Deux anciens prisonniers français de Guantanamo ont saisi le 12 juillet la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) après la confirmation en janvier par la Cour de cassation du non-lieu rendu par les juges d'instruction dans une enquête pour «tortures».
Nizar Sassi et Mourad Benchellali ont été arrêtés en Afghanistan après les attentats du 11 septembre 2001, puis détenus jusqu'en 2004 sur la base militaire américaine de Guantanamo, installée à Cuba, avant d'être libérés et de retourner en France où ils ont été condamnés en 2007 à un an de prison ferme pour «association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste».
Dans leur recours auprès de la CEDH, ils contestent la décision de la justice française selon laquelle, quand bien même les infractions imputées à des militaires américains seraient établies, ceux-ci ne pourraient faire l'objet de poursuites à titre individuel, car étant des «représentants de l'Etat agissant à ce titre».
L'ordonnance de non-lieu rendue en 2017 par une juge d'instruction a été confirmée par la cour d'appel de Paris en décembre 2019, puis par la chambre criminelle de la Cour de cassation en janvier 2021.
«La Cour de cassation envoie un signal extrêmement grave aux victimes de torture en proclamant que le crime de torture, qui touche en plein cœur à la dignité humaine, relève de l'exercice de la souveraineté d'un Etat... Elle nie ainsi le droit aux victimes de torture de demander justice dans leur propre pays. En d'autres termes, la Cour de cassation organise ainsi les conditions de l'impunité autour des crimes les plus graves», avait alors déclaré Jeanne Sulzer, responsable de la commission Justice internationale à Amnesty International France.
«[Cette] décision est à l'envers du droit international», estiment les avocats des deux Français, Me William Bourdon et Apolline Cagnat, cités par l'AFP. «La torture ne peut constituer un acte de souveraineté assurant à ses auteurs leur impunité, et le principe d'immunité ne doit pas avoir pour conséquence de couvrir les violations les plus graves des droits humains», considèrent-ils.
«Nous attendons de la CEDH qu'elle mette un terme à cette impunité des agents publics étrangers quand ils commettent les crimes internationaux les plus graves, comme cela a été le cas à Guantanamo», ajoutent les deux conseils.
Flashs de lumière, musique assourdissante, interrogatoires violents : les autorités américaines sur le banc des accusés
Nizar Sassi et Mourad Benchellali accusent les autorités américaines de «séquestration», «détention arbitraire» et «actes de torture».
Ils affirment avoir subi de multiples sévices au cours de leur détention : musiques assourdissantes ou flashs de lumière, interrogatoires violents à toute heure, privation de sommeil, détention dans des cages grillagées de petite taille, etc.
Pendant l'enquête, ils avaient sollicité l'audition en France de l'ex-président américain George W. Bush et de son ex-secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld ( décédé fin juin), sans obtenir gain de cause.
Ils avaient aussi demandé - sans succès non plus - la convocation du commandant de la base de Guantanamo de 2002 à 2004.
Ouvert en 2002 peu après l'arrestation des premiers djihadistes dans le cadre de l'intervention américaine en Afghanistan, qui a répondu aux attentats du 11 septembre 2001, Guantanamo a abrité jusqu'à 780 prisonniers.
Déjà annoncée sous le mandat d'Obama, la fermeture de la prison de Guantanamo fait partie des promesses affichées par son ancien secrétaire d'Etat, aujourd'hui président des Etats-Unis : Joe Biden. Pour rappel, Donald Trump avait pour sa part signé en janvier 2018 un décret pour maintenir le camp de détention en activité.
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