18/01/2022 dedefensa.org  8 min #200801

La politique des « temps de la rage »

La dernière victime de la « politique de la rage »

Jonathan Turley

Vous trouverez ci-dessous ma chronique dans  The Hill sur les démocrates et les groupes démocrates qui attaquent la sénatrice Kyrsten Sinema (Démocrate de l'Arizona) après qu'elle ait réitéré son soutien à la règle du 'filibuster'. La réaction à son discours révèle la profondeur de la dépendance de la rage existant dans notre monde politique. C'est la même licence que nous avons vue ce week-end en Floride lorsque Nikki Fried, commissaire à l'agriculture et candidate démocrate au poste de gouverneur, a comparé le soutien du public au gouverneur de Floride Ron DeSantis à l'ascension "de Hitler". Il ne suffit pas d'être en désaccord avec votre adversaire. Vous devez le comparer à un meurtrier génocidaire. Il semble que nous ne pouvons même pas discuter des politiques agricoles sans évoquer l'Anschluss dans ce temps de la rage. Beaucoup d'entre nous ont critiqué l'ancien président Trump pour ses attaques personnelles et ses attaques contre la presse, mais beaucoup de ces mêmes voix dénoncent maintenant d'autres personnes, comme Sinema, comme des ennemis de la démocratie et du peuple. Sinema est un cas d'épure de la "politique de la rage".

Voici la chronique :

Dans la pièce 'Othello' de Shakespeare, le personnage de Iago dit que « les hommes en colère frappent ceux qui leur veulent du bien ». C'est un avertissement que la sénatrice démocrate de l'Arizona Kyrsten Sinema ne comprend que trop bien aujourd'hui. Madame Sinema et le sénateur Joe Manchin (Démocrate de la Virginie Occidentale) ont tous deux refusé de se laisser intimider pour modifier la règle du filibuster, - une règle qui oblige les parties à dialoguer et à faire des compromis.

Sinema soutient la législation sur le droit de vote mais considère que cette [action contre le filibuster pour la faire passer] met en péril toute chance d'apaisement et de résolution au niveau national. Elle a déclaré au Sénat que « nous n'avons qu'une seule démocratie. Nous ne pouvons survivre, nous ne pouvons la conserver, que si nous le faisons ensemble ». Ce discours plein de conviction et de profondeur a été accueilli par des attaques ignobles et menaçantes. Il semble que, dans une nation en état d'addiction à la rage, même ceux qui cherchent une guérison peuvent devenir les victimes de nos fureurs politiques.

Sinema a présenté les mêmes arguments que ceux utilisés depuis longtemps pour soutenir le filibuster, - en fait, les mêmes arguments que ceux présentés par le président Biden jusqu'à cette semaine. Biden a un jour qualifié les efforts antérieurs visant à modifier le filibuster de « désastreux » pour la démocratie et a proclamé : « Que Dieu nous préserve de ce destin.... [Cela] changerait la compréhension fondamentale et la pratique ininterrompue de la raison d'être du Sénat ». D'autres se sont joints à lui pour exiger que les républicains du Sénat préservent la règle au nom de la démocratie elle-même, notamment le sénateur Barack Obama (Démocrate de l'Illinois) et le sénateur Charles Schumer (Démocrate de New York), qui ont insisté sur le fait que l'abandon de la règle serait « apocalyptique pour la démocratie » et réduirait les États-Unis à une « République bananière ».

Tous ces discours ont été célébrés à l'époque dans les médias et par les démocrates comme étant puissants et poignants.

La rage a pourtant une qualité libératrice de la rage : elle est pure et absolue, sans le poids de la raison ou de l'acceptation des autres. Cette semaine, les commentateurs progressistes s'en sont pris à Madame Sinema avec une fureur aveugle, beaucoup se moquant de l'émotion qu'elle avait montrée en décrivant la colère et les divisions dans le pays.

Le présentateur de MSNBC, Lawrence O'Donnell, a écrit : « Sinema a prononcé le discours le plus stupide d'un démocrate au Sénat d'une voix pleine de larmes pour donner à des mots enfantins un effet mélodramatique. » Keith Olbermann, qui fut lui aussi présentateur à MSNBC, a tweeté que Sinema « doit démissionner ou être démise de ses fonctions immédiatement.... [Elle] est devenue une menace pour la poursuite de la démocratie américaine ». Malcolm Nance, de MSNBC également, est allé plus loin en déclarant que l'équipe de Sinema devrait « démissionner pour ne plus éprouver la honte d'être des participants actifs de la mort de la démocratie ».

La chroniqueuse du Washington Post Jennifer Rubin, qui a déjà appelé à liquider par le feu le Parti républicain, a tweeté : « Sinema demande effectivement aux auteurs [des lois ségrégationnistes] Jim Crow et du trucage des votes de lui donner la permission d'y mettre fin. C'est pire que de l'incohérence ou de la lâcheté. C'est un déshonneur moral. Demander aux ségrégationnistes la permission de voter pour la loi sur les droits civiques ? »

Ainsi, les sénateurs qui expriment la même position que celle défendue récemment par des démocrates tels que Biden, Obama et Schumer, sont désormais des « ségrégationnistes » ?

