C'est un fait, j'en conviens : la vérité n'est pas bien vue des rois. Et pourtant, avec mes fous, il se produit un phénomène étonnant : ils se font écouter avec plaisir quand ils disent la vérité, mieux encore, quand ils lancent ouvertement de sévères critiques, à telle enseigne que la même phrase, sortie de la bouche d'un sage, lui vaudrait la peine capitale, mais lancée par un bouffon, elle génère un plaisir incroyable.
Erasmus de Rotterdam, Éloge de la folie,
traduit du latin par Claude Barousse, Babel, Actes Sud, 2017
Et voilà qu'à présent, les autorités judiciaires boliviennes ont officiellement inculpé Evo Morales pour crimes de sédition et de terrorisme, et pas seulement lui, mais aussi, bien sûr, Luis Arce, le nouveau candidat du MAS, le parti d'Evo, à l'élection présidencielle. Et ils n'en restent pas là, car les ex-ministres, ex-vice-ministres, ex-directeurs, dirigeants d'organisations sociales, militants et proches collaborateurs du gouvernement renversé ont également été inculpés. Rien que ça, tous en prison ! Au cachot tous ceux qui ne pensent pas comme les autorités qui gouvernent de facto la Bolivie. Bravo ! Tout est bien tant que la racaille, les voyous, les indigènes ignorants, sales et crasseux ne reviennent pas gouverner leur propre pays. Qu'importe qu'ils soient majoritaires, qu'importe que 62,2% de la population soit autochtone (selon les données de la CEPAL). Ce qui importe, c'est que la Bolivie a cessé d'appartenir aux « cholos » et est à nouveau au gens biens et doit le rester, coûte que coûte, même s'il faut se ridiculiser devant le monde entier avec des mensonges et des calomnies aussi évidents.
Mais je me demande, où est Luis Almagro ? Il n'est pas tolérable que le secrétaire général de l'OEA soutienne un coup d'État, car cela va à l'encontre des principes de l'organisation elle-même. C'est absurde, c'est le monde à l'envers, cela ressemble à un cauchemar, mais c'est effroyablement réel. La Bolivie a été reprise par la mafia raciste et classiste qui ne croit à la démocratie que pour faire valoir ses propres intérêts. Une folie réelle et brutale.
L'accusation de fraude électorale portée contre Evo Morales par les élites du pays, et avec la complicité de l'OEA, a provoqué des affrontements au sein de la population civile, augmentant ainsi l'instabilité et la tension dans les rues. Les forces armées ont profité de la situation pour exiger sa démission et faciliter la prise de pouvoir illégitime, illégale et inconstitutionnelle de Jeanine Áñez, brisant ainsi la dialectique démocratique. Nous ne pouvons pas oublier que ce gouvernement n'est pas démocratique.
Aujourd'hui, le procureur de La Paz, Marco Antonio Cossío, mène une guerre judiciaire (lawfare) contre le MAS, le parti majoritaire, et a créé une véritable campagne générale. Le ministère public a émis un mandat d'arrêt préventif contre l'ancien président pour terrorisme dans l'affaire Audio. Une conversation téléphonique attribuée à Morales dans laquelle il aurait appelé au blocus des villes pendant les manifestations et les émeutes de rue qui ont eu lieu pour défendre l'État de droit et Evo lui-même. Cette accusation n'a pas de preuves convaincantes.
L'enregistrement dans lequel la voix d'Evo Morales est censée figurer a été envoyé pour analyse à des experts en Argentine et en Colombie. Les premiers ont conclu qu'il ne s'agissait pas de la voix de l'ancien président de la Bolivie et les seconds qu'on ne pouvait pas attribuer à Morales la voix de l'enregistrement.
