04/04/2021 les-crises.fr  5 min #187802

Biden qualifie Poutine de «tueur» et déclare que le président russe n'a «pas d'âme»

« Poutine le tueur sans âme » : Quand la diplomatie américaine préfère la provocation à la défense des intérêts réels du peuple américain

Source :  Responsible Statecraft, Anatol Lieven

Traduit par les lecteurs du site Les Crises

President Biden (Naresh777/Shutterstock) and Russian President Vladimir Putin (Sasa Dzambic Photography/Shutterstock)

L'administration Biden a créé une confrontation totalement inutile avec la Russie à un moment où des relations de travail raisonnables avec Moscou sont extrêmement importantes pour atteindre deux objectifs immédiats et clés de l'administration : réintégrer l'accord nucléaire avec l'Iran, et un accord de paix en Afghanistan facilitant le retrait militaire américain de ce pays et la fin de la plus longue guerre de l'Amérique.

L'approche de l'administration combine un grand nombre des erreurs commises par les fonctionnaires, les politiciens et les médias de Washington ces dernières années. Tout d'abord, vous disposez d'un rapport des services de renseignement fondé sur des preuves que le public ne peut pas voir et qui indique qu'il est « probable » que le gouvernement russe ait ordonné des tentatives d'influence sur les élections. Ce rapport est ensuite transformé par l'administration et une grande partie des médias en une certitude absolue. Dans une récente interview accordée à ABC News, Biden déclare que Poutine « paiera le prix » pour ce que le rapport affirme que son gouvernement a fait. Comme d'habitude, on personnalise la question en attribuant la décision à Poutine lui-même, et la déclaration des États-Unis est accompagnée d'un langage gratuitement insultant qui risque d'offenser même de nombreux opposants russes à Poutine. Personne ne se souvient-il du conseil de Teddy Roosevelt - qui n'était pas un tendre avec la sécurité des États-Unis - de parler doucement et de porter un gros bâton ?

La qualification publique par le président Biden du président Poutine comme un « tueur » n'ayant « pas d'âme » dans cette interview rappelle ce qui a été décrit comme « l'anti-diplomatie » du président Trump et des membres de l'administration George W. Bush - une volonté apparemment délibérée à aggraver les relations avec d'autres États ; mais ici, cela émane d'une administration qui était censée restaurer la dignité et les bonnes manières dans la conduite des relations étrangères des États-Unis.

Pendant ce temps, le porte-parole de Poutine, Dmitri Peskov, a qualifié cette expression « tueur » de « très mauvaise déclaration du président américain, » révélant « qu'il ne veut pas normaliser les relations. »

Il est peut-être vrai que Poutine est « un tueur » mais rappelons-nous le nombre d'alliés actuels ou potentiels des États-Unis auxquels ce terme pourrait s'appliquer aujourd'hui. Mais surtout, en quoi le fait de proférer des insultes personnelles sert-il les intérêts de l'État et du peuple américains ? Plus dangereux encore est l'extraordinaire aveuglement et le manque de lucidité - un manque si profond qu'il va plus loin encore que le terme « d'hypocrisie » - de Washington qui condamne d'autres pays pour avoir tenté d'influencer la politique américaine et qui lance des représailles contre eux.

Personne ne prétend que la Russie a essayé de pirater les ordinateurs des élections pour en modifier le résultat, qu'elle a divulgué des secrets d'État américains ou qu'elle a fait quoi que ce soit qui puisse réellement être considéré comme ayant sérieusement affecté le résultat - contrairement, par exemple, au travail des conseillers américains sur le terrain en Russie pour soutenir le gouvernement Eltsine dans les années 1990.

En substance (en supposant que les allégations soient vraies), la Russie a fait ce que font ce pour quoi des milliers de lobbyistes de Washington sont payés pour passer leur temps à faire (en toute légalité) : influencer les politiciens, les médias et les politiques des États-Unis en faveur de certains gouvernements étrangers.

Surtout, les administrations américaines successives ont soutenu d'énormes opérations d'influence en Russie (et en Iran, en Chine et ailleurs) visant ouvertement à affaiblir le gouvernement en place et à renforcer l'opposition. Ces opérations ont parfois été menées par des diplomates comme l'ambassadeur Michael McFaul, ouvertement ou officieusement. Elles ont été menées en permanence et ouvertement par des médias et des institutions financés par le Congrès, notamment Radio Liberty, Voice of America et le National Endowment for Democracy, qui ont pratiquement servi d'organes de presse à l'opposition russe.

Mettons de côté pour un instant la question des méfaits ou non du gouvernement russe et ses vertus ou non, et regardons la simple réalité. Un groupe de personnes ayant l'expérience de la politique étrangère de l'équipe Biden doit certainement comprendre que si des gouvernements étrangers sont attaqués de cette manière, ils sont tenus de riposter.

Le rôle de la diplomatie américaine est de défendre les intérêts réels de l'État et du peuple américains, et non de lancer des insultes, même si cela peut faire plaisir à une administration. Ces intérêts sont mieux servis par une combinaison de force et de sérénité ; et les États-Unis sont encore suffisamment forts pour pouvoir se permettre de se comporter calmement, même en cas de provocation.

Source :  Responsible Statecraft, Anatol Lieven, 18-03-2021

Traduit par les lecteurs du site Les Crises

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