07/04/2022 francesoir.fr  4 min #205696

Les fausses nouvelles à Kiev annoncent un avril cruel

A Boutcha, après l'horreur, la délicate recherche des proches

© RONALDO SCHEMIDT / AFP

Après l'horreur, la délicate recherche: les habitants de Boutcha libérée, où des dizaines de cadavres de civils ont été découverts le week-end dernier, tentent désormais de connaître le sort de leurs proches dont ils sont sans nouvelles.

Certains savent déjà ce qu'il s'est passé pour leurs amis, voisins, collègues, quand d'autres espèrent encore que le pire ne soit pas arrivé.

Tetiana Oustimenko connaît le fin mot de l'histoire: son fils et deux de ses amis ont été abattus dans la rue. Elle a enterré les trois corps dans le jardin de la maison familiale.

Oleh Onichtchenko cherche, lui, désespérément deux personnes de sa famille. Il arrive dans un champ balayé par le vent où cinquante sacs mortuaires sont étalés sur le sol.

Il pense que ses proches ont été brûlés au point d'être méconnaissables, bien qu'une bague ou une alliance puissent se révéler des indices permettant de les retrouver.

Un autre habitant de la ville, Oleksandre Kovtoune, garde lui espoir. Il est sans nouvelles de son fils, mais se dit qu'il a peut-être été fait prisonnier par l'armée russe dans sa retraite vers le Bélarus.

Boutcha, une ville de la proche banlieue nord-ouest de Kiev, a été occupée par les Russes dès les tout premiers jours de l'invasion.

Depuis leur départ de la région fin mars, les autorités ukrainiennes y ont découvert des dizaines de cadavres portant des vêtements civils, certains les mains attachées dans le dos.

- "Mon fils est mort" - Sur la rue Kiev-Mirotska, une voiture criblée de balles gît. A l'intérieur, on peut apercevoir une mare de sang coagulé sur le siège passager. Les corps ne sont plus là: ils ont été déplacés dans un jardin avoisinant, celui de Tetiana Oustimenko.

Cette femme de 65 ans dit avoir enterré son fils Serguiï, 25 ans, et ses amis Nastia et Maxime le 4 mars.

Quelques jours avant, il lui avait proposé de venir pour l'évacuer, mais elle trouvait ça trop dangereux. Sans qu'elle le sache, il est quand même venu.

"J'ai entendu des tirs, mais j'étais certaine qu'il n'était pas là", raconte-t-elle.

"J'ai reçu un appel. J'ai demandé: +C'est toi mon fils?+", avant qu'un voisin ne me dise qu'une voiture avait été la cible de tirs russes. Il m'a annoncé que mon fils était mort".

Selon elle, c'est un sniper ennemi qui a visé le trio: Serguiï a été touché au dos, Maxime à la tête et Nastia aux jambes.

Leurs corps sont restés trois jours dehors avant que le mari de Tetiana, Valeriï, ne les transporte, aidé par des voisins, pour les enterrer.

La sépulture toute simple se trouve au fond du jardin.

"Comment continuer à vivre maintenant?", se lamente à voix haute Tetiana.

- Bijoux distinctifs - Dans le cimetière communal, Oleh Onichtchenko inspecte les corps. Alignés dans des sacs noirs, parfois entassés, il y en a là une cinquantaine.

Un groupe de policiers se démène avec la paperasse, rédigeant des rapports préliminaires pour identifier les cadavres.

Toutes les quelques minutes, ils ouvrent un nouveau sac. Dans l'un, les bras d'une femme sont emmêlés sur son visage sans vie. Dans un autre, la rigidité cadavérique donne l'impression d'un homme au garde-à-vous.

Dans d'autres sacs, se trouvent uniquement des parties de corps, brûlées et sectionnées.

Oleh, 49 ans, reste en léger retrait. Dans sa poche, il garde des photocopies de la carte d'identité de sa belle-soeur Tamila et du certificat de naissance de la fille de celle-ci, Anna, 14 ans.

Elles ont quitté Boutcha dans une voiture empruntée, dont le propriétaire a vu une vidéo la montrant en train de brûler dans la rue. Il a tout de suite compris.

Il est là à l'affut de bijoux distinctifs, pour identifier les corps.

Un policier glisse, non loin, une note manuscrite dans un sac. "Boutcha, homme, environ 30 ans. Yeux ouverts. Blessures corporelles sur le côté gauche de l'abdomen, sur le cou et les mains".

"Il y a un mois, personne n'aurait pu imaginer tout cela", commente Oleh.

- "Notre seul espoir" - Le fils de 19 ans d'Oleksandre Kovtoune, Oleksiï, a lui aussi disparu. "Il est allé en ville et n'est jamais revenu", dit ce père de 58 ans, qui veut se convaincre que son fils a été fait prisonnier.

Dans son quartier, il se dit qu'un jeune homme de sa rue a été envoyé en Russie. Peut-être est-ce aussi le sort de son fils?

"C'est notre seul espoir", dit-il.

L'AFP a vu samedi les cadavres d'au moins vingt hommes portant des vêtements civils gisant dans une rue de Boutcha, reconquise cette semaine par les troupes ukrainiennes. L'un d'eux avait les mains liées et les corps étaient éparpillés sur plusieurs centaines de mètres.

Les corps de 57 personnes y ont été retrouvés dans une fosse commune creusée par les Ukrainiens face au nombre important de cadavres, selon le chef des secours locaux, qui a montré ce site à une équipe de l'AFP.

Le registre des morts grossit de jour en jour.

"On a interrogé des gens autour pour essayer de savoir s'ils savaient (pour Oleksiï)", explique Oleksandre. "On espère qu'il ne soit pas sur cette liste".

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