13/10/2020 tlaxcala-int.org  20 min #180332

Du rififi dans le Caucase

Le conflit dans le Haut-Karabakh et les intérêts en jeu Une très forte odeur de gaz

 Gabriele Cinotti & Raffaele Timperi

Les combats ont repris ces dernières semaines entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan pour le contrôle de la région à majorité arménienne du Haut-Karabakh ; cependant, en quelques jours, la confrontation militaire s'est étendue bien au-delà de la région disputée, avec des bombardements aériens croisés dans les pays respectifs et des affrontements dans les zones de la frontière septentrionale. Pour comprendre les raisons de ce conflit, il est avant tout utile de comprendre comment il s'intègre dans le contexte plus général de l'affrontement inter-impérialiste et quels sont les intérêts immédiats et stratégiques en jeu dans la compétition entre monopoles dans la région.

"Conversation aux portes de Tsargrad" (nom russe panslaviste de Constantinople, Istanbul) : affiche russe de propagande anti-ottomane de la Première guerre mondiale

Le contexte historique du conflit

Pendant le XIXe siècle, le Caucase a été un terrain d'affrontements entre les trois Empires Ottoman, Perse et Russe [1] qui, en compétition permanente entre eux, n'ont pas eu scrupule à fomenter les différences ethnico-religieuses entre les diverses populations de la région, afin d'en obtenir le contrôle.

L'Empire Ottoman vit dans les Arméniens, de religion orthodoxe comme les Russes, une source d'instabilité, ce pourquoi il mit en œuvre une répression brutale [2]. Parallèlement, les tsars lancèrent une campagne de "russification" des territoires turcophones conquis dans l'actuel Azerbaïdjan, cherchant à utiliser leur influence sur les minorités qui habitaient les territoires de l'adversaire pour attiser la haine et se déstabiliser mutuellement [3].

Avec l'effondrement de l'Empire Ottoman, après la Première Guerre Mondiale, les peuples arménien et azéri intégrèrent l'Union Soviétique [4]. S'ouvrit alors pour la région une longue période de paix et de développement social, pendant laquelle les différences ethnico-religieuses furent pour l'essentiel mises de côté.

Les effets de centaines d'années d'affrontements dans la région remontèrent à la surface à la fin des années 80 du XXe siècle. Bien qu'étant un territoire à majorité arménienne, le Haut-Karabakh resta dans la RSS azérie, avec toutefois un niveau élevé d'autonomie. Dans la période d'incertitude et d'effondrement économique et institutionnel qui a caractérisé la réintroduction de l'économie de marché pendant la Pérestroïka, les conflits ethniques se rallumèrent progressivement dans l'URSS et, à la suite de quelques incidents entre les deux populations, le Parlement local du Haut-Karabakh demanda en 1988 sa séparation de la RSS azérie et son intégration dans la RSS arménienne - ce qui lui fut refusé par le Soviet Suprême de l'URSS [5]. Le chaos s'installa bientôt. Les tensions devinrent des affrontements, il y eut, dans les deux républiques, des expulsions forcées de masse sur une base ethnique [6] [7] et, une fois l'URSS disparue, après la déclaration d'indépendance de l'Arménie et de l'Azerbaïdjan, une guerre se déclencha aussitôt pour la possession du Haut-Karabakh. Les combats provoquèrent des dizaines de milliers de morts, même selon les estimations les plus prudentes, parmi lesquelles des milliers de civils, et durèrent jusqu'en 1994 [8].

La guerre se conclut par un cessez-le-feu qui sanctionna une nette victoire de l'Arménie et de la république auto-proclamée du Haut-Karabakh (aujourd'hui officiellement appelée République de l'Artsakh). En effet, la région s'est déclarée Etat indépendant, mais elle est passée de fait sous contrôle arménien, tout en continuant à être considérée au niveau international comme une partie de l'Azerbaïdjan [9]. Depuis 1994, les heurts n'ont jamais cessé, même s'ils n'ont pas débouché sur une véritable guerre.

Les développements récents

L'escalade des derniers jours s'insère dans une période de tensions enflammées entre les deux adversaires : d'un côté, l'Azerbaïdjan, soutenu par la Turquie, et de l'autre, la République auto-proclamée de l'Artsakh (qui contrôle de fait une grande partie du territoire du Haut-Karabakh, bien qu'il fasse formellement partie de l'Azerbaïdjan) et l'Arménie.

