17/04/2022 dedefensa.org  24min #206334

 Le croiseur Moskva gravement endommagé

Ukrisis-15 : Mélanges-Phg

 Journal dde.crisis de Philippe Grasset

• Un 'Mélanges-PhG'. • Une double vision contradictoire et complémentaire d'Ukrisis : celle du bloc-BAO et celle du reste du monde. • « Conserver le pouvoir en prétextant une troisième guerre mondiale » qu'on aurait soi-même lancée. • L'indéfectible affection cachée et nucléaire du Pentagone pour l'armée russe.

17 avril 2022 (21H10) - Pour cette fois, je prends à ma charge une section épisodique 'Ukrisis'. Il s'agit une évolution 'naturelle' du propos : au début, concentré sur un tel thème que j'entendais traiter dans ce 'Journal-dde.crisis', puis enchaînant sur une autre communication, du même domaine mais d'une autre sorte, et gardant l'intervention à la première personne (d'où le 'Mélanges-PhG').

C'est ainsi qu'aux coins et recoins du domaine de l'écriture, on trouve confirmation de ce que le langage nous mène. Il nous conduit à l'enchaînement des idées déjà envisagées, puis à de nouvelle idées, puis à des développements différents à partir de ces nouvelles idées jusqu'alors imprévues, tout en suivant dans ce cas le fil rouge de ce qui est pour moi la  GrandeCrise.

Tout cela, qui est exceptionnel pour la formule et les habitudes du site, ne fait que confirmer l'exceptionnalité de la période, de ces 'temps-devenus-fous'.

Ukrisis sous les yeux de Janus

La guerre en Ukraine est-elle un conflit qui concerne le monde entier ? Ou bien est-elle un conflit mettant en évidence, pour lui-même comme pour toutes les crises qui agitent l'Europe (le  dedefensa.org, l'extension étant inévitable), « un problème mondial » dont on comprend que l'Europe en est l'inspiratrice, voire la productrice ? Ou bien est-elle l'illustration brutale et décisive de « la nécessité de trouver "des solutions européennes à des problèmes européens" » (selon l'universitaire kenyane Martha Bakwesegha-Osula, pour le magazine allemand 'Internationale Politik und Gesellschaft'), - dont elle (Ukrisis) est aujourd'hui l'illustration la plus brutale, la plus pressante et la plus symbolique ?

Autrement dit, et cela par le biais  du texte dont je fais quelques citations (en italiques), quand donc l'Europe finira-t-elle d'entraîner le monde dans des aventures crisiques qui sont d'abord le reflet de sa suffisance narcissique et de son totalitarisme idéologique, - exprimés sous la forme d'un moralisme manichéen, - l'ensemble signifiant une extraordinaire pathologie de la psychologie d'une conception du monde excluant automatiquement et nécessairement, et par la force si besoin est (assez souvent), toute conception d'alternative ? L'Europe estime que, lorsque l'Europe s'enrhume (elle parle d'elle-même comme d'un être objectif, hors d'elle-même, pour inspirer le reste), le monde entier doit éternuer et s'abîmer dans une sorte de Covid22 contre lequel aucun vaccin ne peut rien, - sinon, in extremis, une invention européenne, - pour que, ces malades extérieurs guéris, tout recommence au son de 'La Carmagnole' européenne.

Alors et selon cette vision de la situation du jugement général aujourd'hui, monsieur Hi Chunchun, universitaire, jeune directeur des Études Européennes à l'Université Internationale de Shanghai, a écrit un texte pour la revue italienne 'Limes', (cité dans un article de  Clemente Ultimo dont on trouve  la reprise en français sur le site 'Euro-Synergies'). Il s'interroge du droit que l'Europe s'est unilatéralement reconnue à elle-même, de régenter intellectuellement et moralement le monde :

« D'une part, l'Europe se dresse comme un phare de la civilisation moderne ; d'autre part, elle a à plusieurs reprises amené l'humanité au bord de la ruine et de la destruction. La culture européenne moderne semble donc posséder les traits d'un Janus à deux visages: un visage hideux de barbarie, masqué par une façade sacrée de valeurs et d'idées absolues. Dans l'histoire européenne, il est rare que nous acceptions les critiques non européennes de notre propre sens inébranlable du messianisme universel. En tant qu'universitaire qui, bien qu'enraciné dans la culture chinoise, a toujours admiré la grande entreprise de civilisation européenne, permettez-moi de lancer un appel à l'Europe. Le conflit actuel ne concerne pas la liberté contre la répression et la tyrannie ; il s'agit de la perpétuation d'une logique historique intrinsèque à l'Europe moderne. Il est temps pour les citoyens européens de mettre un terme à ce jeu insensé à somme nulle, qui est perçu avec angoisse et horreur par les cultures hors d'Europe. Après un siècle de catastrophes, le Vieux Continent n'a pas le droit de forcer le monde entier à choisir une fois de plus entre la guerre et la paix, entre la destruction et la survie. »

