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CHRONIQUE - Danièle Obono, député de La France Insoumise a eu raison de quitter le plateau de la chaîne i24news jeudi 20 mai après avoir a été accusée d'être membre d'un parti politique « antisémite ». parce qu'elle avait tenu des propos antisionistes. L'amalgame entre antisionisme et antisémitisme est en effet insupportable.
Pourtant cet amalgame a failli être validé par la loi. Souvenons-nous : Au cours du dîner annuel du Conseil représentatif des institutions juives de France, le 20 février 2019 à Paris, le président Emmanuel Macron avait annoncé que la France allait adopter dans ses textes de référence la définition de l'antisémitisme validée par l'Alliance internationale pour la mémoire de l'Holocauste, c'est-à-dire élargie à l'antisionisme. L'antisionisme est « une des formes modernes de l'antisémitisme », avait affirmé le chef de l'État français. Dans la foulée de la déclaration présidentielle, Sylvain Maillard, député de La République en Marche avait osé présenter un projet de loi permettant de « sanctionner » pénalement l'antisionisme. Heureusement, cette proposition n'a pas été retenue. Il n'en reste pas moins - et l' "incident Obono » le montre encore une fois - que la confusion entre antisémitisme et antisionisme continue à troubler les esprits en France.
Il convient donc de rappeler non seulement que les premiers antisionistes dans l'histoire ont été des juifs, mais encore qu'ils avaient parfaitement anticipé les méfaits qu'allait engendrer le sionisme.
En effet, si le premier congrès sioniste s'est tenu à Bâle du 29 au 31 août 1897, c'est parce que la communauté juive allemande n'en voulait pas à Munich, où il avait, d'abord, été programmé. Aux yeux d'un Ludig Geiger, rédacteur en chef du journal allemand Allgemeine Zeitung des Judentums (« Journal général du judaïsme »), il était impossible pour des juifs allemands de participer au mouvement sioniste, car ils ne reconnaissaient qu'un seul peuple, le « Volk » germanique.
Aux lendemains du premier congrès sioniste, un organisme juif français, l'Alliance israélite universelle, lance cet avertissement prémonitoire : l'idée de la reconstitution d'un État juif au cœur du monde arabe, non seulement « met en danger les communautés juives vivant en terre d'islam, mais constitue une régression et un retour en arrière vers les temps où les juifs vivaient coupés de leurs voisins et formaient "une race" ».
De même, de nombreux juifs anglais se sont opposés dès l'origine aux termes de la « déclaration Balfour » du 2 novembre 1917, selon laquelle « le gouvernement de Sa Majesté (britannique) envisage favorablement l'établissement, en Palestine, d'un foyer national pour le peuple juif ». Dans une lettre publiée le 17 mai 1917 par le quotidien The Times, le président du Jewish Board of Deputies, David Lindo Alexander, et le président de l'Anglo-Jewish Association, Claude Montefiore, tous deux hommes d'influence et de grande fortune, écrivent qu'ils ne peuvent soutenir le schéma politique du sionisme, car les juifs, à leurs yeux, forment une communauté religieuse. Par conséquent, ils s'opposent à la création d'« une nationalité séculière juive qui se fonderait sur un vague et obscur principe de race et de particularité ethnologique ».
Claude Montefiore, petit neveu du baronnet et philanthrope Moses Montefiore, remet le couvert dans un opuscule intitulé Les Dangers du sionisme : « Nous savons que les sionistes s'obstinent à affirmer que les juifs, même hors de Palestine, possèdent une nationalité propre. Et nous savons à quel point les antisémites sont d'accord avec les sionistes. »
En 1919, en marge de la conférence de paix de Versailles, au moment où est discuté le sort de la Palestine, le président de l'Alliance israélite universelle Sylvain Lévi souligne les problèmes inévitables que susciterait l'établissement d'une entité juive : la Palestine, argumente-t-il, est un pays exigu habité par plus de 600 000 Arabes, elle ne pourrait recevoir tous les émigrés juifs européens qui désireraient y vivre sans que les premiers ne fussent dépossédés par les nouveaux venus. De plus, explique-t-il, l'existence d'une telle entité introduirait partout dans le monde juif le principe dangereux de la double allégeance.
En 1930, Sigmund Freud écrivait à son ami Albert Einstein : « Je ne peux trouver en moi l'ombre d'une sympathie pour cette piété fourvoyée qui fabrique une religion nationale à partir du mur d'Hérode, et pour l'amour de ces quelques pierres, ne craint pas de heurter le sentiment des populations indigènes » (lettre du 26 février).
On pourrait multiplier les références qui aboutiraient au même résultat : toute une série de penseurs juifs parmi les plus éminents ont considéré que le sionisme avait des aspects antisémites ou nourrissait lui-même l'antisémitisme. Certes, depuis la découverte des horreurs hitlériennes, cet antisionisme juif s'est longtemps tu pour des raisons bien compréhensibles. Mais le raisonnement qu'il a tenu pendant plus d'un siècle n'a rien perdu de sa valeur, dans une actualité qu'il avait lui-même prophétisée.
Et il renaît donc aujourd'hui à cause de la politique scandaleuse menée par le gouvernement israélien. Une politique que, par exemple, le chroniqueur Dana Milbank, un fidèle du rabbin américain Danny Zemel (lui-même petit-fils du rabbin Solomon Goldman, leader sioniste américain des années 1930), avait dénoncé de manière véhémente dans un article publié le 21 septembre 2018 dans le Washington Post et intitulé « Les juifs américains contemplent Israël avec horreur». Et l'on pourrait multiplier ce genre de citations, tant la politique de Netanyahou a suscité d'indignations en Israël comme dans la diaspora.
Si assurément, aujourd'hui en France, beaucoup d'antisémites, et de la pire espèce, se sont recyclés dans l'antisionisme, cela ne saurait donc servir de justification à un amalgame insultant pour tous les juifs qui ont dénoncé le sionisme et continuent de s'y opposer.