Pendant le mois de juillet dernier, une lourde série d'échanges de tirs d'artillerie et d'attaques par drones sur la frontière arméno-azérie dans le district de Tovuz, qui a duré quatre jours, a fait au moins 17 morts, dont un général major azéri. Les deux parties ont revendiqué la victoire après ces escarmouches, mais, de fait, il n'y a pas eu de changements territoriaux [10] [11].

Les hostilités ont repris de façon décidément plus nette le 27 septembre, cette fois dans la zone frontalière entre la République de l'Artsakh et l'Azerbaïdjan. Il est difficile de comprendre qui a attaqué le premier, mais cette fois, à la différence des affrontements du mois de juillet, on a tout de suite assisté à l'utilisation non seulement d'armes indirectes, tels artillerie et drones, mais aussi de véhicules blindés et d'infanterie, outre la volonté délibérée des deux adversaires de frapper des équipements civils.

Dès les premiers jours des affrontements, des tirs d'artillerie ont atteint aussi bien la capitale de l'Artsakh, Stepanakert, que de nombreux villages azéris situés à proximité de la frontière, faisant des victimes civiles [12] [13] [14]. En outre, pour la première fois depuis 2016, et pour la deuxième fois depuis 1994, il y a eu des modifications de la ligne de frontière, l'Azerbaïdjan revendiquant la conquête de sept villages dans le Haut-Karabakh [15].

Le 28 septembre, l'Arménie et l'Artsakh ont déclaré la loi martiale et la mobilisation totale de la population, tandis que l'Azerbaïdjan a déclaré la mobilisation partielle. Les jours suivants, les affrontements se sont étendus à la zone de la frontière directe entre Arménie et Azerbaïdjan et les deux parties ont revendiqué la destruction de nombreuses installations militaires de l'adversaire [14] [16][17]. Les affrontements semblent avoir pris la dimension d'un véritable conflit. En outre, pour la première fois dans l'histoire des tensions, la Turquie, pays membre de l'OTAN et seule puissance à appuyer officiellement le conflit et à ne pas appeler à un cessez-le-feu, et qui était le principal soutien de l'Azerbaïdjan, a pris maintenant un rôle résolument plus actif. Le président Erdogan a en effet déclaré que « le moment est venu de mettre fin à la crise dans la région, commencée avec l'occupation (arménienne, NdlR) du Haut-Karabakh » [18] [19]. L'utilisation de drones turcs dans l'attaque de nombreux postes militaires arméniens apparaît comme confirmée, de même que l'emploi de mercenaires pro-turcs de l'Armée Syrienne Libre, secrètement transférés de la zone d'Idlib [20]. De son côté, la Russie, qui préserve principalement ses intérêts dans la région à travers l'Arménie, est le principal fournisseur d'armes des deux armées, et prévoit déjà de réussir à conclure de nombreux contrats dans un proche avenir [21].

Le 29 septembre, après seulement trois jours de combats, l'Artsakh fait état de 85 soldats tués et plus de 120 blessés, tandis que l'Arménie et l'Azerbaïdjan ne déclarent que le nombre de soldats ennemis tués, ce qui rend difficile une estimation précise.

De nombreux habitants civils des zones frontalières, de l'ordre de quelques dizaines, ont perdu la vie du fait des bombardements d'artillerie [22] [23]. En ce moment, se dessine la plus importante effusion de sang dans la région depuis la fin de la guerre de 1992-1994.

Dans les jours suivants, des drones azéris de fabrication turque et israélienne sont abattus dans l'espace aérien arménien, à proximité de la capitale Erevan [24]. Dans le même temps, l'Arménie rappelle son ambassadeur en Israël du fait du rôle de premier plan que ce pays a déjà pris en tant que fournisseur militaire de l'Azerbaïdjan [25].

Les trois gazoducs SCP, TANAP et TAP. Cliquer sur la carte pour l'agrandir

Le BTC


Nabucco et Southstream, les deux projets avortés/sabotés

L'importance stratégique du Caucase du Sud

La région du Caucase du Sud est d'une importance stratégique pour le marché de la distribution des ressources énergétiques de la mer Caspienne, et de celles provenant des pays de l'Asie Centrale vers l'Europe ; c'est pourquoi la région est, depuis les années 90, une région d'affrontements pour plusieurs centres impérialistes, régionaux (Turquie et Israël) comme mondiaux (Grande-Bretagne, USA, Italie, Russie).

