le Premier ministre. Qui plus est, à chaque élection depuis lors, le Likoud s'est abstenu de publier un programme politique pour éviter d'avoir à adopter, ou à contredire, Bar Ilan.

Et bien sûr, il n'y a pas que Netanyahou. Le Kahol Lavan de Benny Gantz, avant même sa misérable capitulation, ne mentionnait pas d'État palestinien, mais seulement la « séparation d'avec les Palestiniens ». (Yesh Atid [Il y a un futur], aujourd'hui principal parti d'opposition et indépendant de Kahol Lavan, affirme clairement dans son programme que « la bonne solution pour Israël, c'est deux États »).

Quelle que soit la mince excuse que les organisations juives traditionnelles de la diaspora ont dû invoquer pour prétendre que le consensus israélien est toujours en faveur d'une solution à deux États, elle disparaîtra la semaine prochaine. Quelle que soit la voie d'annexion que Netanyahou choisira, avec le soutien de Gantz, ce sera une voie unilatérale et la confirmation finale, si elle était nécessaire, qu'une solution à deux États n'est plus une alternative, du moins jusqu'à ce qu'un gouvernement très différent soit formé en Israël.

Certains pensent que ce sera un moment décisif pour l'establishment juif dans la diaspora. Un moment où ils seront enfin obligés de tenir compte de la nature non démocratique réelle et durable de l'occupation. Ils ont tort.

Oui, il y aura des grognements et beaucoup de frustration. Mais vous pouvez parier que de nouvelles formulations seront trouvées pour nier le fait déjà saignant et évident qu'il existe un fossé béant entre les sensibilités démocratiques et les sensibilités de la majorité des Juifs vivant dans les démocraties libérales occidentales et les certitudes nationalistes de la plupart des Juifs israéliens.

Bien sûr, si vous vivez dans une bulle d'activisme de gauche dans les médias sociaux, vous ressentirez une libération cathartique de la jubilation refoulée qui fait que finalement TOUT LE MONDE doit voir la sinistre réalité pour ce qu'elle est. Mais pour la majorité des Juifs de la diaspora, même ceux qui sont profondément engagés avec Israël, les choses continueront comme avant. Il y aura un haussement d'épaules de déception - et ensuite on continuera comme avant, cette fois-ci avec une dissonance.

Toute attente que les principales communautés juives de la diaspora se désengagent d'une manière ou d'une autre d'Israël après l'annexion est un rêve illusoire. À l'exception d'un petit groupe de juifs désillusionnés qui ne sont pas à l'aise avec l'idée d'un État-nation juif tel qu'il est déjà, l'écrasante majorité trouvera un moyen d'ignorer l'horreur de la situation. Et ils le feraient même si la situation était bien pire.

Il n'est pas difficile d'imaginer un Israël bien pire.

Imaginez qu'en 1949, après les accords d'armistice qui ont suivi la guerre d'indépendance, il n'y aurait pas eu 160 000 Palestiniens à l'intérieur des frontières d'Israël qui auraient obtenu la citoyenneté et que ça aurait été un pays exclusivement juif. Imaginez qu'au lieu d'une démocratie parlementaire, David Ben-Gourion aurait opté pour une forme de dictature, comme la majorité écrasante des pays qui ont obtenu leur indépendance à cette époque.

Imaginez que l'Israël qui a évolué au cours des 70 dernières années n'est pas « la seule démocratie du Moyen-Orient », mais qu'il est toujours le pays où des millions de survivants et de réfugiés de l'Holocauste ont trouvé refuge et qu'il est toujours l'endroit où vivent près de la moitié des Juifs dans le monde. Un lieu où les Juifs de la diaspora sont néanmoins les bienvenus et où la culture hébraïque s'est développée.

Un endroit que les enquêtes annuelles sur la liberté et la démocratie classent plus ou moins entre le Maroc et la Chine - des pays autocratiques où de nombreux Occidentaux se rendent encore pour les vacances tout en ignorant commodément la situation politique. Quels seraient leurs sentiments et leurs liens avec Israël dans une telle situation ?

Je suis presque sûr que la majorité des Juifs de la diaspora traiteraient encore Israël à peu près de la même manière. Ils viendraient toujours en visite et s'amuseraient. Ils continueraient à faire pression et à soutenir. Le manque de démocratie serait regrettable, mais cela vous dérangerait de la même manière que cela vous dérange lors de vos vacances à Singapour ou à Dubaï. C'est-à-dire très peu. En fait, cela vous dérangerait probablement moins que l'occupation ou l'annexion ne vous dérange aujourd'hui, parce que vos attentes auraient été beaucoup plus faibles.

Je ne dis pas un seul instant que vos attentes aujourd'hui devraient être aussi faibles. Et je ne cherche certainement pas à excuser la situation d'Israël en disant qu'elle pourrait être bien pire. Je dis simplement qu'il n'est pas réaliste de s'attendre à ce que la majorité des Juifs rejette l'État juif parce qu'il n'est pas une démocratie occidentale et qu'il occupe des millions de Palestiniens sans droits nationaux.

Un petit peuple de seulement 15 millions de membres dans le monde, avec une histoire de persécution et de survie précaire, ne va pas se diviser aussi facilement.

Il n'y a pas de question plus moralement corrosive pour la société israélienne que l'occupation durable. Elle ne peut être minimisée. Mais ceux de la diaspora qui pensent que ce sera une question déterminante qui éloignera leurs communautés d'Israël ne tiennent pas compte de tous les autres liens historiques, religieux, culturels et familiaux qui lient et continueront de lier Israël aux Juifs du monde entier.

Ces liens ont été suffisamment forts pour masquer le fossé politique qui s'est creusé pendant des décennies et il n'y a aucune raison de penser que cela changera si et quand Israël ira de l'avant et annexera des parties de la Cisjordanie.

Pour avoir un espoir de changer la situation, ceux d'entre nous qui croient que l'occupation est odieuse et qui veulent ardemment la voir prendre fin de leur vivant, doivent tenir compte de la force de ces liens et ne pas se faire d'illusions sur le fait que la politique israélienne, aussi toxique soit-elle, puisse les faire éclater.

Courtesy of  Tlaxcala
Source:  haaretz.com
Publication date of original article: 25/06/2020

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