En fait, le texte cité, sous le titre compliqué de « La guerre en Ukraine, la myopie eurocentrique et le reste du monde. 'Quelque chose' ne colle pas... », prend la posture d'un observateur du troisième cercle, observant l'affrontement entre la Russie et le bloc-BAO, et, se tournant vers le second, et s'exclamant : "Mais vous, l'Europe, allez-vous finir de croire que toutes vos querelles internes doivent nécessairement nous concerner, affecter nos vies, nos stabilités ?...Une fois de plus, nous 'forcer à choisir une fois entre la guerre et la paix, entre la destruction et la survie' ?"

On comprend aussitôt le propos, d'autant mieux que, sans la moindre hésitation et en écartant toute la lourde dialectique que déroule l'Europe, aussi bien comme on fait dans un amphi du Savoir et en chaire de la Vérité, il rassemble et soutient de facto l'argument impératif de la provocation européenne de la Russie. On retrouve ici et ainsi, et sans nécessité d'argument ni de conversation, le verdict bien plus que l'argument que c'est bien l'Europe (le bloc-BAO/ les USA) qui est responsable de cet affrontement ukrainien. Il est à la fois révélateur et fort goûteux que l'on rejoigne sans la moindre hésitation quoique d'une façon complètement paradoxale,  le neocon Robert Kagan dans la présentation récente qu'il a faite :

« Bien qu'il soit obscène de blâmer les États-Unis pour l'attaque inhumaine de Poutine contre l'Ukraine, insister sur le fait que l'invasion n'a pas été provoquée est trompeur.

» Tout comme Pearl Harbor a été la conséquence des efforts déployés par les États-Unis pour freiner l'expansion japonaise sur le continent asiatique, et tout comme les attentats du 11 septembre ont été en partie une réponse à la présence dominante des États-Unis au Moyen-Orient après la première guerre du Golfe, les décisions russes ont été une réponse à l'expansion de l'hégémonie post-guerre froide des États-Unis et de leurs alliés en Europe. »

Cela conduit ainsi "le reste du monde" qui s'irrite considérablement des crises européennes à répétition qui menacent le monde entier, avec de catastrophiques guerres mondiales, des économies rendues folles et propageant par l'inégalité des richesses et l'illégalité des développements, à choisir son champion pour stopper la folie du bloc-BAO. Cet article rapporte l'exaspération du reste du monde devant les folies européennes, se regroupant pour refuser catégoriquement de participer à la curée antirusse, autrement dit de faire de la Russie martyrisé par le bloc-BAO, par l'Europe qui voudrait se l'annexer après l'avoir vidée de soin âme et de ses traditions, leur porte-drapeau et leur porte-parole.

« La question des sanctions a clairement montré comment l'unanimité dans la marginalisation de la Russie dans le domaine économique n'est vraie que si l'on se réfère aux pays européens et à ceux du bloc atlantique (USA, évidemment, Australie, Japon, Corée du Sud). Plus de la moitié du monde n'adopte aucune mesure pour bloquer les échanges économiques avec la Russie, et parmi les nations qui refusent les sanctions, on trouve non seulement des pays marginaux, - en termes de poids politique et économique, évidemment, - mais aussi les économies émergentes des BRICS. Et s'il est trop facile pour la Chine d'expliquer son non-alignement sur les souhaits de Washington, il est plus complexe de le faire pour la "plus grande démocratie du monde", comme s'appelle avec emphase l'Inde, ou pour le Brésil ou l'Afrique du Sud.

» Sont-ils tous des "États voyous", amis du "fou" Poutine ? De toute évidence, non. »

Le paradoxe de cette position qui conduit à conseiller impérativement à l'Europe (le bloc-BAO) de régler elle seule cette affaire (en souhaitant secrètement que ce soit au bénéfice de la Russie) est que, même si l'on approuve ce jugement, on n'en aboutit pas moins à la conclusion que cette affaire qui doit être strictement européenne est pourtant nécessairement un « problème mondial ». La cause en est que la position actuelle de l'Europe/du bloc-BAO est à prétention universelle, et que tout est fait, même par des pressions brutales sinon plus, pour impliquer le reste du monde, même contre son gré.

