18/01/2022 2 articles dedefensa.org  8 min #200800

La politique des « temps de la rage »

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• Articles du 18 janvier 2022. • La politique de la rage et le temps de la rage : jamais un mot n'a aussi bien qualifié une époque que le mot "rage", valable autant en français qu'en anglo-américain. • D'ailleurs, les deux pays, la France et les États-Unis, suivent un chemin parallèle à cet égard : celui de la rage et de la fureur en même temps que la radicalisation ne cesse de s'affirmer. • Mais cette rage est finalement bien ce qu'elle doit être pour correspondre à l'époque : la rage de l'impuissance, et elle vient du Système. • Contributions : dedefensa.org et Jonathan Turley.

Le mot "rage" qui, hors de la maladie mortelle touchant essentiellement les mammifères, désigne un comportement général de l'emportement du caractère, a également sa place dans le catalogue des pathologies de la psychologie dans la rubrique "émotion". Le mot est bien trouvé, par ses emplois divers, rapprochant des domaines éloignés, comme on le voit souvent aujourd'hui, dans nos "temps-devenus-fous" où les pathologies côtoient les idées et les jugements moraux, sinon les remplacent...

Le 'Wikipédia' qui, dans ce cas, échappe plus aisément à ses  consignes idéologiques, nous dit de la "rage-émotion" :

« Dans la psychiatrie, la rage est l'état mental le plus extrême du spectre de la colère. Lorsqu'un patient est sujet à la rage, cela se termine lorsque la menace n'est plus oppressante ou que le patient atteint de rage est immobilisé. Une autre fin du spectre est l'ennui....

» Dans le langage courant, la rage définit un état de fureur qui peut porter à des actes excessifs, voire à un besoin irrépressible (rage de vivre) ou un état de douleur intense (rage de dent). Au niveau politique, le terme définit un désir de rejet intense. »

Le propos ici est d'observer combien nous sommes dans un "temps de la rage" en matière de politique, d'idéologie, de civilité (ou d'absence de civilité). Bien que l'on n'emploie pas souvent le mot pour la situation politique française (on lui préfère "violence", par exemple), nous trouverions sans peine qu'il convient parfaitement. Le choix que nous avons fait d'un texte qui, justement, est absolument braqué sur cette situation, nous paraît complètement justifié ; et il est tout à fait intéressant que ce texte soit du prestigieux constitutionnaliste Jonathan Turley, pour décrire la situation psychologique (émotionnelle) de la direction de l'américanisme elle aussi plongée dans une "politique de la rage".

(Une fois de plus, on observe la correspondance culturelle et psychologique de la France et des USA, car c'est certainement dans ces deux pays que se manifeste le plus ce "temps de la rage"/cette "politique de la rage", qui sont des caractères psychologiques centraux de notre  Grande Crise d'Effondrement du Système. Il est également bienvenu que le mot soit le même dans les deux langues, et qu'il ait d'ailleurs, - comme son équivalent "fureur" en français, - des significations "positives" selon les conceptions modernistes de pression psychologique et de vitesse. On dit "la rage de vivre" comme on dit "la fureur de vivre" ; les Français disent que tel objet ou tel comportement "fait fureur" [est à la mode] et les Américains emploie le mot "rage" pour ce même "à la mode".) (*)

La rage droite-gauche

C'est donc l'intensité du mot "rage" qui s'abord nous retient, par sa force et son extrémisme, si caractéristique de "nos-temps-devenus-fous" et de la Grande Crise qui est la cause de cette folie. D'autre part et à valeur égale selon notre appréciation, nous retient le caractère d'impuissance qu'il implique directement ou indirectement.

La "rage" est une sorte de colère extrême d'impuissance, pouvant effectivement déboucher sur une pathologie de la psychologie, - à moins que la pathologie de la psychologie conduise à exprimer une rage qui est indirectement un aveu affreux d'impuissance. Nous croyons qu'au-dessus de toutes les folles contingences, notamment idéologiques, se trouve un état psychologique général d'impuissance devant ce constat affreux que "tant de puissance (celle de la modernité, des technologies, de la communication) débouche paradoxalement sur une insatisfaction totale", - ou bien, ce contrat inacceptable et scandaleux que l'Homme, dans toute sa puissance, semble éprouver de bien grandes difficultés à maîtriser le monde, à le conduire à sa guise, à démontrer l'inutilité de ces choses plus hautes que lui... Plus on est puissants, plus on est insatisfaits, plus on est impuissants : voilà ce que semble nous dire la modernité dans sa maturité atroce, qui est celle de la nécessité de l'effondrement.

Cette "rage impuissante", souvent idéologique, se transfère évidemment sur la pratique de la politique en la déformant selon la radicalisation la plus folle de l'idéologie impliquée grâce aux vertus habituelles de l'hypocrisie, du mensonge pavlovien, de l'hystérie et du simulacre, jusqu'au constat permanent de cette "impuissance de la puissance". Turley, qui a beaucoup d'occasions de faire parler sa raison et sa retenue, s'attache au traitement d'un véritable lynchage de communication qu'a subi, de la part de ses pairs, de son parti et des élites du genre, la sénatrice démocrate Sinema, qui s'oppose à la "ligne du Parti" qui veut la liquidation du ' Filibuster' (on en parlait  hier) pour faire passer quelques lois essentielles de la révolution démocrate-wokeniste. La "rage" (!) raisonnable et toute de retenue de Turley se ressent assez bien dans son texte, où il compare la "rage" à une drogue mortelle à laquelle le pays entier est "accro".

