15/11/2020 reseauinternational.net  9min #181663

 Poutine détaille les modalités de l'accord sur la fin des hostilités au Haut-Karabakh

Arménie, Azerbaïdjan, Turquie : Poutine en seul arbitre

par Hélène Nouaille.

C'est fait : l'Arménie et l'Azerbaïdjan ont posé les armes. C'est l'agence Tass qui l'annonçait, « le 9 novembre, le président russe Vladimir Poutine, le président de l'Azerbaïdjan Ilham Aliev et le premier ministre arménien Nikol Pachinian ont signé une déclaration conjointe de cessez-le-feu total au Haut-Karabakh à compter du 10 novembre »  1. Et Vladimir Poutine précisait que les deux parties « garderaient les positions qu'elles tenaient et que des forces russes seraient déployées dans la région ». Forces qu'on a vues immédiatement sur place, à savoir « 1 960 soldats, 90 véhicules blindés de transport de troupes et 380 véhicules et unités d'équipements spéciaux ». En annonçant l'entrée des Russes dans la ville de Stepanakert, « capitale » de l'enclave séparatiste, le porte-parole du ministère de la Défense russe précisait encore : « dix postes d'observation ont été établis le long de la ligne de contact dans le Haut-Karabakh et le couloir de Lachin » (voir absolument la carte ci-dessous, très claire).

Ainsi, résumait pour Le Monde Rémy Ourdan  2, « il y a désormais un arbitre dans les montagnes karabakhtsies, et il est russe ». Il a fallu six semaines, au moins 1300 morts (essentiellement des combattants, peut-être beaucoup plus), des destructions considérables (hôpitaux, écoles, ponts etc.), peut-être 600 000 déplacés et trois tentatives avortées de cessez-le-feu, toutes sous l'égide de Moscou, pour établir l'arbitre russe.

Dont nous nous demandions ici, à l'observer depuis le 27 septembre et le début des combats, pourquoi il ne défendait pas plus l'Arménie, où il dispose d'une base militaire (base 102 à Gyumri, au nord-ouest du pays). Et ce qu'il pensait de l'activisme turc, boute feu et allié de l'Azerbaïdjan. De fait, explique l'historienne franco-russe Galia Ackerman à France 24  3, il faut savoir que le Haut-Karabakh, ancien oblast soviétique peuplé d'Arméniens mais intégré à la République soviétique de l'Azerbaïdjan, ne l'intéresse pas vraiment. Dès avant la chute de l'URSS en 1991, le Haut-Karabakh déclare en 1988 se retirer de l'Azerbaïdjan. Puis il affirmera son indépendance sans être reconnu par personne. C'est déjà la Russie qui obtient l'arrêt des combats qui ont éclaté en 1994. « Le Haut-Karabakh, qu'il soit sous contrôle azéri ou arménien, n'est pas une priorité pour Vladimir Poutine », expliquait donc l'historienne. « Pour le président russe, laisser cette guerre suivre son cours était un moyen de se débarrasser de Pachinian et de renverser la situation en Arménie ». En effet, précise-t-elle, « l'Arménie fait partie de l'Organisation du traité de sécurité collective », OTSC (Russie, Arménie, Biélorussie, Kazakhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan et Tadjikistan). « S'il avait voulu intervenir, Poutine avait la possibilité de le faire et de renverser le cours des évènements ».

Peut-on comprendre ? Le premier ministre arménien Nikol Pachinian, pro-occidental et antirusse, est arrivé au pouvoir en 2018, après une sorte de « révolution de couleur » sans violence. Révolution soutenue financièrement par la fondation du milliardaire George Soros, Open Society, qui opère en Arménie depuis 1997. Lequel George Soros publiait d'ailleurs le 4 mars 2020 dans le Financial Times une tribune qui provoquait l'ire de la presse arménienne. Traduit par Courrier International  4, le Golos Armenii enjoignait Nikol Pachinian de « lancer immédiatement un audit de toutes les organisations financées par Soros en Arménie » pour « mettre à nu les agents de la Turquie, sponsorisés par celui qui, sous couvert de construction d'une société civile ouverte", »n'aspire qu'à "détruire l'Arménie de l'intérieur" ». Accusations dont la branche arménienne de la Fondation se défendait avec ardeur en janvier de cette année  5, tout en reconnaissant avoir octroyé, au cours des deux dernières décennies, quelque « 53 millions de dollars de subventions à des organisations non gouvernementales et à des particuliers arméniens ». Rien qui puisse convenir à Vladimir Poutine. C'est dans ce contexte, précise l'historienne Galia Ackerman, que « Nikol Pachinian a été élu suite à un soulèvement populaire ». En outre, il « commençait à se sentir un peu trop indépendant aux yeux des Russes. Il a notamment remplacé quelques personnes de ses services de sécurité pro-Moscou ».

Arguant « que la sécurité de l'Arménie en elle-même n'était pas en jeu », Vladimir Poutine a donc laissé parler les armes - l'Azerbaïdjan reprenant le contrôle d'un glacis établi depuis 30 ans autour de la République autoproclamée, plus quelques territoires, avant que le président russe ne siffle la fin de la partie. En installant donc ses hommes sur place et en garantissant qu'un corridor reliera toujours la partie restante du Haut-Karabakh à l'Arménie (voir la carte). Et qu'il n'y aura sur place aucune force turque.

