24/08/2020 les-crises.fr  7 min #178378

170 ans de prison : les Etats-Unis annoncent 17 nouvelles inculpations contre Julian Assange

Les idéaux américains au cœur de la procédure d'extradition de Julian Assange

Gareth Peirce, avocat de Julian Assange, en 2016. (YouTube)

Source :  Consortium News, Nozomi Hayase

L'inculpation d'Assange est reconnue par de nombreux mouvements de défense pour la liberté d'expression comme la plus importante atteinte à la liberté de la presse de notre époque. Cependant, avec le black-out des grands médias et le silence total des dirigeants politiques sur cette importante question, la criminalisation du journalisme se poursuit sans que le public en soit conscient.

L'Amérique trahit ses propres idéaux

A quoi correspond ce procès contre Assange ? Pourquoi les Américains doivent-ils se préoccuper de ce journaliste australien accusé d'espionnage par notre gouvernement ? WikiLeaks a radicalement changé le paysage médiatique. En publiant des informations véridiques sur les États-Unis, l'organisation s'est confrontée au Pentagone et à la CIA. Pourtant, l'efficacité de son journalisme intrépide n'est pas la seule raison pour laquelle Assange est devenu un prisonnier politique ; désigné comme ennemi de l'État et torturé psychologiquement à l'intérieur de la prison de Belmarsh (autrefois connue sous le nom de Guantanamo Bay du Royaume-Uni).

La publication par WikiLeaks en 2010 de la vidéo Collateral Murder a fait la lumière sur une histoire cachée des États-Unis. Des images brutes d'une attaque de l'armée américaine dans les faubourgs de l'Irak, réalisée sous la bannière de l'« Opération Liberté en Irak », ont permis de recouvrer des pages d'histoire manquantes. Les images qui se déroulent à partir de la vision d'un hélicoptère Apache renvoient à une époque antérieure à l'invasion de l'Irak, au 11 septembre et même à la dépendance de la nation au pétrole, au génocide des indigènes dans la guerre menée par les fusils et les canons américains.

Les souvenirs retrouvés permettent de constater la trahison de l'Amérique de ses propres idéaux, qui se manifeste par l'exclusion de certains du principe de l'égalité de tous les peuples, qui était énoncé comme une vérité évidente dans son document fondateur.

Continuer les luttes du passé

Gareth Peirce, avocat de Julian Assange, en 2016. (YouTube)

Assange, grâce à son travail avec WikiLeaks, a non seulement informé le public des débuts difficiles de l'Amérique, mais a également fourni un mécanisme permettant aux gens de retrouver un passé méconnu. Tout au long de l'histoire, du défi des abolitionnistes au mouvement pour le droit de vote des femmes, les demandes d'égalité sont venues de la base. Les gens ordinaires ont repoussé les limites de la Constitution pour rendre les idéaux de la Déclaration d'indépendance juridiquement contraignants.

Les années 60 ont été marquées par des bouleversements politiques, et la résistance s'est manifestée avec force. Des individus comme Rosa Parks, Martin Luther King Jr. et Malcolm X, par leurs paroles et leurs actions communes, ont incité les Noirs à se mobiliser dans leur lutte pour les droits civils. Mario Savio, le porte-parole du mouvement pour la liberté d'expression, a été à l'origine des manifestations étudiantes nationales contre la censure gouvernementale et la restriction de la liberté d'expression sur les campus.

En cette époque du numérique, Assange, qui a remporté de nombreux prix de journalisme, a trouvé un moyen de permettre à une nouvelle génération d'Américains de poursuivre cette lutte du passé. Il a fait cela en inventant une nouvelle forme de journalisme en ligne qui fonctionne avec des logiciels libres.

Expérimentation libre de la démocratie

Jérémie Zimmermann, ingénieur français en informatique et cofondateur de l'organisation la plus importante en Europe qui défend les libertés sur le net, a décrit le logiciel libre comme un contrat social et a noté qu'il s'agit d'une façon d'organiser une sphère publique.