Ukrisis engage effectivement des questions absolument mondiale, comme la question du dollar, le sort de la structure financière mondiale jusqu'alors exclusivement du fait du bloc-BAO. La puissance extrême, par la technique et la technologisation, de la civilisation américaniste-occidentaliste s'est imposée depuis de nombreuses décennies, sinon un ou deux siècles, au reste du monde, faisant qu'une "affaire européenne" est tout de même un « problème mondial ». Le point est que ce qui fut longtemps accepté par "le reste" ne l'est plus vraiment, sinon plus du tout. La cause en est que cette civilisation est dans sa phase ultime où elle succombe au déséquilibre où, représentant exactement la modernité qui est son véritable nom de baptême, son énorme puissance technologique qui commence à avoir des ratés commence à le céder à son insondable absence de sens (la farce de "les démocraties contre les dictatures" ne faisant plus rire personne, à l'aune de l'état cataclysmique et en pleine dissolution des susdites 'démocraties').

On retrouve ainsi  notre interprétation du philosophe des civilisations Arnold Toynbee à la fin des années 1940 ; sans trop le dire ouvertement puisqu'il avait à cœur les intérêts de son pays de cette époque délicate pour la colonisation britannique, il montrait pourtant l'inéluctable effondrement de cette civilisation du fait d'un mortel déséquilibre :

« On trouve, par exemple, cette idée chez Arnold Toynbee, - voir notre article sur "la civilisation-imposture" du  15 juillet 2002. Historien des civilisations, Toynbee observait une succession cyclique des civilisations (il en décompte 19), chacune d'entre elles "permettant", à cause d'une circonstance historique ou l'autre, à la suivante de la remplacer, c'est-à-dire de la relayer, de poursuivre la chaîne ; mais la chaîne est en train de se rompre, observait Toynbee à la fin des années 1940... Il développa sur la fin de sa vie, - avec une prudence due sans doute à des raisons politiques sans grandeur, - l'argument que l'absence de sens de notre civilisation la rendait extrêmement vulnérable sinon promise à l'effondrement (autodestruction), alors que sa puissance technologique, sa surpuissance matérielle sans égale, interdisaient l'intervention de toute autre civilisation, donc tout espoir de succession et de régénération par une autre civilisation. »

L'ébranlement sans doute final que constitue Ukrisis concerne évidemment l'ensemble du monde, y compris "le reste" (hors-bloc-BAO), même si cette inévitabilité lui déplaît, d'ailleurs avec toutes les raisons du monde. Aujourd'hui, nous n'attendons plus une nouvelle civilisation pour prendre le relais sans espoir d'y parvenir, nous œuvrons à l'effondrement du monstre hideux qui est le reste de civilisation empêchant que quelque autre élan ne la remplace.

"Prétexter" une Troisième Guerre mondiale...

L'enjeu étant de cette importance malgré les différences de jugement, on est conduit à suivre attentivement le comportement de chacune des parties. D'où l'évolution de certains des partisans de la Russie, sous la forme d'une admonestation adressée au gouvernement russe, pour mollesse, imprévoyance, absence de fermeté et d'organisation dans ce qui est devenu une véritable guerre, quelque chose d'un affrontement inévitable, aussi vrai dans le sens guerrier que dans le sens économique. Ainsi, du site 'Southfront.org', qui a réagi avec  une terrible vigueur (justifiée ou pas) à la perte du croiseur 'Moskva', - dont il fait sans aucun doute, du point de vue de la communication, une victime non seulement des Ukrainiens, mais bel et bien  de l'OTAN qui est de plus en plus impliquée, de moins en moins indirectement (40% des effectifs des unités les plus efficaces de l'armée ukrainiennes seraient actuellement constituées de soldats de pays de l'OTAN)... 'Southfront.org', fort bien renseigné, est en général très prorusse, mais il n'évite nullement les critiques acerbes contre l'équipe Poutine lorsqu'ils les juge, ou lorsqu'il les sait justifiées.

