11/02/2023 arretsurinfo.ch  13 min #223971

Ukraine : « Même si lʼoccident nʼen veut pas, la paix passera par la négociation »

Le mouvement de la paix belge et la réaction du physicien Jean Bricmont

C'est mieux que rien et vu la dictature idéologique dans laquelle on vit, on ne peut sans doute pas en dire plus.

Mais il y a beaucoup trop de reproches adressés à la Russie et à Vladimir Poutine: que devaient-ils faire après 8 ans de guerre contre les populations russes annexées à l'Ukraine lors de la création artificielle de cet état liée à la création de l'URSS? Après 8 ans de fausses négociations (accords de Minsk) qui, comme on le reconnait aujourd'hui, ne servaient qu'à gagner du temps et à armer l'Ukraine?

Tout, depuis le coup d'état de 2014 est de la pure provocation américaine pour affaiblir la Russie. Et c'est là la source du conflit. L'intervention russe de 2022 visait non pas à déclencher un conflit mais à y mettre fin. Et les négociations auraient très bien pu aboutir en mars 2022 (voir les  déclarations de Naftali Bennet) si elles n'avaient pas été sabotées par Boris Johnson et Joe Biden qui portent l'entière responsabilité de la prolongation du conflit.

Et le plus important, et qui n'est jamais discuté par le mouvement de la paix c'est que c'est aussi une guerre des EU contre l'Europe, comme le montre le sabotage des pipelines Nord Stream qui ont pour but et effet de ruiner l'Allemagne.

[Il y a aujourd'hui une double lutte de libération nationale: celle des Russes en Ukraine par rapport au régime de Kiev et celle à venir des peuples européens contre la domination américaine. Jean Bricmont, 11 février 2023]

Par Jonathan Lefèvre - 10 Février 2023

« Negotiate Peace ». Cʼest le nom de la nouvelle campagne lancée par Intal. Lʼorganisation de solidarité internationale belge veut faire entendre la voix du camp de la paix en temps de guerre. Ce qui nʼest pas évident. Rencontre avec le responsable de la campagne, Nicolas Pierre.

Négocier la paix. Cʼest la voie à suivre selon les partisans dʼune fin rapide de la guerre qui ravage lʼUkraine. Soit le contraire de ce que veulent les va-t-en-guerre qui se réjouissent des armes lourdes envoyées en Ukraine. Pourtant, « on ne fait pas la guerre pour se débarrasser de la guerre », comme le disait le militant pour la paix français Jean Jaurès, assassiné quelques jours avant le début de la Première Guerre mondiale. Une citation à laquelle adhèrent Nicolas Pierre et son organisation, intal. « Intal est une organisation de lutte contre l'impérialisme, pour la solidarité internationale et pour la paix, commence le jeune médecin bruxellois, par ailleurs diplômé en analyse en stratégie internationale. Nous avions directement condamné l'invasion russe. Nous avons participé à plusieurs rassemblements contre l'escalade militaire et en soutien à un cessez-le-feu immédiat.

Cette année, un front très large à travers toute l'Europe organise des manifestations pour dire stop à cette guerre et oui à des négociations de paix.  À Bruxelles, nous nous rassemblerons le 26 février aux côtés de syndicats, d'organisations pacifistes et écologistes, du secteur associatif et bien d'autres. Notre message commun est simple : il faut maintenant une solution diplomatique, il faut négocier la paix. »

Quelle est la situation actuelle ?

Nicolas Pierre. Des millions de civils ukrainiens se trouvent dans une situation très précaire. Bien que les chiffres soient difficiles à vérifier, on estime aujourd'hui (février, NdlR) que 10 à 30 000 civils ont été tués, et autour de 100 000 soldats du côté ukrainien, et 90 000 du côté russe et ses alliés dans l'Est de l'Ukraine.

La guerre entraîne aussi une militarisation de ces sociétés. La répression s'aggrave en Russie, mais aussi en Ukraine (interdiction de partis politiques, arrestation d'opposants à la guerre sous prétexte de « traîtrise »...). Les droits sociaux et syndicaux sont attaqués. Par exemple, un travailleur peut aujourd'hui être licencié sans aucune indemnisation. Les syndicats sont mis hors-jeu pendant que les travailleurs sont au front...

