Nick Kaufman ניק קאופמן نيك كوفمان
L'annonce la semaine dernière par la procureure de la Cour pénale internationale, Fatou Bensouda, de l'ouverture d'une enquête contre Israël pour crimes de guerre n'a surpris aucun avocat du gouvernement. Après tout, lorsqu'elle a déposé sa demande de décision préliminaire, il y a près d'un an, Bensouda a déclaré que toutes les conditions préalables à l'ouverture d'une enquête étaient remplies, sous réserve d'une décision judiciaire sur la question de la compétence territoriale. En conséquence, lorsque la chambre préliminaire de la CPI a décidé que les dispositions du Statut de Rome s'appliquaient à la Cisjordanie et à la bande de Gaza, l'ouverture officielle d'une enquête n'était qu'une question de temps.
D'après ma connaissance personnelle de Mme Bensouda - qui était auparavant ma supérieure directe à la Cour - et de la personne qui la remplacera, Karim Khan, ni l'une ni l'autre ne cherchera à prendre des décisions hâtives dans la situation en Palestine. On ne pouvait pas en dire autant du procureur précédent - Luis Moreno-Ocampo. Tous deux sont attentifs, voire sensibles, à l'opinion publique et aux points de vue des victimes des deux camps.
Toutefois, lorsque le Premier ministre Benjamin Netanyahou a affirmé que la CPI était entachée d'antisémitisme et qu'elle se concentrait de manière préjudiciable sur Israël, à l'exclusion de l'Iran et de la Syrie, Mme Bensouda a répondu de manière inhabituellement directe, en rejetant catégoriquement l'accusation. En effet, les juristes internationaux ont utilisé le terme de « whataboutism »* pour désigner cette plainte selon laquelle d'autres États ne font pas l'objet d'une enquête. Une telle allégation de partialité est totalement infondée. La Cour n'est tout simplement pas en mesure d'enquêter sur les crimes commis en Iran et en Syrie parce que ces pays ne sont pas des États parties au Statut de Rome. De même, la Cour ne cherche pas à enquêter en Israël, mais plutôt sur le territoire d'une entité qui est, en fait, une fiction juridique appelée « État de Palestine aux fins du Statut de Rome ».
Au cours de la prochaine étape de la procédure, Mme Bensouda sera tenue d'envoyer des lettres de notification, conformément à l'article 18.1 du Statut de Rome, à tous les États parties au Statut de Rome et même aux États qui n'y sont pas parties, à sa discrétion. Dans ces lettres, elle invitera ces États - y compris Israël - à enquêter sur les crimes présumés à la place de son bureau. La raison d'une telle invitation tient au fait que la CPI fonctionne selon le principe de complémentarité et est obligée d'accorder la primauté aux enquêtes et aux poursuites nationales dans les pays où la compétence est naturellement établie. En d'autres termes, la Cour, conformément à son statut, fonctionne comme une institution de dernier recours et ne s'occupera pas de soupçons de crimes de guerre lorsqu'il y a un État qui est à la fois disposé et intéressé à enquêter sur ces crimes.
À compter de la date de réception d'une telle lettre, Israël disposera d'un mois pour décider s'il accepte l'invitation de la procureure. Si Israël choisit de récupérer l'enquête - un processus appelé « deferral » (report) - la procureure n'aura pas la possibilité de s'y opposer, sauf si elle estime que l'enquête proposée sera une imposture. Dans ce cas, elle demandera aux juges du tribunal de trancher la question. Si les autorités israéliennes acceptent l'offre de report, elles seront sous la surveillance périodique du Bureau du procureur à La Haye, mais au moins elles seront libérées de la menace de mandats d'arrêt internationaux.
Bien que le processus de report semble attrayant, il s'accompagne de quelques problèmes concernant sa mise en œuvre. On n'oubliera pas que Bensouda a identifié deux catégories de crimes présumés : l'utilisation non proportionnelle de la force militaire et l'entreprise de colonisation. En ce qui concerne la première catégorie, on peut supposer qu'Israël n'aurait aucun problème à récupérer une enquête sur les événements découlant des opérations militaires de 2014 des forces de défense israéliennes et les incidents associés aux manifestations le long de la barrière de sécurité dans la bande de Gaza. Cependant, en ce qui concerne l'entreprise de colonisation, Israël ne sera pas compétent pour enquêter sur une politique qui remonte à des années et qui n'est même pas définie comme une infraction pénale dans sa législation nationale.
Le moment choisi pour l'annonce de la procureure est particulièrement problématique. La procureure n'est pas insensible à la politique intérieure israélienne et était certainement consciente que Netanyahou utiliserait son annonce pour alimenter sa campagne électorale. Si Bensouda devait envoyer les lettres de notification dans les prochains jours, avant l'élection du 23 mars, Israël devra formuler sa politique vis-à-vis du report au moment où un nouveau gouvernement est en train d'être formé et où la personne qui le dirigera est choisie. Ces lettres de notification sont, en règle générale, envoyées confidentiellement quelques jours après l'annonce officielle de l'ouverture d'une enquête.
En conséquence, il est dans l'intérêt d'Israël de préciser, par les voies diplomatiques reconnues, que les lettres ne doivent pas être envoyées tant qu'un nouveau gouvernement n'est pas en place. Après tout, un nouveau gouvernement pourrait envisager plus favorablement la possibilité de relancer l'enquête nationale sur divers incidents d'utilisation non proportionnelle de la force militaire. En outre, il n'est pas inconcevable et même souhaitable qu'un nouveau gouvernement cherche à reporter une enquête sur l'entreprise de colonisation dans le contexte de nouvelles négociations de paix. Une telle démarche pourrait être accueillie favorablement par le Bureau du Procureur de La Haye, qui encourage depuis des années une politique qu'il appelle la « complémentarité positive » - à savoir, exploiter la menace de poursuites internationales afin de persuader les parties à un conflit de déposer les armes.
Dans ces circonstances, il serait regrettable qu'Israël rate l'occasion du report qui pourrait fournir l'excuse idéale pour relancer les pourparlers de paix avec les Palestiniens. Toutefois, si Israël laisse passer une telle occasion, il ne faudra pas s'étonner si, à une date ultérieure, la Cour laisse entendre que le gouvernement ne peut s'en prendre qu'à lui-même pour l'exportation du processus judiciaire vers La Haye.
NdT
*Le whataboutism, ou whataboutery, parfois francisé en whataboutisme, est un sophisme visant à dévier une critique par des références à d'autres griefs réels ou présumés. L'Oxford English Dictionary définit ce terme comme une « technique ou pratique consistant à répondre à une accusation ou question difficile en faisant une contre-accusation ou en évoquant un problème différent ». Il vient de l'expression anglaise « what about...? » (« qu'en est-il de... ?), qui a pour but de détourner la conversation vers un sujet différent. C'est un argument rhétorique « ad hominem » de type « tu quoque » qui vise à attaquer l'orateur sans répondre à son argument.
Prenez place
Dessins de Carlos Latuff
Courtesy of Tlaxcala
Source: haaretz.com
Publication date of original article: 10/03/2021