Enregistrement illégal
Néanmoins, les médias rapportent que la cause continue d'avancer car la véracité de l'appel téléphonique est confirmée par une « expertise » colombienne que personne ne contrôle évidemment, sauf eux et un 'expert' colombien aux connaissances « indiscutables », comme le déclare ironiquement Raul Zaffaroni. Pour autant que nous sachions, les rapports d'expertise sont normalement contrôlés par la défense, qui nomme des experts, mais dans ce cas-ci, le régime a décidé que tout cela n'est pas nécessaire, comme le raconte le juriste.
Il se fait que l'expertise colombienne n'a pas pu conclure que la voix était celle d'Evo Morales, mais a souligné qu'il y a « une forte probabilité d'identification de la voix ». Qu'entendent ces experts par « haute » probabilité ? Est-ce, ou non, la voix de Morales, selon les protocoles scientifiques ? C'est tout ce qu'il y a à dire. Si, selon ces protocoles, la voix ne pouvait pas être identifiée, à quoi bon estimer la probabilité comme « élevée » ? Encore une fois, c'est une folie.
Comme si cela ne suffisait pas, nous devons prendre en considération le fait que l'enregistrement présumé serait illégal, puisqu'il aurait été obtenu subrepticement, sans ordonnance judiciaire ni consentement des personnes concernées. C'est-à-dire que ce serait une preuve illégale, qui ne prête pas à un mandat d'arrêt ou à un ordre d'extradition, encore moins à une condamnation, bien sûr, dans le cadre de l'État de droit, et il me semble que c'est ce qui fait défaut en ce moment en Bolivie, le respect de l'État de droit, lorsque les gens ont recours à des ruses grossières pour éliminer les opposants politiques, les représentants légitimes de ceux qui les élisent.
L'accusation est si maladroite que, même si l'on pouvait prouver que la voix sur l'enregistrement est celle d'Evo, et que l'obstacle des preuves illégales pouvait être surmonté, selon la définition même du code pénal bolivien, de tels actes ne constitueraient ni un crime terroriste ni un crime de sédition. L'article 133 de ce code stipule : « Quiconque fait partie, agit au service ou collabore de quelque manière que ce soit avec une organisation armée destinée à commettre des crimes contre la sécurité commune, des crimes contre la vie ou des crimes contre l'intégrité corporelle, dans le but de renverser l'ordre constitutionnel, de déposer le gouvernement constitutionnellement élu ou de maintenir la population ou une partie de la population dans un état d'alarme ou de panique collective, est puni d'un emprisonnement de quinze (15) à vingt (20) ans, sans préjudice de la peine qui serait applicable si ces crimes étaient commis ».
C'est le monde à l'envers, car ceux qui ont renversé l'ordre constitutionnel et déposé le gouvernement constitutionnellement élu, accusent le président et les membres du gouvernement renversé d'avoir eu la même conduite que les dirigeants du coup d'État. Les séditieux accusent de sédition, les terroristes accusent de terrorisme. L'histoire et le discours sont reproduits de façon mimétique comme ils le sont chaque fois que l'ordre constitutionnel est éliminé dans un pays. Cela s'est produit au Chili, en Argentine, en Espagne, en Allemagne, dans chacun de ces pays où un coup d'État tente de se justifier et de « se sauver » aux dépens des vrais démocrates.
Contre la Constitution
Encore que cela soit difficile à croire, il y a pire. La mesure du procureur général de Bolivie viole les garanties d'une procédure régulière, de sorte que son action est non seulement illégale mais aussi anticonstitutionnelle. L'accusé n'a pas été informé, comme l'exige la loi de l'État plurinational, ni convoqué pour témoigner. On dit que l'on ne sait pas où habite Evo Morales, donc les assignations sont délivrées par décret, alors qu'il est de notoriété publique qu'il se trouve en Argentine, où la commission rogatoire correspondante pourrait être envoyée. En ne le faisant pas, il est clair que leur objectif est de le déclarer in absentia ; qu'un défenseur public soit nommé (qu'ils peuvent contrôler) et qu'il admette l'accusation, comme cela est déjà « rapporté » dans les médias boliviens, inventant des déclarations inexistantes d'Evo avec la plus grande impudence, selon Zaffaroni.
