01/05/2023 arretsurinfo.ch  9 min #227863

Les Brics développent une alternative au système financier dominé par les Etats-Unis

Un haut fonctionnaire russe a indiqué qu‘un nouveau projet de monnaie pourrait être annoncé lors du prochain sommet des BRICS en Afrique du Sud. Les autres membres de l‘alliance – le Brésil, la Chine, la Russie et l‘Inde – ont déjà pris des mesures pour contourner le système commercial et financier mondial dominé par les Etats-Unis.

Par Tanupriya Singh – 7 avril 2023

S‘exprimant la semaine dernière en marge du forum «Russian-Indian Strategic Partnership for Development and Growth Business» dans la capitale indienne New Delhi, le vice-président de la Douma d‘Etat russe Alexander Babakov a annoncé que les Etats BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) travaillaient à la création d‘une nouvelle monnaie.

Les membres du bloc ont pris des mesures importantes pour s‘éloigner du système commercial et financier international dominé par les Etats-Unis. «La transition vers des règlements en monnaies nationales est la première étape. La prochaine est de permettre la circulation d‘une monnaie numérique ou de toute autre forme de monnaie fondamentalement nouvelle dans un avenir proche», a déclaré M. Babakov.

Il a également affirmé que «la volonté de réaliser ce projet» sera signalée lors du prochain sommet des BRICS, qui se tiendra en août à Durban, en Afrique du Sud.

Si les détails de ce projet historique n‘ont pas encore été dévoilés, il est d‘ores et déjà évident qu‘il aura une portée considérable. Les pays BRICS actuels représentent déjà 40% de la population mondiale et un quart du PIB mondial. L‘alliance est désormais prête à s‘é tendre, l‘Iran et l‘Arabie saoudite ayant entamé le processus formel d‘adhésion. Plus de 10 autres pays, dont l‘Egypte, l‘Algérie, les Emirats arabes unis, le Mexique, l‘Argentine et le Nigeria, ont également exprimé leur  intérêt à rejoindre le bloc.(1)

Babakov a ajouté que la nouvelle monnaie sera basée sur une stratégie qui «ne défend pas le dollar ou l‘euro», et sera liée à la valeur non seulement de l‘or, mais aussi à «d‘autres groupes de produits, de minéraux, de terres rares ou de sols».

La première partie de ce processus, à savoir le commerce avec des monnaies nationales, est déjà bien entamée. Le 29 mars dernier, la Chine et le Brésil – respectivement deuxième économie mondiale et première économie d‘Amérique latine – ont annoncé qu‘ils effectueraient leurs échanges bilatéraux dans leurs monnaies nationales, le yuan chinois (unité du Renminbi) et le réais brésilien, sans passer par le dollar américain.

La Chine est le premier partenaire commercial du Brésil, les échanges bilatéraux devant atteindre 150 milliards de dollars en 2022. La monnaie chinoise, le renminbi (RMB), est également devenue la deuxième  monnaie de réserve internationale du Brésil.(2)

En janvier, l‘Iran et la Russie ont franchi une nouvelle étape importante en s‘éloignant du système financier mondial dominé par les Etats-Unis, en signant un accord pour connecter leurs systèmes de messagerie interbancaire – le SEPAM et le SPFS – et contourner le système de communication et de transfert bancaires SWIFT, dominé par les Etats-Unis.

L‘Iran a été exclu du système SWIFT dans le cadre des sanctions de grande ampleur que les Etats-Unis ont imposées au pays depuis 2018. Par la suite, plusieurs banques russes ont également été coupées de SWIFT après le déclenchement de la guerre en Ukraine.

Alors que la création d‘un système alternatif pour contrer la domination du dollar ou, plus largement, la «coopération monétaire» face à la domination des Etats-Unis était discutée depuis des années parmi les Etats du BRICS,(3) les sanctions générales imposées à la Russie par les Etats-Unis et leurs alliés ont donné un élan supplémentaire aux pays pour aller dans cette direction.

« Après avoir confisqué des dizaines de milliards de dollars de réserves et d‘actifs à des pays comme l‘Iran, le Venezuela et l‘Afghanistan, la saisie par les Etats-Unis et l‘UE de plus de 300 milliards de dollars de réserves russes a déclenché une alerte mondiale, réaffirmant l‘urgence de trouver des alternatives à la domination du dollar», a déclaré Marco Fernandes, chercheur à l‘Institut tricontinental de recherche sociale, cité par  Global Times.(4)

L‘accord entre la Russie et l‘Iran contournerait les sanctions économiques imposées par l‘Occident, sapant ainsi un outil clé par lequel les Etats-Unis tentent de faire pression sur d‘autres pays et de maintenir leur propre hégémonie – un fait qui n‘a pas échappé aux représentants de leur gouvernement.