Zimmermann a approfondi la question pour révéler que le moteur du logiciel libre est l'amour. Il a décrit comment « l'amour consiste à comprendre, à comprendre les défauts des autres et les nôtres ». Il a ensuite expliqué comment le logiciel libre est « une pratique joyeuse avec un rôle pour chacun où nous apprenons collectivement sur nos défauts, où nous apprenons à échouer et à aimer nos échecs, et où nous apprenons à tirer des leçons de nos échecs ».

Avec WikiLeaks comme projet de logiciel libre, Assange a apporté à Internet l'amour qui pourrait le transformer en un puissant outil pour la démocratie. Cet amour, partagé par les jeunes qui ont grandi sur Internet, a alimenté des actes de désobéissance civile. L'ancienne analyste du renseignement de l'armée américaine, Chelsea Manning, a fait jaillir une étincelle de conscience en divulguant la plus grande quantité de secrets d'État de l'histoire des États-Unis. Cette source à l'origine de la divulgation par WikiLeaks des crimes de guerre de l'ère George W. Bush  reste incarcérée pour avoir refusé de coopérer lors d'un grand jury qui visait l'éditeur.

De Manning, à Jeremy Hammond, à Edward Snowden, des vagues de lanceurs d'alerte ont créé une insurrection d'un courage contagieux. Des gens de l'intérieur des institutions, qui veulent du changement, se sont manifestés pour défier les lois injustes, afin de défendre les grands idéaux. Cela a donné le coup d'envoi d'une expérience ouverte de démocratie, créant un réseau qui cherche à comprendre les failles, collabore pour les modifier et invite tout le monde à participer à l'élaboration d'une nouvelle société.

Revendiquer notre histoire

Avec cette plate-forme de la démocratie qu'Assange a contribué à lancer, qu'a-t-il essayé de faire ? Assange est parvenu à voir comment les gens ordinaires sont rendus passifs ; ils sont ballottés et exclus des processus décisionnels vitaux. Il a décidé de se mettre du côté des opprimés, en voulant les aider à prendre conscience de leur propre importance.

Alors qu'il était détenu en isolement dans une prison de haute sécurité à Londres, Assange  a reçu le Prix de la Dignité 2019 pour son soutien à la lutte des peuples catalans pour l'indépendance et leur lutte contre la brutalité policière espagnole. Tout comme il aspirait à marcher aux côtés des Catalans sur leur chemin vers l'autodétermination, depuis l'écran d'ordinateur à l'intérieur d'une minuscule pièce de l'ambassade équatorienne, où chacun de ses mouvements  était surveillé par la CIA, il se souciait également du destin de l'Amérique et de ce qu'elle était en train de devenir.

[Julian Assange reçoit le Prix de la Dignité 2019 de la Commission Catalane de la Dignité]

Assange a sacrifié sa liberté pour que nous puissions tous être libres. En publiant des documents, WikiLeaks a fait avancer une histoire figée. L'histoire se déroule maintenant, et le sort d'Assange est notre histoire, dans laquelle chaque personne a un rôle important à jouer.

Ce n'est qu'en choisissant librement de répondre à cet amour du monde dont Assange a fait preuve que nous pourrons revendiquer notre propre histoire. Ce n'est que par l'amour que nous éprouvons les uns pour les autres, qui nous permet de discerner la perfection dans nos défauts, et de trouver de la beauté dans nos erreurs et nos échecs, que nous pourrons commencer à travailler pour corriger les erreurs de nos dirigeants - et mettre fin ensemble à cette erreur judiciaire flagrante.

 Nozomi Hayase, docteure, est essayiste et l'auteure de  « WikiLeaks, the Global Fourth Estate : History Is Happening ». Suivez la sur Twitter :

Source :  Consortium News, Nozomi Hayase

Traduit par les lecteurs du site  les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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