Justement, la Turquie et son activisme. Selon l'AFP, relayée par Le Monde  6, « l'accord mettant fin aux hostilités ne fait pas mention d'un quelconque rôle turc dans sa mise en œuvre. Mais Ankara, allié de Bakou, affirme qu'il contrôlera conjointement avec Moscou l'application du cessez-le-feu. Un mémorandum sur la création d'un centre conjoint de contrôle a été signé mercredi soir lors d'une cérémonie virtuelle par les ministres de la défense de la Russie et de la Turquie, selon Ankara ». On sait qu'Ankara est intervenu pour l'Azerbaïdjan sur le plan militaire, en expédiant au combat des Syriens pro-Turcs, des mercenaires, selon les observateurs du terrain qui avancent un chiffre de 850 - ce que démentent et Bakou (capitale de l'Azerbaïdjan) et Ankara alors que Vladimir Poutine exprimait au contraire sa « préoccupation ». Bien sûr, Recep Tayyip Erdogan sort renforcé de l'épisode au moins devant son pays qui souffre d'une forte récession économique et qui est agité de mouvements divers. Il se targue donc de pouvoir « contrôler » l'application du cessez-le-feu depuis un centre d'observation conjoint avec les Russes. Ce à quoi la porte-parole de la diplomatie russe Marie Zakharova répond que ce centre « sera basé sur le territoire de l'Azerbaïdjan » et « n'a rien à voir » avec les forces de maintien de la paix déployées au Haut-Karabakh.

En réalité ? Erdogan confirme son pouvoir de nuisance partout dans la région, bien sûr. Mais de fait, s'il lui venait à l'idée de s'en prendre à l'Arménie, qui, profondément déstabilisée, devra se relever, c'est aux Russes qu'il aurait à faire face, et non plus à une armée arménienne mal préparée et lâchée par l'Occident.

Parce que, direz-vous, qu'a fait le groupe de Minsk (Russie, France, Etats-Unis, créé en 1992) qui aurait dû être en première ligne sur ce dossier ? Rien de décisif, les Etats-Unis n'étant pas intéressés et la France restant impuissante, bien que le président Macron ait proposé dès le 27 septembre, selon l'agence Tass  7, d'apporter son aide à la résolution du conflit, proposition qu'il maintient ce 13 novembre. A telle enseigne que le groupe de Minsk n'est pas même cité dans la déclaration de cessez-le-feu. Toutefois, selon le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, « des diplomates français et américains sont également attendus prochainement à Moscou pour des discussions au sujet du Haut-Karabakh »  6. Et probablement aussi pour suivre la situation en Arménie, où l'annonce de la défaite a provoqué de forts remous. Nikol Pachinian s'est longuement exprimé le 12 novembre pour expliquer le cessez-le-feu  8, alors que, remarquait Rémy Ourdan pour Le Monde  2 « durant quarante-quatre jours de guerre, on a menti à son peuple sur la réalité du champ de bataille : l'incompréhension et la colère se sont emparées d'Erevan dans la nuit de lundi 9 à mardi 10 novembre (...). A force de publier tous les jours des communiqués de victoire, de ne préparer le pays à l'idée ni d'une défaite militaire ni d'une perspective d'accord politique, le gouvernement arménien a perdu sa crédibilité ».

Voilà qui ne sera pas pour déplaire à Vladimir Poutine. Qui a réussi en sus, au moins jusqu'ici, à trouver, sans l'Occident, un accord pour arrêter un conflit meurtrier, à maintenir son entente avec l'Azerbaïdjan auquel il vend des armes, à prendre pied au Haut-Karabakh avec ses soldats, à contenir les Turcs d'Erdogan. Bien sûr la situation n'est pas stabilisée. Notamment parce que l'accord prévoit que les Azéris (600 000 ?) peuvent regagner les territoires repris par l'Azerbaïdjan - où ne vivent que 150 000 Arméniens alors qu'on sait, dans cette région, ce que veut dire épuration ethnique. Et puis, si les Démocrates reviennent au pouvoir à Washington, reviendront-ils à leur pratique des révolutions de couleur ? Donald Trump s'en était abstenu, comme il s'est abstenu d'entreprendre aucune guerre. En attendant, Vladimir Poutine reprend la main sur son étranger proche dans le sud-Caucase.

Il y reste à ce jour le seul arbitre.


[1] Agence Tass, le 12 novembre 2020, Russian peacekeepers enter Stepanakert

[2] Le Monde, le 12 novembre 2020, Rémy Ourdan, Poutine scelle la défaite de l'Arménie après l'accord de « cessez-le-feu total » avec l'Azerbaïdjan

[3] France 24, le 11 novembre 2020, Romain Houeix, Haut-Karabakh : Vladimir Poutine reprend le contrôle de l'Arménie

[4] Courrier International, le 20 octobre 2020, Alda Engoian, L'argent de Soros se dresse entre l'Arménie et la Russie

[5] NH Hebdo, le 31 janvier 2020, Achod Papasian, La Fondation Soros en Arménie dénonce une « campagne de diffamation »

[6] Le Monde/AFP, le 12 novembre 2020, En Arménie, des membres de l'opposition n'acceptant pas l'accord sur le Haut-Karabakh arrêtées

[7] Agence Tass, le 13 novembre 2020, French President Macron says ready to assist in Nagorno-Karabakh conflict settlement

[8] Arménie Magazine, le 12 novembre 2020, Discours de Nikol Pachinian : « Cet accord n'envisage pas une solution de fond à la question de l'Arktsakh. Il implique seulement une cessation des hostilités »

source :  comite-valmy.org

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