La référence à « Jim Crow aux stéroïdes » pour qualifier la loi électorale de Géorgie a été exprimée par Biden, qui a maintenant cédé entièrement à la politique de la rage. Il s'est récemment engagé à faire « tout ce qu'il faut » pour faire passer la loi, et la solution proposée a été d'entrer dans une rage aveugle à Atlanta en accusant toute personne votant pour le filibuster de se ranger du côté des ségrégationnistes et de chercher à détruire la démocratie. Le lendemain, Biden s'est déchaîné dans une tirade dénonçant la moitié du Sénat qui chercherait à établir une autocratie par la suppression des électeurs.

Le président, qui a un jour insisté sur le fait qu'il serait l'unificateur de la nation, a découvert la licence de la politique de la rage, - la même licence dont ont fait preuve ceux qui ont  poursuivi Sinema dans des toilettes l'année dernière. De même, après le discours de Mme Sinema, Sarah Michelsen, membre du personnel de l'American Civil Liberties Union (ACLU), était ravie de voir Sinema au bord des larmes et a encouragé les militants à « poursuivre » leurs attaques parce que ces attaques « la détruisent ».

C'est le même permis de haïr et de harceler  dont a fait preuve Samuel Crankshaw, avocat de l'ACLU, qui s'est opposé à ce que le lycéen Nicholas Sandmann soit accepté à l'université, même après qu'il ait été démontré qu'il avait été faussement accusé d'avoir harcelé un militant amérindien devant le Lincoln Memorial. C'est cette licence qui a récemment conduit un chroniqueur du Los Angeles Times à défendre l'attitude consistant à « se moquer de la mort de personnes non vaccinées ».

Certains démocrates n'ont pas tardé à promettre que Sinema venait de mettre fin à sa carrière ; Joe Lockhart, de CNN, a écrit : « Il est probablement plus exact de la qualifier d'ancienne sénatrice Sinema. » Son discours rappelait, en ce sens, celui d'un autre sénateur courageux, Edmund Ross du Kansas, l'un des sept républicains qui ont voté pour l'acquittement du président de l'époque, Andrew Johnson, en 1868. Il a décrit son vote fatidique comme un moment où, littéralement, « je regardais le fond de ma tombe qui venait d'être creusée ».

Ross est célébré comme un "exemple de courage" pour avoir pris une telle position malgré la colère de son propre parti.

Il en a été de même pour le sénateur Mitt Romney (Républicain de l'Utah) lorsqu'il a voté pour la condamnation du président Trump lors de son deuxième procès en destitution ; les commentateurs progressistes l'ont couvert d'éloges. En 2020, Stephen Colbert a présenté Romney comme « une lueur d'espoir », parce qu'il disait la vérité et précisé qu'il était « prêt à supporter les répercussions de cette décision, quelles qu'elles soient ».

O'Donnell a tweeté que « chaque jour, pour le reste de sa vie, [le sénateur républicain Lindsey Graham] vivra dans la jalousie furieuse du courage [de Romney] ». Alors que Romney a également montré son émotion lors de son intervention, O'Donnell ne s'est pas moqué de lui pour sa "voix pleine de larmes pour donner à des mots enfantins un effet mélodramatique".

Schumer a tenu à publiquement « saluer » Romney : « La pression sur chaque républicain était énorme.... Le fait qu'il s'agisse [grâce à son vote] d'une décision bipartisane est une lumière qui nous dit ce qui est bien et ce qui est mal. »

Par conséquent, nous comprenons que, selon les experts progressistes, Sinema n'est pas Romney. Elle a eu l'audace de s'appuyer sur des principes plutôt que sur la politique. On pense généralement que d'autres sénateurs démocrates partagent son malaise à l'égard de la modification du filibuster, mais, jusqu'à présent, ils n'ont pas fait preuve du même courage de faire face à des critiques d'une telle virulence. Comme je l'ai écrit l'année dernière, cette sorte d'intégrité est rarement récompensée par son propre parti : « Ross, comme Romney, a sauté le pas, - sous les applaudissements du parti adverse. Au Sénat, l'abnégation reste un acte qu'il vaut mieux admirer de loin. »

Le discours de Sinema a été dénoncé par ceux qui insistent sur le fait que le bipartisme est un "mythe" dans nos temps de la rage. Sinema est, selon Nina Turner de MSNBC, une « couarde sans âme » parce qu'elle a cherché un terrain d'entente et un compromis. Elle est haïe précisément parce qu'elle ne hait pas assez. Elle n'a pas haï les républicains au point de les dénoncer comme des '  Bull Connors modernes' comme l'a fait Biden, ou de qualifier le filibuster de «   relique de Jim Crow ».

Dans ces temps de la rage, la civilité est repoussante et intolérable. Sinema a fait d'elle-même un point de référence exposant à quel point beaucoup de ses collègues démocrates sont devenus déséquilibrés. Enlevez ce point de référence, il ne reste que la rage.

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