Armand Berger
Source: institut-iliade.com
Il va sans dire que Jean Haudry va beaucoup nous manquer. Travailleur infatigable, personne d'une humilité exemplaire, érudit aimable et bienveillant.
Le professeur Jean Haudry est décédé ce matin à 7 heures, à l'âge de 88 ans. Avec cette triste nouvelle, nous apprenons le départ d'un grand savant dont la carrière de chercheur était pleinement consacrée à l'étude de la linguistique et de la civilisation indo-européennes.
Le parcours de Jean Haudry a été exemplaire. Élève de l'École normale supérieure de la rue d'Ulm, il est reçu au concours de l'agrégation de grammaire en 1959. Il a enseigné successivement aux universités de Montpellier et de Paris comme assistant de latin et de linguistique, avant d'être nommé maître de conférences de sanskrit et de grammaire comparée à l'université de Lyon. Il a soutenu une thèse en 1977 et, cinq années plus tard, fondé un Institut d'études indo-européennes dans la même université. Par ailleurs, Jean Haudry a été élu directeur d'études de grammaire comparée des langues indo-européennes à la IVe
Jean Haudry a été l'élève de grands maîtres desquels il se réclamait. Pour le sanskrit, dont il deviendra un éminent spécialiste, il est redevable à Armand Minard et Louis Renou. Pour la linguistique, à André Martinet. Pour l'indo-européen, à Émile Benveniste. Pour le grec, à Michel Lejeune. Pour le latin, à Jacques Perret. Sa solide formation universitaire, acquise auprès de ces savants, l'a conduit à devenir un indianiste hors-pair. La publication en 1977 de sa thèse sur l'Emploi des cas en védique : introduction à l'étude des cas en indo-européen
Commence alors une nouvelle phase de recherche, centrée sur la notion de « tradition indo-européenne », que Jean Haudry a développé à partir des années 1985-86. Jusqu'alors, les chercheurs qui s'efforçaient de reconstituer la culture des Indo-Européens le faisaient au moyen de la paléontologie linguistique. Toutefois, un certain nombre d'irrégularités ou d'archaïsmes ont été relevés, et ont posé problèmes. L'exemple bien connu de la crainte que l'aurore ne revienne pas, dans la tradition védique, constitue tout simplement une donnée héritée, transmise. Et ce n'est pas en Inde, évidemment, que cette tradition a pu naître. L'introduction de la notion de tradition a changé complètement les perspectives en matière d'études indo-européennes, comprenant désormais une dimension diachronique, et a permis d'intégrer des réalités beaucoup plus anciennes que celles avec lesquelles on opérait habituellement. Pour revenir à la chronologie, on situe les derniers Indo-Européens, c'est-à-dire les locuteurs de l'indo-européen commun, au quatrième millénaire, dans la steppe pontique. En tenant compte des données de la tradition, on peut en revanche identifier un héritage qui remonte au septième millénaire. Toutefois, une telle perspective ne permet pas de remonter indéfiniment à des états antérieurs. Ce que les linguistes appellent « Indo-Européens » appartiennent à la période reconstruite. L'existence d'une tradition indo-européenne dont ils sont les héritiers permet de dégager de nouvelles perspectives.
Cet apport considérable de Jean Haudry aux études indo-européennes, qui travaille dès lors en diachronie, l'a conduit à s'intéresser à la religion cosmique des Indo-Européens. Il publie sur le sujet une monographie en 1987, dans laquelle il développe une thèse des trois cieux indo-européens. Dans cet ouvrage dense et érudit, Jean Haudry est parvenu à montrer le souvenir précis d'une dimension circumpolaire dans la tradition indo-européenne en se fondant sur les cycles temporels. Cette dimension circumpolaire est une thèse intéressante, car elle est aujourd'hui confirmée par de récentes découvertes en paléogénétique qui ont permis de retrouver les traces d'un héritage génétique de chasseurs-cueilleurs septentrionaux chez les populations des steppes pontiques de la fin du Néolithique.
Jean Haudry a également exploré la tradition indo-européenne en prenant en compte les nombreuses données de correspondances linguistiques qui sont à la base du formulaire. La reconstruction du formulaire indo-européen, fondée sur la concordance de séquences de formes superposables dans deux ou plusieurs littératures indo-européennes (dans les Védas
Jean Haudry s'est également intéressé à la présence du feu dans la tradition indo-européenne, en particulier dans un copieux ouvrage paru en 2016. La présence très ancienne du feu, attestée bien avant l'apparition des Indo-Européens – elle se trouve déjà en Europe plus de 300 000 ans avant notre ère – a été intégrée très tôt à la mythologie. Cette réalité ancestrale du feu constitue l'un des points essentiels de la première période de la tradition indo-européenne, celle des temps immémoriaux.
Jusqu'aux derniers moments de sa vie, Jean Haudry a été un savant prolixe. Preuve en est la parution de deux ouvrages aux éditions Yoran Embanner. Le premier, publié l'an passé, est intitulé Sur les pas des Indo-Européens
Il va sans dire que Jean Haudry va beaucoup nous manquer. Travailleur infatigable, personne d'une humilité exemplaire, érudit aimable et bienveillant. Autant de qualités rassemblées en un seul homme qui demeure, pour des générations de linguistes et d'historiens des religions, un véritable mentor dont la gloire est impérissable.
Armand Berger
Membre du Pôle Études de l'Institut Iliade