Et hors Ukraine ?

Nicolas Pierre. Vladimir Poutine brandit régulièrement la menace d'un conflit nucléaire et il ne faut pas lʼignorer.

La lutte contre le changement climatique est mise entre parenthèses et l'escalade de guerre pousse aux pires décisions (réouverture de mines de charbon en Allemagne, en France ou en Pologne, utilisation de gaz de schiste plus polluant à travers toute l'Europe...).

La pénurie d'engrais et de ressources alimentaires ont aggravé une crise de la faim dans le monde qui plongeait déjà des centaines de millions de personnes dans misère alimentaire. Olivier De Schutter, rapporteur spécial de l'ONU sur le droit à l'alimentation, parlait de 50 millions de personnes menacées de famine et plus de 820 millions de victimes de malnutrition (numéro de Solidaire juillet-août 2022, NdlR).

Et partout dans le monde, la spirale de l'inflation et l'augmentation du coût de la vie et des prix de l'énergie sont en bonne partie liées à lʼutilisation du conflit par des multinationales qui en profitent pour gonfler leurs prix (et leurs bénéfices).

Y compris en Belgique...

Nicolas Pierre. Chez nous, chacun ressent les difficultés économiques, et elles s'aggraveront encore avec les délocalisations annoncées en réaction aux prix de l'énergie.

Il y a également une tendance générale à investir massivement dans l'armement, avec des milliards d'euros que l'on trouve aujourd'hui en quelques heures alors qu'il n'y en a jamais assez pour la lutte contre le réchauffement climatique ou le financement de nos écoles et de nos hôpitaux. C'est exactement ce qu'a décidé le gouvernement belge avec 1 milliard dʼeuros supplémentaire pour le budget de la Défense en mars 2022. Et en janvier 2023, le gouvernement prévoit 100 millions d'euros en équipement militaire pour l'Ukraine sans la moindre contrepartie. Du moins, officiellement...

Pourquoi, dans ce contexte, appeler à des négociations ?

Nicolas Pierre. Des conflits plus graves ont déjà été résolus par la diplomatie dans l'histoire. Et des négociations et des accords ont déjà eu lieu entre gouvernements russe et ukrainien. Cʼest donc possible.

Il y a d'une part les accords qui existent actuellement, même s'ils sont limités : entente sur l'exportation de blé ukrainien ou aux échanges réguliers de prisonniers entre les deux camps. C'est peu, mais c'est un début.

Ensuite, il y avait au début du printemps de 2022 un accord déjà très avancé entre les deux gouvernements. Il comprenait des décisions négociées sur un statut de neutralité de l'Ukraine, un retrait des forces russes, une résolution politique dans le Donbass (région de lʼest ukrainien revendiquée par les deux pays, NdlR)... Cet accord a été saboté, notamment par l'influence du Premier ministre britannique de l'époque, Boris Johnson, venu à Kiev dissuader le président ukrainien Volodymyr Zelenski de poursuivre les pourparlers.

On voit donc des influences extérieures mettre des bâtons dans les roues d'une solution diplomatique. Il y a aussi des acteurs intérieurs : des courants ultra-nationalistes en Russie poussent Poutine vers une escalade toujours plus grave. Et, en Ukraine, des courants extrémistes qui, dès le début du mandat de Zelenski - et donc avant l'invasion de février - menaçaient le gouvernement s'il commençait à mener une politique de négociation avec la Russie.

N'est-ce donc pas naïf, vu la situation, de plaider pour des négociations ?

Nicolas Pierre. Il faut rappeler une chose très simple : il y aura des négociations, et il y aura un accord.

Les militaires savent qu'aucun des deux belligérants n'est capable, et ne sera jamais capable, d'anéantir complètement l'autre. Si l'on écoute les responsables des États-Unis, certains en Europe et ceux de la Russie, ils admettent qu'il y aura un accord. La question est de savoir quand, et à quel prix. Le président du comité des chefs d'état-major interarmées des États-Unis Mark Milley résumait déjà la situation il y a plusieurs mois en parlant d'une victoire totale d'un des deux camp comme « impossible » et que seule une « solution politique » pourrait mettre fin au conflit.