Selon le président de la Douma d‘Etat, Vyacheslav Volodin, le rouble et le rial représentent déjà plus de 60% des règlements  commerciaux mutuels entre la Russie et l‘Iran.(5)

Ces pays ne sont pas  les seuls;(6) la Russie et la Chine travaillent également à la connexion de leurs systèmes de communication bancaire. Toutefois, les Etats-Unis ont menacé d‘expulser les banques chinoises de SWIFT si cela se poursuivait.

Cependant, la Russie et la Chine ont réaffirmé leur engagement à faire progresser le commerce bilatéral dans leurs monnaies nationales, ce qui a été réitéré lors de leur sommet conjoint en mars:

«Nous devrions continuer à promouvoir les règlements dans les monnaies nationales et étendre la présence réciproque des structures financières et bancaires sur les marchés de nos pays. […] A ce stade, deux tiers des paiements dans le cadre des accords commerciaux entre nos pays sont effectués en roubles et en yuans», a déclaré le  président russe  Vladimir Poutine.(7)

Il a également souligné que les échanges commerciaux entre la Russie et la Chine avaient augmenté de plus de 30% au cours de l‘année écoulée et qu‘ils devraient atteindre 200 milliards de dollars en 2023. M. Poutine a également exprimé son soutien à l‘utilisation du yuan chinois dans les transactions entre la Russie et ses partenaires d‘Asie, d‘Afrique et d‘Amérique latine – où la Chine est déjà le premier partenaire commercial de nombreux pays.

Alors que le dollar américain continue de jouer un rôle prépondérant dans le système financier international, notamment en tant que première monnaie de réserve mondiale, l‘utilisation du yuan a augmenté ces dernières années, représentant 7%  des échanges mondiaux de devises.(8) En outre, il est devenu la cinquième monnaie de paiement et de réserve et la troisième pour le règlement des transactions commerciales.

La domination des Etats-Unis a été remise en question par les pays producteurs de pétrole, dont l‘Iran et, surtout, l‘Arabie saoudite, allié de longue date de Washington, qui ont annoncé qu‘ils envisageraient de vendre leur pétrole dans des monnaies autres que le dollar.

A la suite du premier sommet Chine–Conseil de coopération du Golfe (CCG) en 2022, la Chine a annoncé qu‘elle continuerait à importer du pétrole brut et du gaz naturel liquéfié (GNL) des pays du CCG et qu‘elle procéderait à des règlements commerciaux pour le pétrole et le gaz en utilisant le yuan. Le 28 mars, la Chine a effectué son premier achat avec règlement transfrontalier en yuans pour du  GNL provenant des Emirats arabes unis.(9)

La tendance croissante à la recherche d‘alternatives pour réduire la dépendance à l‘égard du dollar, y compris le commerce en monnaies locales, est également examinée par les organisations régionales, y compris  l‘ Association des nations de l‘Asie du Sud-Est  (ANASE).(10)

Au début de cette année, le Brésil et l‘Argentine ont également proposé de travailler à la création d‘une monnaie commune, appelée  «SUR»,(11) afin de renforcer les échanges commerciaux et financiers régionaux tout en réduisant la dépendance à l‘égard du dollar américain.

Non seulement le bloc des BRICS cherche à s‘é loigner de la dollarisation en matière de commerce et de finance, mais il a également tenté d‘offrir une alternative aux institutions de Bretton Woods dominées par les Etats-Unis, le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, sous la forme de la Nouvelle banque de développement (NDB).

A l‘heure actuelle, outre les cinq pays BRICS, l‘Egypte, les Emirats arabes unis et le Bangladesh sont également  membres de la NDB.(12)

Selon la ministre sud-africaine des Affaires étrangères, Naledi Pandor, l‘une des raisons de la création de la NDB était la recherche d‘une alternative à l‘architecture de paiement  basée sur le dollar:(13) «les systèmes actuels favorisent les pays très riches et constituent un véritable défi pour les pays comme nous qui doivent effectuer des paiements en dollars, ce qui coûte plus cher dans nos différentes monnaies.»

Tanupriya Singh

(1)  frontline.thehindu.com

(2)  news.cgtn.com

(3) infobrics.org

(4)  globaltimes.cn

(5)  tehrantimes.com

(6)  thecradle.co

(7)  en.kremlin.ru

(8)  globaltimes.cn

(9)  energy.economictimes.indiatimes.com

(10)  aseanbriefing.com

(11)  brasildefato.com.br

(12)  ndb.int

(13)  sputnikglobe.com

Source: peoplesdispatch.org

 (Traduction «Point de vue Suisse»)

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