La situation du Caucase du Sud est caractérisée non seulement par la position géostratégique de la région, frontière entre la zone d'influence russe et le Moyen-Orient, mais surtout par l'ensemble de structures de distribution des ressources énergétiques construites dans les 30 dernières années dans la région, qui ont fait de l'Azerbaïdjan la troisième voie d'approvisionnement pour l'Europe, avec l'Afrique du Nord et la Russie. Pour comprendre les équilibres et les rapports de force dans la région, il est donc important de comprendre dans quel contexte on est arrivé à la situation actuelle.

En 1994 est signé le premier contrat entre la société d'Etat azérie, la SOCAR, et un consortium de sociétés pétrolières géré par le monopole britannique BP (British Petroleum) pour la cession des droits de prospection et d'exploitation des gisements pétrolifères azéris dans la Mer Caspienne. L'intérêt stratégique est clairement d'utiliser les ressources énergétiques azéries pour diversifier l'approvisionnement énergétique européen, limitant l'exportation russe d'hydrocarbures vers l'Europe.

Il est utile de rappeler que la Fédération de Russie est un pays fortement dépendant de l'exportation d'hydrocarbures, qui constituent plus de la moitié de ses exportations. En 2018, sur une valeur d'ensemble des exportations d'environ 430 milliards de dollars, environ 240 étaient imputables aux exportations d'hydrocarbures. Plus de 55%.

Depuis le milieu des années 90, la région du Caucase du Sud a été un des centres de plus grande activité et donc de tension entre les monopoles du secteur énergétique. En 1997 est construit l'oléoduc qui relie les puits azéris à la ville russe de Novorossiysk, géré par la SOCAR et par le monopole russe du secteur Transneft. Mais, un an après, est terminée la construction de l'oléoduc Bakou-Supsa (géré par BP), qui en diversifie donc la distribution vers un pays, la Géorgie, qui, dès la deuxième moitié des années 90, voyait progressivement augmenter la présence de monopoles européens et américains au détriment des russes, et qui avait, dès 1994, adhéré au programme de l'OTAN dit « Partnership for Peace », qui avait l'intention déclarée d'être « un parcours devant mener à l'adhésion à l'OTAN », pour employer les termes du président US Bill Clinton. En 2005, la Géorgie lancera officiellement la procédure d'adhésion à l'OTAN.

En 1999, BP découvre le gisement de gaz naturel Shah Deniz, contenant 1 200 milliards de mètres cubes de gaz (pour donner un ordre de grandeur : dans l'ensemble, les besoins de gaz italiens tournent autour de 72 milliards de mètres cubes par an). Le gisement entre en fonction en 2006/2007, orienté vers le marché régional, avec une production limitée à l'approvisionnement énergétique intérieur et à des fournitures à la Géorgie et la Turquie. En 2006 est construit l'oléoduc BTC (Bakou-Tbilissi-Ceyhan), qui a son terminal sur la côte méridionale de la Turquie. L'opérateur de cette structure est encore une fois le monopole britannique BP et les principaux clients sont les monopoles énergétiques européens - en particulier les italiens : les fournitures azéries de pétrole brut vers l'Italie passent d'une valeur d'ensemble d'à peine plus d'un milliard de dollars par an en 2005 à 2,3 milliards en 2006, 3 milliards en 2007 et 6,4 en 2008. La construction du BTC consolide définitivement la position de l'Italie comme principal importateur depuis l'Azerbaïdjan : en effet, les monopoles italiens totalisent actuellement plus de 30% du total des exportations azéries, suivis par la Turquie (10%) et Israël (7%), eux aussi desservis par l'oléoduc BTC qui s'avère stratégique pour l'alimentation énergétique israélienne qui, en 2018, dépend pour plus de 50% des fournitures de pétrole provenant de Turquie et d'Azerbaïdjan.

Ceci explique efficacement pourquoi une partie des drones azéris opérant ces jours-ci sur le territoire arménien sont de fabrication israélienne ou utilisent des composants technologiques importés d'Israël.