« Dans la soirée du 13 avril, le ministère russe de la Défense a déclaré qu'il avait enregistré des tentatives de sabotage et des frappes des forces ukrainiennes contre des installations situées sur le territoire russe. Il a ajouté que si ces incidents se poursuivent, la Russie frappera les centres de décision ukrainiens, y compris ceux de Kiev, ce que l'armée russe s'est abstenue de faire jusqu'à présent. Cette déclaration soulève un certain nombre de questions. Par exemple, les dirigeants militaires et politiques de la Russie n'ont-ils pas encore réalisé qu'ils sont en pleine guerre, au moins avec le régime "pro-OTAN" de Kiev en Ukraine, et probablement avec l'OTAN, bien qu'indirectement ? Pourquoi l'armée russe s'est-elle abstenue de frapper les "centres de décision" lorsqu'elle a tenté de bloquer Kiev ? Quel est le véritable rôle de Medinsky (chef de la délégation russe aux 'négociations" Russie-Ukraine), Pechkov (porte-parole de Poutine) et de certains autres politiciens dans les événements actuels ? Pourquoi, jusqu'à récemment, il n'y avait pas d'unité de commandement militaire dans l'opération militaire du ministère russe de la Défense en Ukraine, comme le déclarent et le démontrent les renseignements britanniques, les témoins oculaires et les événements sur les lignes de front ?

» La fourniture d'armes à Kiev par les pays de l'OTAN, y compris des chars, s'intensifie. La participation directe d'unités de l'OTAN au conflit est à l'ordre du jour. Selon des sources locales des deux côtés du conflit, jusqu'à 40% des unités ukrainiennes les plus prêtes au combat sont déjà composées de citoyens d'États membres de l'OTAN.

» L'incident avec le croiseur russe 'Moskva' pourrait être le déclencheur d'une forte escalade du conflit, ce qui est dans l'intérêt d'une grande partie de ce que l'on appelle les "élites mondiales". La situation politique intérieure difficile aux États-Unis, en Allemagne et en France alimente le désir des élites dirigeantes de conserver le pouvoir en prétextant une troisième guerre mondiale qu'elles auraient elles-mêmes lancée. »

Les temps sont incertains et nous nous trouvons comme dans un '  tournant obscur'. Le consensus commence à se faire, entre amis et ennemis, sur le fait que nous nous engageons dans ce qui devrait devenir un conflit ouvert entre la Russie et l'OTAN, selon la conception déjà exprimée par exemple par un étrange Josep Borrell tweetant à son retour d'Ukraine que « cette guerre se gagnera sur le terrain ». C'est un avis qu'on trouve chez nombre de dirigeants européens (notamment les Français, plus éloignés du gaullisme qu'aucun gouvernement ne fut depuis Vichy). Le 'SakerUS', source éminemment prorusse et qui pronostiquait (comme tout le monde) un conflit assez rapide, n'hésite plus désormais, selon un emportement contraire du jugement, à  envisager clairement et sans aucune restriction cette orientation, (et remarquant sarcastiquement que même le très-prudent RT.com (selon 'SakerUS') commence à publier  ce jugement général) :

« Ce qui a commencé comme une "opération militaire spéciale" se transforme maintenant en une guerre totale de l'Occident uni contre la Russie et cela signifie que l'objectif de l'Occident n'est pas la paix, mais sa victoire et une défaite de la Russie. Ma conclusion personnelle est que l'Occident ne cessera de redoubler d'efforts que si la territoire US lui-même est menacé par les capacités de dissuasion stratégique conventionnelles et nucléaires de la Russie...

»...Ma première conclusion est qu'un conflit militaire direct entre l'OTAN et la Russie est désormais probable. »

Cette hypothèse de la Troisième Guerre mondiale, après avoir été longtemps un jugement de convenance sans grande substance, est devenue une très sérieuse possibilité avec Ukrisis. La perspective est diversement argumentée, selon des circonstances différentes, mais converge de plus en plus vers le même diagnostic. En voici encore un exemple, avec le commentateur allemand Willy Wimert, qui dénonce  la 'voie verte' vers la Troisième Guerre mondiale.