Tout cela peut durer pendant des années et avoir des conséquences épouvantables.

Cela me fait penser à la fin de la Première Guerre mondiale. Fin 1918, l'armistice était proche et pratiquement déjà signé, mais certains généraux envoyaient encore à la mort des milliers de jeunes gens pour agrandir sa part du gâteau et remporter tel ou tel village.

Que doit contenir cet accord, selon vous ?

Nicolas Pierre. Ce n'est pas à une organisation belge de dire aux gouvernements et aux peuples étrangers ce qu'ils doivent ou non accepter.

L'Ukraine a été attaquée, son intégrité territoriale violée, et sa volonté de récupérer ses frontières est légitime.

Mais avant d'être un conflit entre Russie et Ukraine, cette guerre était un conflit nationaliste interne, avec un fort courant séparatiste à l'Est ukrainien, des mouvements ultranationalistes et antirusses à l'Ouest, et une polarisation politique intense. Se greffant sur ces tensions, une politique d'ingérence a également été menée au moins depuis 2014. Et il en va de même pour la question de la Crimée, péninsule au Sud de lʼUkraine qui touche la Russie où vivent 800 000 citoyens russes à l'heure actuelle. Que faire ? Les déporter ? Il n'y a pas d'autre issue que de négocier.

Quel a été le rôle de lʼOtan dans tout cela ?

Nicolas Pierre. Son expansion vers lʼEst, aux portes de la Russie, est un facteur majeur d'inquiétude pour cette dernière. La question de l'appartenance ou non de lʼUkraine à cette alliance militaire polarise les tensions, mais pas seulement. Le fait d'avoir un accord sur quel type de missile peut être déployé ou non de part et d'autre de la frontière est également un point important. Plus largement, toute l'architecture de sécurité doit être négociée et donner des garanties mutuelles.

La promesse de ne pas étendre l'Otan à l'Est, faite par les États-Unis lors de la dissolution de l'URSS, a été violée. Les accords de Minsk de 2015, qui traçaient un chemin de paix dans l'Est de l'Ukraine n'a pas été respecté - par la Russie non plus d'ailleurs - sans que personne ne lève le petit doigt. Au contraire, l'armée ukrainienne a été entraînée et approvisionnée de façon croissante.

La Russie a violé les accords de non-agression avec l'Ukraine et le droit international, et c'est Poutine qui porte la responsabilité finale de cette guerre. N'inversons pas les rôles. Pourtant, l'historique montre que l'Occident porte une part de responsabilité dans la montée des tensions qui a conduit à lʼinvasion de février 2022. Il doit donc également faire des concessions dans ses volontés d'expansion et de domination, et composer avec d'autres puissances afin de construire la paix.

Lorsqu'on entend Otan, on pense aux États-Unis. Que peut faire l'Europe, ou même la Belgique ?

Nicolas Pierre. L'Otan est un outil de domination des États-Unis. Mais cela ne veut pas dire que l'Europe est impuissante. La plupart des décisions clefs sont en réalité dans les mains des Européens. Les gouvernements européens ont le poids qu'ils choisissent d'avoir : s'ils refusent de s'aligner sur les États-Unis, leur influence est décisive.

La décision d'appartenance à l'Union européenne - que veut rejoindre lʼUkraine - ou à l'Otan se prend par consensus, de même que les paquets de sanctions économiques contre la Russie. Cela veut dire quʼun seul gouvernement peut forcer l'ensemble à rediscuter et à adopter un nouveau consensus.

Au niveau financier, ce sont les États-Unis qui fournissent la grande majorité de l'armement à l'Ukraine, mais pour ce qui est du budget total transféré (avec aides humanitaires et financières) l'Europe première. Sur tous les points clefs, les Européens ont la main, s'ils veulent.

Les États-Unis, même sʼils sont maintenant plus prudents dans leurs déclarations, maintiennent un cap toujours plus va-t-en-guerre, constatant bien que la situation leur profite tant du point de vue économique (lobbies de l'armement, producteurs d'énergie, industries) que stratégiquement (achat en masse de matériel US, nouvelles adhésions à l'Otan, mise-au-pas de l'Europe).