L'élément le plus pertinent pour comprendre comment l'importance stratégique du Caucase du Sud gravite autour du contrôle de la distribution des ressources pétrolières et de gaz naturel azéri et de l'Asie Centrale (Turkménistan, Kazakhstan, Iran) est la deuxième phase de l'exploitation du gisement de Shah Deniz. Cette phase coïncide avec la période 2015-2020, en pleine intervention impérialiste en Syrie et en plein affrontement entre factions en Libye.

Avant 2011, la Libye exportait plus de 80% de ses ressources énergétiques vers l'Europe ; pour donner un ordre de grandeur, dans les années 2010-2011, les importations italiennes d'hydrocarbures en provenance de Libye ont diminué d'une valeur de 43 milliards à 14 (- 70%). Un important dommage pour les monopoles italiens de l'énergie, surtout l'ENI, qui a stratégiquement misé sur une augmentation de l'exploitation et du transport d'hydrocarbures depuis l'Asie Centrale (les importations du Kazakhstan ont augmenté de 300% entre 2010 et 2018).

La deuxième phase de l'exploitation du gisement de Shah Deniz tourne autour du projet du Couloir méridional du gaz (SGC-Southern Gas Corridor), soutenu par l'UE avec l'approbation des USA avec pour fonction de limiter l'opérativité des monopoles énergétiques russes que ce soit en Europe ou, dans une perspective stratégique, en Asie Centrale. Le projet comprend deux gazoducs capables, à travers la Turquie et l'Adriatique, de transporter le gaz azéri en Europe, diminuant considérablement les capacités commerciales vers l'Europe des monopoles iraniens et qataris (protagonistes, sur des fronts opposés, de l'affrontement impérialiste en Syrie).

Ces deux projets sont le TANAP (achevé en 2018) et le TAP (qui devrait entrer en fonction fin 2020).

Le TAP et la position italienne sur la question Arménie-Azerbaïdjan

Pour comprendre la position italienne et l'attitude du gouvernement italien dans le conflit azéro-arménien, il est essentiel de comprendre quels sont les intérêts dans la région des monopoles italiens, tels ENI, SAIPEM, et SNAM (principal actionnaire de TAP avec 20%, à égalité avec le monopole azéri SOCAR et le britannique BP).

L'ENI a un intérêt stratégique dans la région, comme on l'a déjà dit, il a progressivement poussé l'Italie vers une forte dépendance des ressources énergétiques azéries et kazakhs (pour les deux pays, l'Italie est le premier partenaire en valeur d'exportations) dans la mesure où il a édifié dans la région une forte présence, possédant de nombreux droits d'extraction en plus des droits d'importantes portions des infrastructures de transport de l'Asie Centrale vers l'Europe.

Les pressions du gouvernement italien pour la construction du TAP commencent presque simultanément avec la visite du président du Conseil Renzi en 2014 au Kazakhstan et au Turkménistan, où les rapports bilatéraux et la position de l'ENI dans la région ont été renforcés. Les monopoles russes dans la région, en concurrence directe avec ceux de l'Italie et de la Chine, ont peu à peu perdu des positions et de l'influence ; toutefois, celle-ci reste forte et prééminente pour d'évidentes raisons géostratégiques.

L'intérêt principal de l'ENI dans la région est de construire des infrastructures et de négocier des accords politico-commerciaux pour relier plus efficacement les ressources énergétiques kazakhs et turkmènes au "robinet azéri", c'est-à-dire à cet ensemble de gazoducs/oléoducs qui conduisent directement en Italie et, à travers l'Italie, en Europe Centrale. L'intérêt de la politique extérieure italienne est donc de préserver d'excellents rapports avec le gouvernement azéri, nécessaires pour parachever un dessein modelé sur les intérêts de l'ENI, en utilisant la convergence avec les intérêts stratégiques des autres partenaires à parts égales dans la North Caspian Operating Company (NCOC), Exxonmobil (USA), Shell (Grande-Bretagne et Pays-Bas) et Total (France) qui visent à réduire la dépendance énergétique européenne à l'égard du gaz russe, afin de conquérir de nouvelles parts du marché (qu'on peut estimer à une valeur d'entre 100 et 150 milliards de dollars par an).