« Avec l'attaque ukrainienne contre Lougansk et Donetsk, il était clair pour tout le monde qu'il s'agissait de mettre en œuvre la ligne Zelenski pour la reconquête de Donetsk, de Lougansk et de la Crimée. Cela devait rendre caduques les dispositions du traité de l'OTAN selon lesquelles aucun État ne doit être admis dans l'OTAN s'il a des problèmes de frontières avec d'autres et donc des questions frontalières non résolues. Quelques jours après le 17 février 2022, les forces armées russes ont envahi l'Ukraine, 23 ans après la guerre d'agression de l'OTAN contre la Yougoslavie, que le département d'État américain avait classée au regard du droit international et de l'histoire lors de la conférence de Bratislava au printemps 2000. La réaction occidentale à l'invasion russe a reflété toute l'étendue de la politique occidentale vis-à-vis ou en rapport avec le rôle assigné à l'Ukraine.

» Le peuple ukrainien doit voir son pays réduit en miettes pour des raisons géostratégiques, pour voir les aspects cités au début décidés du côté américain et russe. L'Europe de l'UE, mise au pas à l'instigation notamment des "Verts" politiques européens, veut que la décision soit prise sur le champ de bataille, comme le manifeste la Commission européenne. Aucune trace d'efforts de paix, on est devenu bien trop partisan pour cela. Il règne dans l'Europe de l'UE une atmosphère qui ne recule devant aucune diabolisation. Des armes sont livrées les yeux fermés, et il ne dépend plus de nous de savoir si nous avons franchi le seuil de la troisième guerre mondiale. Ce ne sont pas les godillots mais les talons aiguilles qui, cette fois-ci, martèlent sur le pavé le chemin de la perdition. »

Un facteur précis, et de quelle importance, manque souvent dans ces évocations de la "Troisième mondiale" : l'emploi du nucléaire. Les gens du bloc-BAO, surtout européens, en parlent peu, lui préférant le scénario idyllique d'une défaite de l'armée russe, suivie du départ de Poutine et de la prise de pouvoir démocratique par le peuple russe conquis par les attrais incontestables et irrésistibles de l'organisation américaniste-occidentaliste UE/OTAN.

Quoique Zelenski lui-même, à certaines occasions, n'hésite pas à en parler, mais plutôt pour mettre en accusation... les Russes. (C'est pourtant lui qui avait constitué un des signaux d'alarme pour les Russes lorsqu'il avait évoqué, à Muniche début février, la possibilité pour l'Ukraine de développer du nucléaire.)  Le 15 avril, donc, Zelenski en parle lors d'une interview de CNN,  pour dire d'ailleurs des affirmations évidentes et nullement fausses :

« Dans une interview accordée à CNN vendredi, le président ukrainien Volodymyr Zelenski a déclaré que le monde devait s'inquiéter de la possibilité que la Russie utilise des armes nucléaires dans sa guerre en Ukraine.

» "Pas seulement moi, - le monde entier, tous les pays doivent être inquiets", a déclaré Zelenski lorsqu'on lui a demandé s'il craignait que la Russie utilise une arme nucléaire tactique. "Parce que cela peut ne pas être une information réelle, mais cela peut être la vérité', a-t-il ajouté.

Ainsi est-il rappelé des choses qui figurent fort peu dans les scénarios des pays d'Europe de l'Ouest, dont disposent en général les dirigeants civils. Nul ne doute de l'issue victorieuse, de la chute de Poutine, de l'éclosion de la démocratie véritable comme les "Cent-Fleurs" de Moscou et ainsi de suite. En général, ces scénarios n'envisagent pas directement et fondamentalement la possibilité d'emploi du nucléaire, - tactique à ce point (des deux côtés d'ailleurs, selon les circonstances et admettant l'implication de l'OTAN avec ses pays nucléaires).

En fait, un point bien particulier concernant le nucléaire est le suivant : à part les Français, aucun pays européens ne possède de nucléaire autonome. (UK est tout à fait un cas à part, difficile à trancher, son nucléaire étant totalement sous contrôle US.) Le seul nucléaire disponible dans cette configuration est le nucléaire tactique US dans certaines bases US en Europe, y compris pour être portés par des avions d'autres alliés. Ainsi l'énorme majorité des cas de nucléaires en Europe (attaque ou riposte) posent la question fondamentales qui concerne les USA :

• Les USA l'utiliseront-ils, et si oui les Russes le considéreront-ils comme du nucléaire d'abord tactique ou bien comme du nucléaire d'abord américaniste ?

