28/06/2023 infomigrants.net  5 min #230460

À Mayotte, l'opération Wuambushu se poursuit avec la destruction d'un nouveau bidonville

Mayotte : « l'opération Wuambushu n'a pas résolu le problème des bidonvilles, elle l'a juste déplacé », s'agace Médecins du Monde

L'opération Wuambushu vise notamment à détruire l'habitat informel. Crédit : Grégoire Mérot pour InfoMigrants

Gérald Darmanin a effectué le week-end dernier une visite de deux jours à Mayotte pour défendre Wuambushu, son opération de lutte contre la criminalité, l'immigration illégale et l'habitat insalubre dans cet archipel français de l'océan Indien. "Les résultats sont là [...]", a-t-il martelé. "On a fait beaucoup de choses depuis plusieurs semaines et plusieurs mois et on va continuer [...] Maintenant que nous reprenons la main sur la sécurité, il faut s'occuper de tout le reste, et vous pouvez compter sur nous".

Suite à sa visite, InfoMigrants s'est entretenu avec Rozenn Calvar, coordinatrice générale du programme de Médecins du Monde (MdM) à Mayotte. L'ONG dresse un constat au vitriol des conséquences de l'opération voulue par la Place Beauvau.

InfoMigrants : Lors d'une visite à Mayotte ce week-end, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a vanté l'opération Wuambushu. Qu'en pensez-vous ?

Rozenn Calvar : On ne va pas éradiquer les bidonvilles avec Wuambushu, car il n'y a aucune proposition de relogement pérennes.

On n'a pas résolu le problème, on l'a déplacé. Des quartiers de bidonvilles se reforment, les personnes reconstruisent leur case dans d'autres endroits.

Gérald Darmanin dit qu'il veut mettre fin aux marchands de sommeil. On est bien d'accord sur ce point mais sans proposition, comment les gens vont-ils faire pour se loger dignement ? On se heurte à un principe de réalité.

Le problème reste entier. Il y a énormément de personnes en situation régulière sans solution d'hébergement. Et même pour les autres, ceux avec des propositions, cela reste provisoire. Certains sont hébergés six mois, d'autres trois mois, et d'autres encore trois semaines. Que vont-ils devenir une fois cette période écoulée ? Ils doivent trouver un logement dans le parc privé mais il n'y a pas d'offres à Mayotte.

Que va-t-il se passer lorsque Wuambushu sera terminée ? À Mayotte, il manque des politiques sanitaires à long-terme et des réformes sur l'éducation. Quand l'opération sera terminée, la population de Mayotte paiera les dommages collatéraux pendant très longtemps.

IM : Avant même le début de l'opération, Médecins du monde s'était montré critique sur Wuambushu...

RC : Avant l'opération, nous avions des craintes, qui malheureusement se sont réalisées. Tout ce qu'on redoutait est en train d'arriver.

Les tensions entre les différentes communautés présentes sur l'île se sont aggravées. Wuambushu a exacerbé les problèmes déjà existants.

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On constate aussi un retentissement sur la santé publique : un certain nombre de campagnes (vaccinales, dépistage...) ont été interrompues ou se sont dégradées. On voit aussi des pathologies beaucoup plus graves qu'avant, notamment en raison de rupture de soin ou de traitement.

IM : Les personnes en situation irrégulière ne viennent plus se faire soigner dans les centres de soins ?

RC : Avec le renforcement des effectifs policiers en lien avec l'opération Wuambushu, on observe une augmentation des contrôles d'identité, dans tous les lieux, y compris devant les centres de soins.

Le 31 mai par exemple, une mère a emmené ses jumelles à la PMI [Protection maternelle infantile, ndlr] pour des questions de malnutrition. Elle a été interpellée aux abords de la structure et reconduite à la frontière avec ses filles.

Le 14 juin, une autre maman a été arrêtée près de l'hôpital de Mamoudzou avec un de ses enfants. Nous suivons médicalement cette femme car elle a quatre enfants, dont un en situation de handicap. Malgré nos signalements, elle a été renvoyée dans son pays avec sa fille, laissant ses trois autres enfants, dont celui handicapé, à Mayotte.

Les personnes en situation irrégulière ont le choix entre se faire interpeller ou ne pas se faire soigner. La dissuasion est permanente. Et on en voit les conséquences : les gens ne veulent pas aller à l'hôpital de peur d'être refoulés.

Le renoncement aux soins était déjà extrêmement prononcé, désormais l'accès aux structures médicales est gravement mis en danger.

IM : Quelles maladies recensez-vous lors de vos consultations dans les bidonvilles ?

RC : On traite ce qu'on appelle des maladies de la précarité : la malnutrition, puisque les carences nutritionnelles chez les enfants à Mayotte explosent, par rapport à la métropole.

On soigne également des maladies hydriques, liées au manque d'accès à l'eau potable.

Mais tout cela ne ressort pas dans les chiffres car les personnes ne consultent pas, donc elles passent sous les radars.

On accompagne aussi beaucoup de malades chroniques : des gens qui souffrent de diabète, d'hypertension, de maladies cardiaques... Autant de maladies qui nécessitent un suivi régulier. Mais comme je vous le répète, l'opération Wuambushu a interrompu ce suivi médical. Nous devons actuellement tout remettre en place.

Il est très compliqué de se faire soigner à Mayotte car l'AME [Aide médicale d'État, ndlr] n'existe pas. Les malades n'ont pas d'issues. Les diabétiques sont souvent obligés de se faire amputer un membre, les plaies bénignes des enfants comme les piqûres de moustiques finissent en énorme abcès qu'il faut opérer. Pourtant, les enfants peuvent se faire soigner gratuitement, mais les personnes ne le savent pas.

Contrairement à ce qu'on peut entendre, les gens ne viennent pas profiter du système et des soins gratuits. Au contraire, ils le fuient.

 infomigrants.net

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