Par Ramzy Baroud
L'amère vérité est que l'Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas a déjà cessé d'exister en tant qu'organe politique ayant une quelconque influence ou pertinence, soit pour le peuple palestinien, soit pour ses ex-bienfaiteurs, à savoir les gouvernements israélien et américain.
Ainsi, lorsque le Premier ministre de l'Autorité palestinienne, Mohammed Shtayyeh, a annoncé le 9 juin que les dirigeants palestiniens avaient soumis une « contre-proposition » au plan de paix américain au Moyen-Orient, également connu sous le nom de « Contrat du siècle«, peu de gens ont semblé s'en soucier.
Nous avons peu d'information sur cette « contre-proposition », si ce n'est qu'elle envisage un État palestinien démilitarisé dans les frontières d'avant 1967. Nous savons également que les dirigeants palestiniens sont prêts à accepter des échanges de terres et des ajustements de frontières, une disposition qui a certainement été insérée pour répondre aux besoins démographiques et sécuritaires d'Israël.
Il est presque certain que rien ne sortira de la contre-proposition de Shtayyeh et qu'aucun État palestinien indépendant ne devrait résulter de cette offre prétendument historique. Alors, pourquoi l'AP de Ramallah a-t-elle opté pour ce genre de stratégie quelques jours seulement avant l'échéance du 1er juillet, alors que le gouvernement israélien de Benjamin Netanyahu devrait lancer son processus d' annexion illégale en Cisjordanie occupée et dans la vallée du Jourdain ?
La raison principale de l'annonce de Shtayyeh est que les dirigeants palestiniens sont souvent accusés par Israël, les États-Unis et leurs alliés de soi-disant rejeter les propositions de « paix » qui auraient précédées.
À juste titre, l'Autorité palestinienne a rejeté le « Deal du siècle », parce que ce dernier représente la violation la plus flagrante à ce jour du droit international. Le « pacte » nie les droits territoriaux des Palestiniens dans Jérusalem-Est occupée, rejette complètement le Droit au retour des réfugiés palestiniens et donne carte blanche au gouvernement israélien pour coloniser davantage de terres palestiniennes.
En principe, Netanyahu a également rejeté la proposition américaine, sans toutefois prononcer publiquement son refus. En effet, le dirigeant israélien a déjà rejeté toute perspective d'un État palestinien et a décidé d'aller de l'avant avec l'annexion unilatérale de près de 30 % de la Cisjordanie, alors que l'injuste initiative de « paix » de Trump appelait à un dialogue mutuel avant toute annexion.
Dès que le plan de Washington a été annoncé en janvier, suivi par l'insistance d'Israël sur l'imminence de l'annexion des territoires palestiniens, l'Autorité palestinienne est passée sur un mode politique des plus curieux, plus imprévisible et bizarre que jamais.
L'un après l'autre, les responsables de l'Autorité palestinienne ont commencé à faire toutes sortes de remarques et de déclarations contradictoires, notamment l'apparente décision d'Abbas, le 19 mai, d'annuler tous les accords signés entre les Palestiniens et Israël.
Cette décision a été suivie d'une autre annonce, le 8 juin, cette fois par Hussein Al-Sheikh, un haut fonctionnaire de l'Autorité palestinienne et confident d'Abbas, selon laquelle si l'annexion a lieu, l'Autorité coupera les services publics aux Palestiniens afin qu'Israël assume son rôle légal de puissance occupante conformément aux normes internationales.
Une troisième annonce a été faite le jour suivant par Shtayyeh lui-même, qui a menacé que, si Israël revendique la souveraineté sur certaines parties de la Cisjordanie, l'Autorité riposterait en déclarant un statut d'État dans les frontières d'avant 1967.
La contre-proposition palestinienne a été énoncée peu après ce mélange de déclarations, très probablement pour annuler les effets de l'état de confusion qui entache le corps politique palestinien. C'est la façon pour les dirigeants palestiniens d'apparaître proactifs, positifs et institutionnels.
L'initiative palestinienne vise également à envoyer un message aux pays européens selon lequel, malgré l'annulation par Abbas des accords avec Israël, l'Autorité palestinienne est toujours attachée aux paramètres politiques fixés par les accords d'Oslo dès septembre 1993.
Ce qu'Abbas et Shtayyeh espèrent finalement obtenir est une répétition d'un épisode antérieur qui a suivi l'admission de la Palestine en tant que membre non étatique de l'Assemblée générale des Nations unies en 2011. Salam Fayyad, qui était alors Premier ministre de l'Autorité, avait également agité la carte de la déclaration unilatérale d'un statut d'État pour forcer Israël à geler la construction de colonies juives.
Finalement, l'Autorité palestinienne avait été cooptée par le secrétaire d'État américain de l'époque, John Kerry, pour reprendre un autre cycle de négociations totalement stériles avec Israël, ce qui a permis à l'Autorité de gagner dix années supplémentaires de survie, pendant lesquelles elle a reçu de généreux fonds internationaux tout en vendant aux Palestiniens de faux espoirs pour un État qui tenait du mirage.
Malheureusement, c'est la stratégie actuelle des dirigeants palestiniens : une combinaison de menaces, de contre-propositions et autres initiatives, dans l'espoir que Washington et Tel-Aviv acceptent de revenir à une époque pourtant révolue.
Bien sûr, le peuple palestinien, sous occupation, assiégé et opprimé, est l'élément le moins pertinent dans les calculs de l'Autorité palestinienne, mais cela ne devrait pas surprendre. Les dirigeants palestiniens ont fonctionné depuis de nombreuses années sans même un semblant de démocratie, et le peuple palestinien ne respecte ni son gouvernement ni son soi-disant président. Ils ont fait connaître leurs sentiments, à maintes reprises, dans de nombreux sondages d'opinion.
Au cours des derniers mois, l'Autorité a utilisé tous les moyens à sa disposition pour démontrer sa pertinence et son sérieux face à la double menace de l' »accord du siècle » de Trump et de l'annexion des terres palestiniennes par Netanyahu. Pourtant, l'étape la plus importante et la plus urgente, celle qui consiste à unir tous les Palestiniens, peuples et factions, derrière un seul corps politique et un seul document politique, reste à franchir.
Compte tenu de tout cela, il n'est pas exagéré de dire que l'Autorité d'Abbas est en train de rendre son dernier souffle, surtout si ses alliés européens traditionnels ne parviennent pas à prolonger un système de perfusion dont elle a désespérément besoin.
Les positions très timorées adoptées par les pays de l'UE ont, jusqu'à présent, montré qu'aucun pays européen n'est capable ou même désireux de combler le vide laissé par la trahison de Washington à l'égard de l'Autorité palestinienne et du prétendu « processus de paix ».
Tant que l'Autorité ne « remettra pas les clés » à l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) afin que l'organe palestinien le plus démocratiquement représentatif puisse entamer un processus de réconciliation nationale, Netanyahu restera, tragiquement, la seule partie concernée, déterminant le sort de la Palestine et de son peuple.
* Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Son prochain livre est « The Last Earth: A Palestine Story» (Pluto Press). Baroud a un doctorat en études de la Palestine de l'Université d'Exeter et est chercheur associé au Centre Orfalea d'études mondiales et internationales, Université de Californie. Visitez son site web: ramzybaroud.net.
24 juin 2020 - RamzyBaroud.net - Traduction : Chronique de Palestine - Lotfallah