• Car de la réponse à cette question dépend l'option maximaliste pour les Russes de menacer directement le territoire des USA, vue par certains comme un cas de révision radicale de la politique suivie par les USA ("SakerUS' dans le texte déjà cité : « l'Occident ne cessera de redoubler d'efforts que si la territoire US lui-même est menacé par les capacités de dissuasion stratégique conventionnelles et nucléaires de la Russie... »)

• Pour ce dernier point, il faut noter le fait capital qu'avec leurs armes hypersoniques, la Russie a différentes options de frappes contre le territoire des États-Unis : conventionnelles ou nucléaires, avec différents effets, directs ou indirects.

L'énigme du Pentagone (suite)

Ce qui est envisagé comme une extension dramatique de la guerre explique en grande partie l'attitude du Pentagone. Cela est d'autant plus important que dans la situation de crise aiguë du pouvoir américaniste, avec un président au bord de l'impotence et intellectuellement affreusement diminuée, le pouvoir est fractionné en plusieurs centres tendant à disposer de politiques spécifiques, et le Pentagone est l'un de ceux-ci. Ce qu'on a observé de lui depuis plusieurs semaines et le début de la guerre est une attitude  d'extrême prudence et de tentatives  jusqu'ici infructueuses d'établir un contact avec la direction militaire russe.

Cette attitude est d'ailleurs complètement en accord avec différents épisodes des 15 dernières années où, à plusieurs reprises, les chefs militaires ont interféré sur le pouvoir civil, parfois à la limite du cadre constitutionnel, pour empêcher des entreprise guerrières jugées trop risquées. (Cela avait commencé en 2006-2008, avec les diverses alertes d'attaques contre l'Iran, contrées  par l'US Navy, notamment avec le rôle  de l'amiral Fallon. Nous avons suivi cela avec attention et j'ai dans l'esprit combien alors les généraux et les amiraux, - les seconds surtout, - furent salués par la presse dissidente comme des "faiseurs de paix" dignes de grands éloges.)

Plus encore, il y a eu dans le cadre d'Ukrisis des comportements opérationnels remarquables du point de vue de la communication, le même à deux reprises, concernant des incidents extrêmement importants et au désavantage des Russes. Dans les deux cas, le Pentagone a refusé de confirmer les deux versions ukrainiennes des incidents.

• Nous avions signalé le 5 avril que le porte-parole du Pentagone avait nettement affirmé qu'il lui était impossible de confirmer la version ukrainienne selon laquelle le massacre de Boutcha était le fait des forces russes. Après les réponses du porte-parole du Pentagone l'amiral Kirby au cours de sa conférence de presse, Reuters ( sur MoA) devait écrire que

« L'armée américaine n'est pas en mesure de confirmer de manière indépendante les récits ukrainiens d'atrocités commises par les forces russes contre des civils dans la ville de Boutcha... »

Et bien qu'il puisse être question des capacités de reconnaissance et de communication, - dont il est équipé plus que n'importe qui d'autre, - la discrétion sinon le silence du Pentagone qui suivirent montrent, à mon sens, qu'il n'a pas cherché, ni à trop en conclure précisément, ni surtout à prendre une position partisane (qui aurait été nécessairement antirusse) dans cette affaire.

• A nouveau cette attitude lors de l'affaire des graves dommages puis du naufrage du croiseur 'Moskva'. La version ukrainienne est bien entendu que le croiseur a été touché par des missiles ukrainiens, version très largement relayée par le simulacre qu'est la presseSystème. Au Pentagone, rien de semblable. Le 'SakerUS' fait un long développement  là-dessus, sur les interventions (avant le naufrage du navire durant son remorquage) de l'amiral Kirby, avec ses propres commentaires :

« Je me contenterai ici d'ajouter ce que le porte-parole du Pentagone, John Kirby, a déclaré officiellement à propos de cet incident :

» "Nous savons (que le 'Moskva') a subi une explosion", a déclaré Kirby dans une interview sur MSNBC. "Il semble, - d'après les images que nous avons pu visionner, - qu'il s'agissait d'une explosion assez importante, également. Nous ne savons pas ce qui a provoqué cette explosion."

» Dans une interview sur CNN, Kirby a déclaré que l'explosion était "assez importante". Selon lui, les responsables américains "ont relevé des indications selon lesquelles d'autres navires de la marine autour (du 'Moskva') ont essayé de lui venir en aide".