Une telle accusation n'a pas sa place dans une véritable démocratie, et ne peut être portée par un système judiciaire véritablement indépendant et impartial. C'est la preuve la plus palpable qu'il existe en Bolivie un régime non démocratique qui entraîne la limitation des droits et des libertés de ses citoyens, qui emprisonne de manière injustifiée les opposants politiques et réprime sévèrement ceux qui exercent leur droit légitime de manifester leur soutien au gouvernement constitutionnel renversé.
Ce n'est pas un hasard si l'accusation portée contre Evo Morales et les autres membres du MAS, dont le candidat à la présidence Luis Arce, a été rendue publique près d'un mois après l'annonce de la nouvelle date des élections, fixée au 6 septembre. Tout indique que le but est d'empêcher le MAS et son candidat de participer aux élections, violant ainsi le droit fondamental au suffrage actif et passif. Actif, c'est-à-dire le droit de voter et d'élire des représentants, car l'immense majorité ne pourra pas voter pour le candidat de son choix ; et passif, c'est-à-dire le droit des citoyens de se présenter comme candidats et d'être élus, ce qui dans ce cas concerne Luis Arce et les autres candidats du MAS.
Mascarade présidentielle
Quatre études bien documentées nient qu'il y ait eu fraude électorale et contestent sérieusement le rapport de l'OEA pour avoir utilisé des données et une méthodologie inappropriées. D'abord le rapport de Walter Mebane, professeur au département des sciences politiques et au département des statistiques de l'université du Michigan, puis le rapport du Centre pour la recherche économique et politique (CEPR), qui fait partie du Massachusetts Institute of Technology (MIT), tous deux en novembre 2019. Par la suite, un autre rapport détaillé du même CERP a été ajouté en février 2020 et récemment, une étude de Nicolás Idrobo, Dorothy Kronick (tous deux de l'Université de Pennsylvanie) et Francisco Rodríguez (de l'Université de Tulane) qui concluent que l'analyse de l'Organisation des États américains était, au moins, déficiente.
Malgré ces preuves, l'OEA ne rectifie pas (au contraire, son secrétaire général, M. Almagro, dans l'orbite de ce que l'administration américaine a décidé, se consacre à dénigrer les médias et ceux qui mettent en doute l'action de l'organisation régionale dans le processus électoral d'octobre) et le gouvernement illégitime qui a usurpé le pouvoir en Bolivie continue avec son plan de tenir des élections sans le MAS (qui, soit dit en passant, est en tête des intentions de vote). Il est urgent que la communauté internationale, les Nations-Unies, les organismes de défense des droits humains, l'Union européenne (Commission et Parlement) ne ferment pas les yeux sur l'ampleur de l'atteinte à la démocratie.
Le climax de cette situation délirante a été atteint avec le spectacle grotesque d'une présidente autoproclamée entrant dans le palais du gouvernement brandissant une Bible, au nom d'une résurgence de la culture occidentale, celle qui a apporté la dévastation de la planète, le réchauffement climatique et a contribué à cette pandémie et à celles qui viendront sûrement dans le futur. Elle l'a fait au lieu de hisser le drapeau indigène, dont la vision du monde de la coexistence en harmonie avec la nature est ce qui peut nous sauver en tant que société et restaurer l'humanité perdue. Ce sont eux, les leaders du coup d'État, qui font l'éloge d'un système qui tombe en morceaux, qui constitue un authentique éloge de la folie ou de la bêtise, qui doit être combattu lors d'élections libres, démocratiques et propres, sans interférences mensongères comme le fait d'accuser le président Evo Morales de terrorisme.
Baltasar Garzón,
Membre du Conseil latino-américain
pour la justice et la démocratie (CLAJUD)
Source : nodal.am
Traduction : Venesol