Preuve des bons rapports entre l'Italie et l'Azerbaïdjan, le Président de la République Mattarella a déclaré au cours de sa visite officielle de février dernier :

"Pour l'Italie, l'Azerbaïdjan est un pays ami, et c'est un partenaire fondamental dans la région.... Avec l'achèvement des travaux du Trans Adriatic Pipeline (TAP), non seulement la collaboration entre l'Azerbaïdjan et l'Italie s'intensifie, mais c'est aussi une contribution à la stabilité et au développement des relations entre l'aire de la Caspienne et l'aire de la Méditerranée". (Pour le texte complet, voir [29]).

La position de la Fédération de Russie

La crise arméno-azérie survient évidemment dans une aire d'influence disputée aussi par la Russie, qui a d'importants investissements dans les deux pays. Les monopoles russes participent au partage des droits d'extraction de gaz et de pétrole en même temps que les monopoles européens, et ils sont fournisseurs militaires des deux parties. La position internationale de l'Azrbaïdjan est celle d'une coopération militaire active avec l'OTAN : pendant la guerre en Afghanistan et en Irak, il a en effet fourni un soutien logistique, se démarquant sensiblement de l'influence stratégique de la Fédération de Russie.

Les rapports entre Fédération de Russie et Arménie sont d'une plus grande dépendance économique et stratégique, quoique nullement stables après 2018. En 2018, la Révolution dite de Velours a porté au gouvernement l'actuel premier ministre, Nikol Pashinyan (à l'époque leader des protestations), à la grande satisfaction des USA et de l'UE, écartant de la scène politique l'ex-président Serž Sargsyan, classé comme beaucoup plus proche des intérêts du gouvernement russe. Le gouvernement russe se trouve donc dans la délicate position de devoir défendre les intérêts des monopoles russes en Azerbaïdjan, où, dans les plans européens, les Azéris devraient à moyen terme se substituer aux fournitures russes en Europe, et, en même temps, appuyer le gouvernement d'un pays stratégique dans le Caucase du Sud comme l'Arménie, qui, dans ces dernières années, s'éloignait progressivement de la sphère économique russe. Il n'est pas douteux qu'un des objectifs de l'intervention diplomatique, économique et éventuellement militaire russe dans le conflit arméno-azéri est de ramener de façon stable l'Arménie dans sa sphère d'influence stratégique et économique - éradiquer donc l'influence croissante, économique et politique, européenne et américaine en Arménie, et soutenir les efforts de celle-ci, sans toutefois porter atteinte aux forts intérêts économiques des monopoles russes en Azerbaïdjan.

De fait, ce n'est certainement pas un hasard si l'oligarque russe très proche du Kremlin et propriétaire présumé de la société de sécurité russe WAGNER, Yevgeny Viktorovitch Prigozhin, a déclaré dans une interview accordée au quotidien post-communiste turc Aydinlik (rapportée par l'agence de presse russe REGNUM) :

"Après la révolution orange de 2018, c'est-à-dire avec l'arrivée au pouvoir de Pashinyan, un nombre très élevé d'ONG américaines est apparu sur le territoire de l'Arménie. C'est là le cœur du problème", ajoutant que "Les Turcs ont pleinement le droit d'intervenir dans le conflit du Karabakh à condition de ne pas franchir la frontière arménienne" [26] [27].

Pour compléter ces informations, il convient de mentionner que, du 21 au 26 septembre (jour précédant le début des combats), se sont déroulés dans la zone les exercices russes liés à "Kavkaz-2020" (Caucase 2020), auxquels ont participé des formations militaires terrestres et navales d'Arménie, Biélorussie, Chine, Myanmar, Pakistan et Iran. Les exercices se sont concentrés dans le Caucase du Nord, dans la Mer Caspienne et en Arménie (avec l'activité des seules forces russes et arméniennes) [28].

La position de la Turquie

La position du gouvernement turc sur le conflit militaire de ces derniers jours a immédiatement été de soutenir les efforts militaires du gouvernement azéri ; en effet c'est le seul qui n'ait pas officiellement réclamé la possibilité d'ouvrir des négociations. La raison en est que les monopoles turcs ont l'évidente nécessité de modifier le statu quo dans la zone, et acquérir un plus grand poids politico-économique en Azerbaïdjan, à faire valoir aussi sur d'autres scènes (Libye et Méditerranée orientale).