Qu'est-ce qui pourrait pousser les gouvernements européens à soutenir des négociations ?

Nicolas Pierre. Ils sont les premiers touchés par les conséquences économiques de la guerre et des sanctions, et par le risque d'escalade du conflit vu leur situation géographique.

LʼEurope nʼest pas homogène, elle est constituée de pays très différents. Il y a des dirigeants très belliqueux (États baltes, Pologne, Royaume-Uni) qui pour toute une série de raisons ont depuis le début soutenu explicitement que cette guerre était un moyen d'affaiblir voire de démembrer la Russie. C'est ce que déclarait Hillary Clinton (ex-Secrétaire d'État - équivalent de ministre des Affaires étrangères - des États-Unis) lorsqu'elle parlait de « faire de l'Ukraine l'Afghanistan de la Russie ». Elle voulait en faire un conflit long, qui épuise et ruine la Russie.

Pour en revenir à lʼEurope, rien nʼa été fait par des pays de lʼUnion ?

Nicolas Pierre. L'Italie ou la France, par exemple, ont plusieurs fois pris des initiatives ou fait des déclarations qui permettraient d'avancer vers une négociation. Sans résultat jusquʼà présent.

Mais il faut être capable de sortir de la vision occidentale. La quasi-totalité des pays du monde, en dehors des Occidentaux et de leurs alliés classiques, sont opposés à la logique d'escalade. La plupart ont condamné l'invasion, mais tous ont refusé d'appliquer des sanctions qu'ils jugent hypocrites, et beaucoup d'entre eux ont très ouvertement appelé à des négociations. À la tribune des Nations Unies notamment, plus de 60 chefs d'États ont appelé à cela. Plusieurs, comme le Brésil, l'Afrique du Sud ou la Turquie se sont proposés comme médiateurs.

Quid de la Belgique ?

Nicolas Pierre. Lorsque l'on voit la crise sociale et économique, lorsque l'on voit le désastre écologique relégué au second plan, lorsque l'on voit cette course absurde à l'armement avec toujours plus de victimes, il faut se mobiliser.

C'est la tâche du mouvement social de pousser notre gouvernement à adopter une ligne de soutien aux négociations. La paix doit se gagner par le rapport de force.

C'est le sens de votre campagne ?

Nicolas Pierre. Absolument. Nous voulons aider à construire un front large pour des négociations de paix, expliquer à un maximum de monde les causes et les enjeux d'un tel conflit, et décider ensemble de comment se battre pour la paix. Notre campagne « Negotiate Peace » va servir à cela dans les mois qui viennent.

Préparer la paix en livrant des armes lourdes ?

Le discours dominant, celui quʼon entend à longueur de journée, va dans le sens dʼarmer lʼUkraine tant et plus. Mais est-ce une solution ? Cela va-t-il accélérer la paix ou la repousser ?

« Au tout début, on disait envoyer uniquement du matériel « défensif » (des casques, du carburant, etc.) pour plusieurs dizaines de millions d'euros. Fin janvier 2023, le gouvernement belge trouve subitement près de 100 millions d'euros pour envoyer toujours plus d'armes, et soutient officiellement l'envoi de chars lourds de combat (les fameux Leopard-2 allemands ou Abrams M1 américains). Un envoi qui marque encore une étape supplémentaire dans le conflit. Directement après lʼannonce de cet envoi, des tribunes appelant à livrer des avions de combat étaient publiées. Et les gouvernements qui veulent se montrer prudents sont montrés du doigt et qualifiés de traîtres s'ils refusent de faire purement et simplement don de leurs équipements militaires à l'Ukraine.

Les gouvernements occidentaux se réunissent régulièrement à Ramstein, base américaine en Allemagne, ou ailleurs pour organiser la livraison de plus de matériel militaire. Mais quand se sont-ils assis pour discuter de paix ? Quand ont-ils fait le moindre effort pour tenter une autre voie, tenter de résoudre réellement le conflit ? Pendant ce temps-là, les victimes s'accumulent, les gouvernements trouvent de l'argent magique pour participer à l'escalade, et la crise économique s'approfondit pour la classe travailleuse. »

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