Par Alan Macleod − 14 août 2020 − Source MintPress News
YouTube, le géant des médias sociaux, annonçait hier une série de nouvelles mesures qui, selon lui, visent à empêcher toute interférence dans les prochaines élections présidentielles. La principale de ces mesures est de « supprimer les contenus contenant des informations piratées, dont la divulgation pourrait interférer avec les processus démocratiques, tels que les élections et les recensements ». Un exemple qu'il donne consiste à supprimer « les vidéos qui contiennent des informations piratées concernant un candidat politique ».
Il a également promis « de s'en référer à des voix autorisées » en ce qui concerne l'actualité et la politique en modifiant son algorithme pour montrer aux utilisateurs des canaux plus crédibles et « réduire la diffusion d'informations erronées et de contenus à la limite du nuisible ». Parmi les exemples de chaînes qui produisent un contenu faisant autorité, dit-il aux lecteurs, figurent Fox News et CNN. YouTube a également indiqué qu'il allait augmenter ses panneaux d'information placés sous les vidéos.
Cette nouvelle règle pourrait inquiéter les utilisateurs de la plate-forme pour plusieurs raisons. Premièrement, la grande majorité des informations divulguées - qui sont le carburant du journalisme d'investigation - sont anonymes. Souvent, comme dans les cas d'Edward Snowden, de Chelsea Manning ou de Reality Winner, les lanceurs d'alertes font face à de graves conséquences si leur nom est joint à des documents exposant des malversations du gouvernement ou d'entreprises. Mais, sans nom pour accompagner un document il est impossible de faire la différence entre des données qui ont fait l'objet d'une fuite et des données piratées. Ainsi, des personnes et des organisations puissantes pourraient prétendre que des données ont été piratées, plutôt que fuitées, et simplement bloquer toute discussion à ce sujet sur la plateforme. En entendant la nouvelle, certains 𝕏 craignent que du contenu déjà existant, chargé par des journalistes d'investigation, soit susceptible d'être supprimé en vertu des nouvelles lignes directrices.
Le choix de Fox News et de CNN comme sources fiables utilisées par YouTube pourrait également faire sourciller certains milieux. Selon le dernier rapport du Reuters Institute Digital News, moins de la moitié des étasuniens font confiance aux deux réseaux (Fox à 42 % et CNN à 47 %). Et une nouvelle étude de la fondation Gallup/Knight révèle que moins d'un tiers du pays a une opinion favorable des médias en général, et seulement 19 % des moins de trente ans (la principale population de YouTube). Beaucoup se rendent sur la plateforme précisément parce qu'elle offre des opinions alternatives et plus diversifiées que la radio, la presse écrite et la télévision dominées par les entreprises. Et YouTube les renvoie maintenant vers ces mêmes sources.
L'élection présidentielle de 2016 a été marquée par la publication par Wikileaks des courriels de Podesta, dont il serait interdit de discuter selon les nouvelles règles de YouTube. La campagne d'Hillary Clinton prétend que les courriels ont été piratés sur l'ordinateur de Podesta. Les communications publiées, dont l'authenticité ne fait aucun doute, informaient le pays des machinations du Parti Démocrate, de la façon dont il a fait pencher la balance électorale en faveur de Clinton et contre Bernie Sanders lors des primaires, de la façon dont Clinton a déclaré à Wall Street qu'elle avait une position « publique » et « privée » sur la réglementation, insinuant qu'elle mentait à la nation, de la façon dont les représentants du Qatar voulaient rencontrer son mari Bill pendant « cinq minutes » pour lui remettre un chèque d'un million de dollars pour son anniversaire, et de la façon dont son propre personnel la méprisait. Les courriels, affirme Clinton, ont fait basculer l'élection du côté de Trump. Si tel est le cas, la décision d'interdire toute discussion à leur sujet aurait fondamentalement modifié le processus démocratique.
Si les actions de YouTube semblent drastiques, qu'en est-il de l'État australien du Queensland qui a introduit hier des lois qui rendent illégale la publication d'allégations de corruption contre tout politicien pendant la saison électorale. Les personnes jugées coupables seront punies d'une peine de six mois de prison et d'une amende de près de 5 000 dollars américains. Après un tollé public, la loi a été annulée au bout de 24 heures seulement.
Si la désinformation en ligne est un problème, il existe d'autres menaces plus graves pour l'intégrité électorale. Le président Trump, qui a déclaré que les Républicains n'accéderaient plus jamais au pouvoir si tout le monde votait, a déclaré cette semaine à Fox Business qu'il retenait volontairement des fonds alloués à la Poste américaine afin de saper l'élection à son profit. « Ils ont besoin de cet argent pour faire fonctionner la Poste afin qu'elle puisse gérer tous ces millions et millions de bulletins de vote », a-t-il déclaré. « Mais s'ils ne reçoivent pas ces deux articles, cela signifie que vous ne pouvez pas avoir le vote par correspondance universel, car ils ne seront pas équipés pour l'avoir ». Si l'on ajoute à cela des décennies de harcèlement électoral et une campagne de suppression d'électeurs qui a concerné plus de 1 200 bureaux de vote dans le Sud, principalement dans les quartiers noirs, Trump pourrait être en mesure de surmonter son déficit électoral et battre Biden.
La décision de YouTube d'interdire la discussion d'informations piratées sur sa plateforme n'améliorera probablement pas de manière significative le discours politique ou l'intégrité des élections aux États-Unis. Elle continuera cependant à faire pencher la balance en faveur des médias établis et financés par les entreprises, au détriment des nouvelles voix alternatives.
Alan MacLeod
Traduit par Wayan, relu par Jj pour le Saker Francophone