La position acquise par la Turquie avec la réalisation des gazoducs TANAP-TAP (un des résultats directs du protagonisme turc dans le contexte de l'intervention impérialiste en Syrie de 2012 à aujourd'hui) est sans nul doute celle d'une certaine capacité à négocier en ce qui concerne la confrontation avec les monopoles européens (surtout italiens et britanniques) et les monopoles russes.

Le premier ministre Erdogan a déclaré ces jours derniers que "la Turquie restera par tous les moyens aux côtés de l'Azerbaïdjan, pays ami et frère", et la destruction arménienne d'au moins un chasseur turc, de même que la nouvelle de la présence aux côtés des troupes azéries de milices islamistes liées à l'organisation des Frères Musulmans (ASL et d'autres groupes provenant de Tchétchénie et du Daghestan) laissent peu de doutes sur l'implication directe du gouvernement turc.

La nécessité immédiate et déclarée des monopoles turcs aujourd'hui est d'obtenir la reconnaissance de droits d'extraction dans la Méditerranée orientale, dans la ZEE, pour acquérir l'assurance de leur intégration au moins partielle dans le système de transport énergétique de ce qu'on a appelé le "couloir méridional du gaz", et de ne pas rester exclus des projets de réalisation du gazoduc EastMed qui aura pour fonction de diversifier ultérieurement les sources d'approvisionnement européen et qui aujourd'hui constitue la base des récentes excellentes relations entre la Grèce, Israël et l'Égypte.

La stratégie énergétique turque prévoit en effet que le pays devienne un protagoniste des routes commerciales du gaz, non seulement à travers le couloir du gaz méridional, mais aussi à travers le Turkstream qui vient d'être réalisé, par lequel les monopoles russes peuvent s'insérer dans le réseau de distribution vers l'Europe, avec une capacité de 31 milliards de mètres cubes par an, sans passer par les gazoducs ukrainiens.

Il est central, dans la stratégie des monopoles turcs, de ne pas être exclus de l'éventuelle réalisation du projet EastMed ou simplement d'en saper la faisabilité, et de préserver des rapports stables avec les pays clés de la région, comme précisément l'Azerbaïdjan, en renforçant leur influence politique et leur présence économique dans ces pays.

Au XXIème siècle, l'image animée est devenue une arme de guerre en temps réel. C'est ce qu'a bien compris le régime azerbaïdjanais. Son ministère de la Défense a publié 1320 vidéos depuis 20115 sur son site ouèbe trilingue (azérie, russe, anglais) et sur sa page youtube, dont 100 depuis 2 semaines. Des dizaines de vidéos comme celle-ci montrent les prouesses des drones turcs Bayraktar TB2 et israéliens Harop contre des cibles arméniennes. Des dizaines de supporters turcs, ukrainiens et israéliens republient à leur tour ces vidéos sur leurs pages. De leur côté, les Arméniens, dont le site du ministère de la Défense est hors ligne depuis fin septembre, n'ont à offrir que des vidéos peu suceptibles de devenir viraux.[NdE]

Notes

[1]:  britannica.com

[2]:  britannica.com

[3]:  bakucity.preslib.az

[4]:  journals.openedition.org

[5]:  britannica.com

[6]:  ilfattoquotidiano.it  baku-simbolo-di-una-guerra-cristallizzata-nel-tempo-non-ci-arrenderemo-mai/5642693

[7]:  assembly.coe.int

[8]: en.wikipedia.org

[9]: en.wikipedia.org

[10]:  lordinenuovo.it

[11]:  arkansasonline.com

[12]:  bbc.com

[13]:  oc-media.org  attack

[14]:  thedrive.com

[15]:  trtworld.com

[16]:  tass.com

[17]:  bangkokpost.com

[18]:  trtworld.com

[19]:  hurriyetdailynews.com

[20]:  theguardian.com

[21]:  militarywatchmagazine.com

[22]:  reuters.com

[23]:  b92.net

[24]:  rbc.ru.

[25]:  lenta.ru

[26]:  aydinlik.com.tr

[27]:  regnum.ru

[28]:  eng.mil.ru

[29]:  quirinale.it

Courtesy of  Tlaxcala
Source:  senzatregua.it
Publication date of original article: 05/10/2020

 tlaxcala-int.org

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