» "Finalement, cela n'a apparemment pas été nécessaire, et le navire fait maintenant son propre chemin à travers la mer Noire, et nous allons continuer à essayer de surveiller cela du mieux que nous pouvons. Il est certain qu'il pourrait s'agir de dommages causés par une force extérieure, comme un missile ou une attaque quelconque, une torpille ou quelque chose du genre. Mais il pourrait également s'agir de quelque chose qui s'est produit à l'intérieur du navire, - un feu d'ingénierie, un feu de carburant. On ne sait tout simplement pas", a déclaré M. Kirby.

» C'est vraiment une époque très triste quand les hauts fonctionnaires américains mentent MOINS que la presse "libre et démocratique" ! »

On pourrait effectivement s'en tenir là, - mentir plus ou moins, - mais à la lumière du précédent de Boutcha, et sachant que la communication joue un rôle énorme dans ces deux affaires qui ont eu un écho considérable, je crois qu'on peut voir dans ces deux cas une intentionnalité, quelle que soit la vérité sur ce que sait ou ne sait pas le Pentagone, sur ce qui s'est ou ne s'est pas passé dans ces deux affaires. Il y a une manière, un effort de neutralité qui, dans ces circonstances, reviennent à une volonté de ne pas renforcer, sinon cautionner la campagne antirusse développée à ces deux occasions, dans le cadre hystérique général. On doit donc avoir tendance, c'est mon sentiment, de placer ces deux épisodes en concordance avec ce qui a été relevé de la part du Pentagone, vis-à-vis des Russes.

Cela ne signifie évidemment pas que le Pentagone ne fait rien contre les Russes ! Il y a assez de livraisons d'armes à l'Ukraine, de détachements de combat US en Ukraine pour comprendre cela. Quoique, pour les combattants US en Ukraine, on peut envisager d'autres sources en plus du Pentagone, ou le Pentagone comme source indirecte. Il y a tellement d'opérateurs pour cette sorte de combattants, - la CIA, des "forces spéciales" autonomes, des groupes privés sous-traitants, etc., et même jusqu'à des commandements de théâtre qui jouent un autre jeu que la direction du Pentagone. Mais pour cette dernière, civils (Austin) et militaires (général Milley) unis, ce qui importe c'est de tenir à distance le danger commun essentiel de la guerre nucléaire...

Au reste, c'est un peu ce que dit in fine le général Milley lorsqu'il a déclaré devant le Congrès, au début de la semaine, que la guerre en Ukraine était destinée à durer longtemps, « sans doute pas une décennie mais peut-être bien plusieurs années ». C'est une évaluation qu'il avait déjà donnée, qui vaut ce qu'elle vaut et ouverte à discussion : mais elle implique bien entendu, quasiment à coup sûr, que le général Milley privilégie un conflit où il n'y aurait pas de nucléaire employé, parce qu'avec cette arme les choses accélèrent dans des destructions massives et épouvantables, avec escalade très probable, et donc avec un terme catastrophique très rapide.

Pour conclure, je m'en remettrai à la conclusion d'un  précédent article allant dans le même sens, et qu'on lira simplement comme renforcée par les nouveaux événements, et arguments par conséquent, qui sont apparus, avec en toile de fond cette crainte du nucléaire qui ne fait qu'augmenter ; et surtout, cela me paraît central, renforcée pour ce qui est dit concernant la "déstabilisation" de la situation au sein du pouvoir US.

« Il reste, dans l'état actuel des choses, que nous nous trouvons dans le paradoxe le plus complet, - qui n'est d'ailleurs pas inédit, tant s'en faut, - de devoir apprécier le Pentagone comme acteur de mesure et de rangement, mais qui ne peut et ne veut agir pour l'instant qu'à la marge. En ce sens, la posture de silence des Russes n'est finalement pas une mauvaise chose : elle accroit l'inquiétude du Pentagone et contribue à le pousser vers une situation où il lui faudrait envisager que sa propre posture "à la marge" devienne un véritable facteur politique, voire le facteur central de la situation à "D.C.-la-folle". C'est en effet une des hypothèses que nous devons apprécier comme une possibilité, si la situation-Ukrisis s'aggravait et si la direction US, 'DeepState' ou pas, poursuivait son action d'aggravation constante de cette situation-Ukrisis : que cette direction trouvât sur son chemin le Pentagone en posture certes inconstitutionnelle, - mais dans cette phase catastrophique où le respect de la Constitution n'est plus vraiment à l'ordre du jour. Il pourrait alors y avoir une bonne et sympathique perspective de déstabilisation d'une situation déjà bien agitée aux USA (et surtout au sein du pouvoir US). »

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