« Sinema est un cas d'épure de la "politique de la rage"....

» Elle a déclaré au Sénat que "nous n'avons qu'une seule démocratie. Nous ne pouvons survivre, nous ne pouvons la conserver, que si nous le faisons ensemble". Ce discours plein de conviction et de profondeur a été accueilli par des attaques ignobles et menaçantes. Il semble que, dans une nation en état d'addiction à la rage, même ceux qui cherchent une guérison peuvent devenir les victimes de nos fureurs politiques. »

Turley nous donne une évocation remarquable de la situation psychologique et politique dans la direction américaniste. On voit bien qu'il y a des similitudes avec la situation française, dans la tension, l'insupportabilité des uns par rapport aux autres ou par rapport à tous, dans l'extrême radicalité des comportements, l'accélération de cette radicalité à mesure que les événements s'enchaînent et s'imposent à tous, insaisissables, triomphants, imposant leur loi qui n'est pas celle des élites comme si tout apaisement selon la consigne de la bienpensance était devenu impossible. D'ailleurs et en fin de compte, c'est le cas puisque la radicalisation est à l'exact opposé d'une dynamique de compromis, bien entendu. La rage ne cesse d'enfler, de s'autoalimenter, comme si la rage entraînait un supplément de rage de constater son propre état de "rage impuissante".

Dans les situations des deux pays considéré, l'impasse et le cul-de-sac, au choix, ne cessent de se renforcer, renforçant par conséquent l'impuissance et la rage qui en découle, ou la rage qui en est la cause. C'est un nœud gordien de la psychologie, qui s'enferme elle-même, qui s'emprisonne de plus en plus dans l'affrontement, alors qu'elle exige rageusement de s'en libérer par sa propre victoire.

Bien entendu, on n'est pas sans remarquer que cette "rage" est provoquée essentiellement aujourd'hui par les exigences impuissantes d'un côté politique, la gauche progressiste-sociétale en l'occurrence, parce que cette gauche a cru dans la possibilité de dompter le Système à son profit, - au profit de toutes ses utopies modernistes, - alors qu'elle en est en fait devenu le jouet, le simulacre, le miroir trompeur.

Mais on laissera de côté l'opposition gauche-droite, qui n'a d'intérêt que dans la mesure où l'on est capable d'apprécier une position politique par rapport au Système. Dans les premières années 2000, jusqu'à l'arrivée d'Obama, c'est-à-dire jusqu'au changement d'angle du simulacre politique manipulé par le Système, la gauche était anticapitaliste avant d'être progressiste, et cela correspondait parfaitement à une logique antiSystème. A ce moment-là, elle était héroïque et la "rage" venait plutôt de l'autre côté, harnaché de neocons et de bellicistes divers. Aujourd'hui, elle a basculé et elle nous montre qu'en fait de rage impuissante, elle surmonte aisément tout ce qui a précédé.

Au reste, dans ces deux périodes l'on trouve des gens des deux bords qui restent héroïques, braqués dans leur opposition au Système et échappant finalement à cette malédiction de la rage impuissante. On retrouve dans le même camp, malgré les soubresauts des simulacres, un libertarien de droite comme  Justin Raimondo et une anticapitaliste comme  Diana Johnstone, comme il y a en France des souverainistes anti-globalistes de droite et de gauche... Cela pour rapidement fixer l'évidence que la "droite" du temps de GW Bush et la "gauche" d'à partir d'Obama ne sont que des simulacres de ces engagements, des trompe-l'œil ; ils ne sont là que pour faire monter la mayonnaise, c'est-à-dire la rage. Il y a de quoi être enragé.

Entretemps, - entre le début des années 2000 et la fin des années 2010, - la situation s'est remarquablement détériorée et le processus d'effondrement du Système a radicalisé les tensions rendues folles par la communication exacerbée. Le progressisme s'est cru voir pousser des ailes pour se rallier à un capitalisme postmoderne se découvrant lui-même progressiste à la folie. Il mesure désormais sa formidable impuissance tandis que ses enfants s'entre-dévore comme il est de coutume.

Il y a de quoi être enragé.

Ci-dessous, donc, le texte de Jonathan Turley du  17 janvier 2022 : « Le "mythe bipartisan" : Krysten Sinema devient la dernière victime de la politique de la rage ».

dedefensa.org

Note

(*) Voir le livre «   Kafka Was the Rage : A Greenwhich Village memoir », d'Anatole Broyard, sur la mode de la jeunesse intellectuelle US dans l'immédiat après-guerre, à partir de 1946. Alors que Paris s'américanisait en dansant le be-bop, New York s'européanisait en découvrant les auteurs intellectuels de l'avant-guerre, - dont Kafka, notamment. « During that decade, New York evoked comparisons to Paris, another global intellectual and creative hub. »

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18/01/2022 dedefensa.org  8 min #200801

La politique des « temps de la rage »

La dernière victime de la « politique de la rage »

Jonathan Turley

Vous trouverez ci-dessous ma chronique dans The Hill sur les démocrates et les groupes démocrates qui attaquent la sénatrice Kyrsten Sinema (Démocrate de l'Arizona) après qu'elle ait réitéré son soutien à la règle du 'filibuster'. La réaction à son discours révèle la profondeur de la dépendance de la rage existant dans notre monde politique. C'est la même licence que nous avons vue ce week-end en Floride lorsque Nikki Fried, commissaire à l'agriculture et candidate démocrate au poste de gouverneur, a comparé le soutien du public au gouverneur de Floride Ron DeSantis à l'ascension "de Hitler".